Université de Franche-Comté

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Section de philosophie



Travail d'étude et de recherche

Deuxième année de Master SHS Mention Philosophie






Baudelaire et la philosophie

par

François Requet

Page web : http://francoisrequet.altervista.org/

Page web : http://francoisrequet.altervista.org/contact/




Sous la direction de

Hervé Touboul

Maître de conférences






Année universitaire 2010-2011





Merci à Hervé Touboul :

Je n'oublierai jamais les moments d'éternité que j'ai pu cueillir pendant ses cours,

quand, transcendé par une de ses phrases malicieuses et pleines de clairvoyance, je tournais mon regard vers Romain et que nous déclarions alors de concert : « Avec Touboul, tout roule... »



J'offre ma sincère gratitude à Michel Lochet, qui a assumé la tâche noble et ingrate de me relire. S'il ne l'avait fait, maintes fautes d'orthographe infâmes me montreraient encore du doigt.



Je remercie bien entendu Marie-Aurore, l'amour que je chéris.

Sans elle, rien ne me serait possible.

Elle maintient une lumière allumée dans le brouillard de mon spleen.



Enfin, je remercie mes deux enfants poilus : Prolégomène et Schopenhauer.

Presque toujours à mes côtés pendant la lente maturation de ce mémoire, ce sont ces félins génies qui, bien souvent, m'ont dicté les derniers mots de la phrase qui m'échappait.

Ce sont eux qui ont su avoir pitié de mes incessantes spéculations.

Ils ont su, – quand la fatigue m'accablait –, me divertir d'un coup de patte harmonieux.

Ils ont eu le courage de jeter à bas mes notes et mes stylos.

Ils ont eu la présence d'esprit de déchirer les pages de mes livres.

Grâce leur soit rendue.

Si plus d'êtres humains avaient un peu de leur sagesse, bien des tourments nous seraient épargnés.



Introduction


A. Poésie et philosophie : un divorce inévitable ?


Que peut-on dire du rapport entre poésie et philosophie ? Faut-il constater simplement que l'une et l'autre ne se parlent plus et qu'elles n'ont plus rien à se dire ? Peut-on seulement les rapprocher, les faire se rejoindre, trouver une zone franche où l'on pourrait les faire dialoguer, ou faut-il convenir qu'entre les deux s'est édifiée une muraille infranchissable, cernée par de vieilles querelles, et derrière laquelle, de chaque côté, des haines ancestrales se tiennent en embuscade ? Certes, on sait bien que les poètes et les philosophes ne font pas bon ménage, et la doxa nous dicte qu'il faut aimer la sagesse ou aimer la beauté comme il faut, aujourd'hui, boire ou conduire : en s'obligeant à un choix exclusif. Et c'est ainsi que le philosophe, dans sa froide raison, veut nous conduire vers la sagesse, tandis que le poète, dans sa fébrile ivresse, nous donne à goûter la beauté.

La doxa nous peint un tableau qu'on pourrait appeler « l'allégorie de la taverne » : sur celui-ci, on voit le philosophe s'acharnant à faire entendre raison au poète ; il veut le reconduire chez lui pour qu'il dessaoule, il veut le faire sortir de la taverne et lui montrer la lumière du vrai bien. Mais de son côté, le poète se méfie, car en son esprit, il est une forme de lucidité que l'ivresse n'endort pas : la méfiance à l'égard de ceux qui ont réponse à tout, ceux qui rangent le monde dans des concepts bien clos et qui croient avoir mis de l'ordre dans l'univers en posant des étiquettes sur les apparences. Le poète croit que les étiquettes s'envolent et que seules les apparences restent, et c'est pourquoi il s'enivre. Il s'enivre parce qu'il n'a pas la réponse, parce que devant l'angoisse de cet univers sans réponse il n'a pour exutoire que la jouissance du beau, de cette beauté pétrie de multitude que le philosophe veut réduire à l'unité et que l'ivresse des sens décuple. Le philosophe, alors, s'obstine énergiquement, et on ne sait plus très bien s'il veut ramener son ami à la raison, ou s'il lui suffirait simplement d'avoir raison pour être satisfait, mais de toute manière, les deux sont impossibles. Le poète, qui par essence est inconstant et rêveur, est également par accident de plus en plus imbibé d'alcool et de plus en plus étanche au discours spéculatif de son camarade : comme l'huile et l'eau dans le même pot, l'alcool et la raison ne se mélangent plus en son esprit. Il n'est plus qu'un esthète délirant, se délectant à la vue de nuages : « les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages ! »1

Arrivé à ce point, il n'y a plus d'entente possible entre nos deux protagonistes. La dispute est inévitable, la mésentente définitive, l'amitié à jamais perdue. Le philosophe sort de la taverne et, telle une plante, observe le soleil, ne boit que de l'eau et prend Racine de haut. Le poète, lui, reste au fond de la taverne, excite ses sens à l'aide d'élixirs et prend la mousseline d'une vieille courtisane vérolée pour l'écume de Vénus. Le poète et le philosophe ne se parleront plus et ne vivront plus jamais dans le même monde. Telle est l'allégorie de la taverne à laquelle nous renvoie la sagesse populaire.


Il va de soi que cette doxa ne détient pas forcément la vérité, mais elle pose la base d'un problème que notre mémoire ne pourra éluder : à savoir le rapport entre poésie et philosophie. Nous aborderons cette question sans prétendre à l'exhaustivité, mais seulement en donnant une orientation à nos propos, pour pouvoir partir d'un certain point de vue. Nous ferons ainsi le choix de puiser abondamment dans la philosophie nietzschéenne pour traiter cette problématique, tout en gardant à l'esprit que ce parti pris impose une vision partielle et partiale des choses. C'est cependant le moyen que nous avons choisi pour poser les jalons de notre réflexion, pour aborder la question sans la résoudre.

Le point de départ de notre étude sera celui-ci : il se peut que la sagesse populaire soit dans l'erreur la plus totale, et que loin de concevoir une opposition entre philosophie et poésie, il faille percevoir un lien très étroit. C'est ici le problème que nous allons désormais analyser.


Pour ce faire, nous proposons de commencer en cherchant une définition du poète. Et c'est la raison pour laquelle nous soumettons le poème « L'Albatros » de Baudelaire à notre réflexion.

On sait l'albatros grotesque et débile, dès lors qu'il est pris au piège d'un équipage cruel. Sa céleste majesté s'envole au moment même où il atterrit dans les bras despotiques des terriens. Le poète en avait fait des vers que depuis, nombre d'écoliers ont écrit sous la dictée : « À peine les ont-ils déposés sur les planches, / Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, / Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches / Comme des avirons traîner à côté d'eux. »2 Voilà ce qu'il reste du noble albatros, de ce « voyageur ailé »3 qui était « naguère si beau »4 lorsqu'il devient le captif des marins. Il se montre désormais « gauche et veule »5, « comique et laid »6. Il n'est plus, finalement, grand chose d'autre qu'un « infirme qui volait »7, rien d'autre que le souvenir moribond d'une beauté faite pour ailleurs, d'une beauté faite pour les cieux.

Cela, on en conviendra, n'est point surprise, et beaucoup d'écoliers au poignet crispé et à l'oreille tendue le savent déjà. La plupart d'entre eux, d'ailleurs, savent également que la figure de l'albatros est une allégorie, et que la déchéance de l'albatros capturé par les hommes du navire nous donne à voir celle du poète otage des humains. Car, comme l'écrit encore Baudelaire : « Le Poète est semblable au prince des nuées / Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; / Exilé sur le sol au milieu des huées, / Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. »8 Voilà donc rappelée l'idée mère du poème « L'albatros » : le poète vit parmi les hommes mais leur est étranger. Il est avant tout une âme déchue qui respirait l'air divin des cieux. Il comprend mal ses frères humains qui le lui rendent bien, et souffre à leur contact, même s'il les observe et les côtoie. Le poète, ainsi, n'est pas vraiment un être humain : il est ce sur quoi s'exerce la bêtise humaine, cette bêtise qui lui tient rancune d'avoir fréquenté d'autres sphères et d'avoir su s'élever. Il est cette chose fragile, rare et précieuse, qui subit pleinement l'épreuve de la dualité : l'aspiration à la perfection contrainte dans les impérities du monde matériel.

Telle est la définition du poète d'après Baudelaire, et ce qui va nous intéresser dans cette introduction, c'est que, d'un certain point de vue, le poète baudelairien ressemble au philosophe. Ils ont quelque chose de très fort en commun : ils s'intéressent tous deux en priorité à ce dont tout le monde se désintéresse et leur point de vue sur le monde les exclut de celui-ci. L'un comme l'autre sont en quelque sorte des inadaptés cherchant ailleurs ce qui leur fait défaut. Rappelons-nous l'anecdote sur Thalès, que rapporte Platon dans le Théétète : « Il [Thalès] observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu’il s’évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds. La même plaisanterie s’applique à tous ceux qui passent leur vie à philosopher. Il est certain, en effet, qu’un tel homme ne connaît ni proche, ni voisin ; il ne sait pas ce qu’ils font, sait à peine si ce sont des hommes ou des créatures d’une autre espèce ; mais qu’est-ce que peut être l’homme et qu’est-ce qu’une telle nature doit faire ou supporter qui la distingue des autres êtres, voilà ce qu’il cherche et prend peine à découvrir. »9 Ainsi donc, le philosophe, nous apprend Platon, est lui aussi « gauche et veule » dans la communauté des hommes, et ce, semblerait-il, autant que le poète. Baudelaire ne manque d'ailleurs pas de faire référence à cet accident de Thalès, et il semble évident qu'il s'y rapporte directement dans le poème « La voix » des Fleurs du mal : « Que je prends très souvent les faits pour des mensonges, / Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous. / Mais la Voix me console et dit : « Garde tes songes ; / Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous ! » »10 On constate clairement dans ce passage que le poète est comparé au philosophe et que les deux archétypes ont une folie commune qui tourne leur regard vers le ciel. Une folie cependant d'une grande beauté, plus belle que ce à quoi peuvent aspirer les sages (qui incarnent ici, non pas la sagesse véritable, mais la sagesse mesquine du conformisme). Leur point commun n'est donc pas seulement leur inadaptation au monde, il réside également dans leur démarche, dans cette démarche qui les mène au fond des puits. Ils recherchent quelque chose de plus profond que le monde donné. Ils aspirent à s'élever par la pensée vers les « nuées » et à se distinguer des autres créatures terrestres. Ils ne sont pas très au fait de ce qui se passe sur terre, de ce qui se passe en ce monde, car dans leur cerveau murmure une voix qui leur dit : « la vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. »11 Ainsi, il faut chercher où est passée cette vraie vie, dans quel monde elle est cachée, puisque ce n'est pas en celui-ci, puisque nous ne sommes pas là où nous devrions être.

Voilà donc quelque chose qui pourrait rapprocher très fortement philosophes et poètes et qui invite à se demander en quoi ils diffèrent finalement. Ils semblent rechercher la même chose et utilisent la même méthode pour mener leur enquête, à savoir l'écriture. Il serait bon d'ailleurs de rappeler que certains philosophes mirent leur pensée en forme à l'aide de la poésie. Cela était fréquent chez les présocratiques (Pythagore, Parménide et Empédocle composaient des poèmes respectant les mètres et les rythmes classiques de leur époque), et se rencontre encore après Platon (par exemple le De natura rerum de Lucrèce, qui est une description de la philosophie d'Épicure en poème philosophique, le Poème sur le désastre de Lisbonne de Voltaire, où ce philosophe attaque l'optimisme philosophique, et bien sûr, les nombreux poèmes de Nietzsche). Par conséquent, en dehors des stéréotypes véhiculés par la vision de la doxa, on conçoit mal d'où sourd cette curieuse et solide opposition. Et les stéréotypes, par définition, ne donnent qu'une vision grossière de la vérité. Le poète n'est peut-être pas forcément quelqu'un disposant de la capacité de concentration d'un papillon, et le philosophe n'est sans doute pas toujours rabat-joie. La question mérite donc d'être posée : pourquoi cette opposition entre poésie et philosophie apparaît-elle si franche ?


Le schisme a peut-être trouvé naissance dans la tradition philosophique elle-même, dans ses fondements. Et cette fondation, on la doit à Platon, le penseur qui a posé les bases sur lesquelles s'est construite la philosophie. Ledit philosophe déclare la guerre à la poésie. Sa charge la plus célèbre a lieu au livre X de La République. Il attaque alors la poésie pour la même raison qu'il critique tous les arts : les arts sont mensongers. D'après Platon, ils ne nous montrent pas la réalité, mais une pâle copie du réel ; ils ne dévoilent pas, mais se contentent d'imiter ce qu'ils rencontrent. Cette assertion s'appuie sur une conception de l'art dans laquelle le paradigme primordial de celui-ci est l'imitation, la fameuse mimesis. Platon considère que l'artiste (et donc le poète) traduit dans son langage artistique ce qu'il perçoit par les sens. Ainsi, un peintre se contenterait de reproduire sur une toile ce que ses yeux perçoivent. Pour le fondateur de l'Académie, une telle démarche est vaine, car ce qui nous parvient par les sens est déjà une tromperie. Dans le livre X de La République, il prend un exemple concret : un peintre peignant une table. Ce peintre va s'attacher à reproduire cette table du mieux qu'il peut, il va faire en sorte que sa toile soit comme un miroir dans lequel la table se refléterait. Mais en faisant cela, il ne fait qu'imiter une apparence, et il crée ainsi l'apparence d'une apparence. Pour Platon, la table que l'on rencontre n'est en effet jamais rien d'autre qu'une apparence de table, car la vraie table n'est accessible que par l'intellection. La table véritable, la table réelle, ce n'est pas l'objet table sur lequel on pose notre écuelle, mais c'est l'Idée de table, la Forme de la table qui n'existe que dans le monde intelligible, ce monde auquel on ne peut accéder qu'en renonçant à ses sens, en apprenant à mourir au monde sensible. Dès lors, il faut comprendre que, dans la perspective platonicienne, l'ouvrier qui fabrique une table ou un lit fabrique déjà un objet qui s'écarte de la vérité. L'ouvrier crée cet objet parmi une multitude d'autres, « mais tous ces meubles sont compris sous deux idées seulement, l’une du lit, l’autre de la table »12 et il « ne fait le lit ou la table dont nous nous servons que d’après l’idée qu’il a de l’un et de l’autre de ces meubles »13. Par conséquent, ce qui importe, c'est l'idée à l'origine de la production de l'ouvrier, c'est le plan idéal de cette table ou de ce lit, cette idée qui seule peut nous donner un sentiment de la perfection et qui est la seule vraie et réelle. L'ouvrier qui fabrique une table ne fait donc que retrouver l'Idée de table dans le monde intelligible pour en faire une reproduction imparfaite. Il crée ainsi une existence sensible et dégradée de la table, basée sur la table intelligible, propre à satisfaire nos besoins dans le monde sensible, mais bien moins réelle que la table qu'on peut rencontrer dans le monde des Idées.

Tout cela, bien sûr, implique d'accepter la conception platonicienne du monde, dans laquelle deux mondes coexistent : l'un vrai, le monde intelligible ; l'autre faux, le monde sensible. Si l'on admet cette hypothèse, alors on peut comprendre que l'artiste qui peint une table trahit deux fois la réalité : tout d'abord il prend pour modèle un objet qui n'est qu'une reproduction de l'Idée de table, à savoir une table du monde sensible ; ensuite, il nous offre encore une copie imparfaite de cette table, puisqu'il en fait une peinture. Cet artiste offre alors à nos yeux une peinture qui n'est rien d'autre qu'une copie d'une copie et il nous montre alors quelque chose qui nous trahit deux fois sur ce qu'est le réel. Et le fait est que, pour ce père de la philosophie, ce qui vaut ici pour le peintre vaut également pour le poète. Lui aussi ne fait qu'imiter le réel, et ce, qu'il parle des mœurs de ses pairs, de leur travail, de leurs vertus ou de toutes autres choses. Aussi Platon déclare-t-il que : « le poète, par une couche de mots et d’expressions figurées, rend en quelque sorte la couleur des différents arts sans s’y entendre en rien, sinon comme imitateur, de sorte que pour ceux qui ne regardent qu’aux mots, avec la mesure, le nombre et l’harmonie de son langage, il semblera avoir parlé très pertinemment, soit qu’il s’agisse de cordonnerie, ou de la conduite des armées, ou de tout ce qu’on voudra ; tant il y a naturellement de prestige dans la poésie ! »14 En conséquence, il convient de chasser le poète de la cité, car si, - comme Platon le pensait -, le vrai est le bien, alors le faux est une faute et un tel pouvoir d'imitation constitue un véritable crime de « lèse-réalité ». D'où cette condamnation qu'on trouve dans le livre III de La République : « Si jamais un homme habile dans l'art de prendre divers rôles et de se prêter à toutes sortes d'imitations, venait dans notre État et voulait nous faire entendre ses poèmes, nous lui rendrions hommage comme à un être sacré, merveilleux, plein de charmes, mais nous lui dirions qu'il n'y a pas d'homme comme lui dans notre État, et qu'il ne peut y en avoir; et nous le congédierions après avoir répandu des parfums sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes »15.

Tel est donc le sort que Platon réserve aux poètes, et telle est, dans la tradition philosophique, la base sur laquelle va se construire la relation du philosophe au poète. On admettra que la relation commence sur de mauvaises bases, et qu'il est difficile de blâmer le poète pour la méfiance qu'il nourrit à l’égard du philosophe.


Cela étant posé, qu'on approuve ou non la condamnation platonicienne de la poésie, l'on doit constater que celle-ci va laisser des traces et imprégner l'opinion commune de cette marque : il faut se garder de penser que le poète puisse connaître la vérité, car entraîné par la passion du sensible et par les pièges du langage, le poète croit parler de la vérité, mais il ne parle que des apparences. Il est fasciné par les impressions sensibles dès lors qu'elles lui paraissent belles. Le poète est l'homme à cause de qui les ombres projetées sur le fond de la caverne sont idolâtrées et deviennent des dieux. Il manque au poète une démarche rationnelle qui lui permettrait de s'élever à l'abstraction. Baignant dans la sensibilité, ses idées sont balancées dans une direction ou une autre comme un radeau au fil des courants. Ses pensées sont toutes sacrifiées aux impressions passagères qui agitent son cœur et flattent son œil. De la vérité, il ne peut donc rien dire, puisqu'il ne parle que des apparences.

Le philosophe est ainsi assez naturellement poussé à considérer le poète avec un certain dédain mais il serait injuste de juger le philosophe trop sévèrement, car la critique littéraire s'en charge et ne se prive pas de lui rappeler à quel point son insensibilité le rend étanche à toute finesse d'esprit. Ainsi Baudelaire écrit-il, il est vrai, au sujet de Fourier que « son cerveau était trop épris d’exactitude matérielle pour ne pas commettre d’erreurs et pour atteindre d’emblée la certitude morale de l’intuition. » Si le philosophe juge le poète incapable de raisonnement abstrait, le poète traite le philosophe de tâcheron inapte à s'extraire des causalités froides. Dans ce divorce intellectuel, les torts et les responsabilités sont tout de même partagés, et l'on sait combien il serait difficile de déterminer « qui a commencé le premier. »

Il en ressort en tout cas que ces deux types de discours semblent en inadéquation, et qu'ils apparaissent de prime abord comme impliquant des stratégies incompatibles ainsi que des buts opposés. Pourtant, nous allons aisément constater que ces sentences sont assénées avec un certain empressement. Car, à vrai dire, il n'est pas assuré que la philosophie soit aussi rationnelle qu'elle le prétend souvent, ni que la poésie soit aussi passionnée qu'on voudrait nous le faire croire.



B. Le problème que pose la poésie n'est pas tant celui du culte de l'apparence que celui du manque de méthode


On a tendance à reprocher à la poésie de mettre la beauté, et ainsi la sensibilité qui l'appréhende, au-dessus de la vérité, et à la placer dès lors dans le domaine des passions. Ce faisant, on la met fréquemment en parfaite opposition avec la philosophie, censée incarner le règne de la raison. On pourrait cependant estimer cette hypothèse abusive, car à bien y regarder, quelle philosophie est réellement sans passion et quelle poésie est tout à fait sans raison ?

Platon lui-même, tend à faire se rejoindre le goût de la beauté et l'attrait pour la philosophie. Dans Le Banquet, il développe une dialectique de l'amour, ou érotique de la connaissance, qui fait de la beauté un moteur vers la vérité. Dans ce dialogue, Platon fait parler Socrate, et ce dernier rapporte le discours de Diotime qui s'exprimait ainsi : « le vrai chemin de l'amour, qu'on l'ait trouvé soi-même ou qu'on y soit guidé par un autre, c'est de commencer par les beautés d'ici-bas, et les yeux attachés sur la beauté suprême, de s'y élever sans cesse en passant pour ainsi dire par tous les degrés de l'échelle, d'un seul beau corps à deux, de deux à tous les autres, des beaux corps aux beaux sentiments, des beaux sentiments aux belles connaissances, jusqu'à ce que, de connaissances en connaissances, on arrive à la connaissance par excellence, qui n'a d'autre objet que le beau lui-même, et qu'on finisse par le connaître tel qu'il est en soi. »16 Ainsi l'on commence par être attiré par de beaux corps, puis, l'on découvre alors la beauté de l'âme. Une fois cette beauté intellectuelle découverte, on s'élève encore à la beauté pure, qui est la beauté intelligible. Car la beauté sensible est un reflet sensible du beau intelligible, qui apparaît ainsi sous une forme que tout le monde peut reconnaître. L’Amour, qui est désir du beau, permet ainsi à ceux qui savent s’en saisir de s’élever à la contemplation des beautés plus élevées que sont celles du monde intelligible. L'amour et la beauté amènent ainsi l'individu à passer du sensible à l'intelligible, de la passion à la raison. Qui plus est, l'Idée de Beau, de Bien, de Juste et de Vrai sont chez Platon d'une profonde parenté, et l'une nous porte tout naturellement vers les autres. Dès lors, il appert que ce serait une grande injustice que de condamner absolument la beauté, cette beauté qui est toujours le signe, l'indice de la présence de la vérité. Et il serait difficile de prétendre que la philosophie se défende totalement de la passion, puisque l'Amour lui-même est « amoureux de la sagesse, c'est-à-dire philosophe »17. Si Platon condamne la poésie, ce n'est pas parce qu'elle ne s'intéresse qu'à la beauté, mais parce qu'elle aurait tendance à ne s'arrêter qu'aux apparences, parce qu'elle serait assujettie aux beautés sensibles et qu'elle ne parviendrait pas à s'élever à la beauté véritable : la beauté du monde intelligible.

À l'inverse, il faut peut-être admettre que la poésie n'est pas aussi irrationnelle qu'on la prétend souvent. Si la beauté peut être vue comme la source de la poésie, elle ne lui suffit cependant pas à elle seule. Le poète (et l'artiste, en règle générale), ne se tient pas devant la beauté comme une vache devant un train ou comme un adolescent devant un magazine prohibé : il met en forme et donne à voir ; il ne se contente pas de trouver la beauté, il la devine et la découvre. Il cherche, en réalité, la vraie beauté : celle qui se cache derrière les apparences. Et c'est pourquoi le paradigme de la mimésis en art est quasiment toujours inopérant. Il est par conséquent toujours bon de rappeler avec Paul Klee que « l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »18 Ainsi la sensibilité en poésie est-elle d'une importance relative et ne fait pas tout. Platon pensait que le poète ne devait ses œuvres qu'à une sorte d'inspiration mystique. Pour ce philosophe, le poète est un « enthousiaste », au sens étymologique, en cela que le poète est un être qui est possédé par les dieux : « le poète est un être léger, ailé et sacré : il est incapable de chanter avant que le délire de l'enthousiasme arrive, (…) ce n'est point l'art, mais une inspiration divine qui dicte au poète ses vers, et lui fait dire sur tous les sujets toutes sortes de belles choses »19. Mais c'est là une interprétation très personnelle de l'inspiration poétique, qui nie radicalement le travail en amont effectué par tout artiste. Car pour que la sensibilité d'un poète tombe juste, encore faut-il qu'il exerce celle-ci, qu'il la guide et la contraigne par un travail constant de la raison : « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens »20 écrit Rimbaud dans sa célèbre Lettre du Voyant. On soulignera ici que c'est par un dérèglement raisonné que le Poète doit parvenir à cette prescience. Il ne s'agit pas seulement de s'enivrer et d'aller convoler avec les illusions, il s'agit de dérégler les sens pour se détacher du monde sensible auquel ils sont attachés. Baudelaire, pour sa part, décrit ainsi l'inspiration poétique : « La sensibilité de cœur n’est pas absolument favorable au travail poétique. Une extrême sensibilité de cœur peut même nuire en ce cas. La sensibilité de l’imagination est d’une autre nature ; elle sait choisir, juger, comparer, fuir ceci, rechercher cela, rapidement, spontanément. C’est de cette sensibilité, qui s’appelle généralement le Goût, que nous tirons la puissance d’éviter le mal et de chercher le bien en matière poétique. »21 Bien plus qu'à la sensibilité délurée et au cœur, c'est au goût et à l'imagination que le poète fait appel. Pour Baudelaire, si le poète ne faisait que se laisser aller à ce que son cœur lui dictait, il n'aurait pas la capacité de juger du bien et du mal poétique, et il manquerait ainsi la vraie poésie. Assimiler la poésie à la passion, à la sensibilité, c'est donc se tromper et manquer l'art véritable, qui consiste toujours, – pour reprendre une métaphore nietzschéenne –, en un dosage savant de l'apollinien et du dionysiaque. Il semble nécessaire que la poésie s'appuie sur le goût et sur l'imagination, car sans ces deux termes, il n'y a pas de mise en forme des passions, il n'y a pas d'harmonisation de la sensibilité, et il n'y a donc pas de beauté véritable possible.

La critique platonicienne prendrait donc pour cible une conception très sommaire de la poésie. Son attaque porte sur une poésie superficielle, qui se réjouit de beautés plates, qui jubile à l'imitation opiniâtre de données sensibles. Elle semble donc très éloignée de ce qu'est réellement la poésie. Car la vraie poésie ne se contente pas de parler du beau dans la banalité, elle cherche à montrer le beau en soi, elle cherche à montrer ce qu'il y a de réellement beau sous les effronteries de la nature : « Car j'ai de chaque chose extrait la quintessence, / Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or » écrit Baudelaire.22 Le poète, à la manière du dialecticien, cherche à mettre en lumière une beauté idéale derrière les fourberies du sensible. La poésie dévoile des beautés que les yeux du profane ne décèlent pas. C'est pourquoi Baudelaire peut écrire un poème sur une charogne se décomposant : parce que cette charogne n'est pas, pour celui qui sait la regarder, qu'une carcasse répugnante. S'il ne s'agissait que de se remémorer cette pensée, cela ne serait que laideur donnée en pâture à un esprit vicié. Si ce poème, « Une charogne », a quelque intérêt, c'est parce qu'il amène à notre pensée une autre plus haute, celle qui permet de dire à la vermine : « Que j'ai gardé la forme et l'essence divine / De mes amours décomposés ! »23. Et la curieuse ambiguïté de ce poème, c'est qu'il faut pour en apprécier tout le sel, n'être pas vraiment platonicien, et pourtant dans le même temps, l'être tout à fait.

Il ne faut point l'être, parce qu'il faut comprendre que le poète ne se contente pas de nous décrire cette « charogne infâme »24 qu'il rencontra « au détour d'un sentier »25, et qui, si ce n'était que cela, n'offrirait au lecteur qu'un sentiment désagréable et une imitation décevante. Car si vraiment un individu voulait soulever son cœur d'idées nauséabondes qui le pousseraient au vomissement, ce n'est pas à la poésie qu'il devrait s'en remettre, – elle qui, en ce domaine, ne pourrait effectivement que proposer une pâle copie de la nature –, mais à la réalité sensible la plus abrupte. Qu'il prenne sa matinée pour s'en aller promener à l'abattoir le plus proche de chez lui : il cueillera des impressions autrement plus violentes, plus saisissantes et plus vomitives qu'en ce poème finalement bien édulcoré. Il faut donc n'être point platonicien, pour admettre que le poème ne sert pas ici qu'à imiter un événement vulgaire et répugnant, mais qu'il vise à quelque chose de plus haut. Mais il faut être radicalement platonicien pour saisir la pensée à laquelle Baudelaire veut nous élever : « la forme et l'essence divine »26 des « amours décomposés »27. Car il s'agit ici, à partir de cette rencontre fortuite avec cette charogne, de s'extraire des données sensibles que celle-ci nous transmet, pour s'élever à « la forme et l'essence divine » ; il s'agit d'échapper aux ravages du temps qui décomposent les amours pour parvenir à se ressouvenir de leur éternité. Le but est ainsi très voisin de celui qui pousse le sage à devenir dialecticien pour mettre en œuvre la réminiscence chère à Platon.

D'après ce philosophe, l'âme humaine, déchue, ne peut plus contempler les Formes Intelligibles que par un acte de remémoration : elle doit saisir dans le sensible quelque chose qui lui rappelle sa condition antérieure pour s'élever à nouveau à cette condition. C'est ce que Platon appelle la « réminiscence ». La méthode qu'il propose pour activer cette réminiscence est la dialectique : un dialogue philosophique répondant aux critères de la raison. Il semblerait qu'ici, le poète propose une autre voie pour atteindre un but semblable. Baudelaire fournit un accès direct à cette réminiscence par le biais d'un poème. Sa poésie entre alors en parfaite résonance avec le point de vue de Schopenhauer pour qui l'art est : « une connaissance spéciale qui s’applique à ce qui dans le monde subsiste en dehors et indépendamment de toute relation, à ce qui fait à proprement parler l’essence du monde et le substratum véritable des phénomènes (…). Son origine unique est la connaissance des Idées ; son but unique, la communication de cette connaissance. (…) Il arrête la roue du temps, les relations disparaissent pour lui ; ce n’est que l’essentiel, ce n’est que l’Idée qui constitue son objet. »28 La poésie ressemble alors à un platonisme sans dialectique, à une philosophie qui ne répond pas de ses raisons.

Entre le philosophe et le poète, la différence semble ici être plus de méthode que d'objectif. Là où Platon cherche à nous hisser à la vérité par un cheminement dialectique fastidieux, Baudelaire nous propose d'obtenir une intuition crue de cette vérité par le biais d'un poème.

Si l'on se place de ce point de vue, le problème que pose la poésie est bien plutôt un problème de confiance : elle vise la vérité en passant par la beauté, mais en puisant dans le sensible, elle ne garantit pas la véracité de son discours. Elle peut bien nous faire croire à une vérité qui n'en est pas une parce qu'elle nous aura séduits. Car comment distinguer une beauté authentique d'une séduction maligne ? L'impression que laisse en nous la beauté n'est pas un critère suffisant pour juger si cette beauté nous porte vers la vérité, ou si elle ne fait qu'en porter une marque lointaine. Le poète donne à voir un tableau et nous impose son point de vue, et ce faisant, il peut nous séduire par son beau langage. Des formules flattant notre sensibilité peuvent nous donner un sentiment trompeur de vérité. A l'image du tableau de peintre, le poème constitue un système parfaitement clos sur lui-même et imperméable aux objections extérieures qui ne permet pas de « creuser la question » et nous impose de rester en surface : en effet, comment faire une objection à un tableau ? comment l'obliger à rendre raison de ce qu'il avance ? comment lui soutirer des preuves ? Par conséquent : comment être certain que le poème ne ment pas ?

Cela semble impossible, et le même poème qui nous a, – semble-t-il –, hissé d'un seul coup vers le monde intelligible, peut tout aussi bien nous avoir aveuglé par une commotion sensible. D'où la posture du philosophe : un discours qui prétend nous mener vers la vérité doit pouvoir rendre raison de ce qu'il avance. Qu'il soit rationnel dans sa forme est une chose, mais il importe encore plus qu'il le soit dans son ouverture à autrui. Il faut que le discours vers la vérité soit ouvert aux critiques et qu'il puisse répondre à ces critiques. Et l'on retrouve ici Platon et la prétention de la philosophie à incarner le seul discours pouvant réellement aborder la vérité. La dialectique, qui, pour Platon, est la vraie philosophie, sera ce discours attaché à prendre en compte les objections et à y répondre. Comme il l'écrit dans La République, la dialectique est la seule science à pouvoir « rendre raison »29 de ses hypothèses et de ses conclusions. Il y a donc dans le discours philosophique un vœu de probité, une volonté de parvenir à ce que nos démocraties contemporaines cherchent en vain : la « transparence ». Avec le poète, on est comme avec le politicien : il nous dit des choses, et il faut le croire sur parole. Le sophiste dit que « Les caisses de l'État sont vides ! », et le citoyen est obligé de le croire, parce que le rhéteur avait les larmes aux yeux, et que le citoyen ne peut recompter. Le poète dit que « L'Internationale / Sera le genre humain » et le prolétaire est porté à le croire, parce que ça sonne bien, et parce qu'Eugène Pottier n'explique pas ce qu'est « l'Internationale », et encore moins ce que pourrait bien être « le genre humain. » Par contre, quand Platon fait dire à Socrate : « Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, (...) il n'y aura de cesse, mon cher Glaucon, aux maux des cités »30, ce cher Glaucon a le droit de faire remarquer à Socrate que : « après avoir proféré semblable discours, tu dois t'attendre, Socrate, à voir beaucoup de gens - et non pas sans valeur - jeter, pour ainsi dire, leurs habits, et nus, saisissant la première arme à leur portée, fondre sur toi de toutes leurs forces, dans l'intention de faire des merveilles »31. Et Glaucon peut donc légitimement attendre de Socrate qu'il « les repousse avec les armes de la raison »32 ou bien qu'il apprenne « ce que railler veut dire »33.

Cependant, certains penseurs, - et même certains philosophes -, affirment que la philosophie n'est pas capable d'une telle probité, et qu'elle se fourvoie quand elle prétend y parvenir.



C. La poésie : plus honnête et moins prétentieuse que la philosophie ?


Tout d'abord, on pourrait facilement arguer du fait que les démonstrations philosophiques sont bien trop empreintes des avaries du langage pour pouvoir réellement prétendre à la vérité. Descartes en est un bon exemple : lorsqu'il écrit « Je pense donc je suis », il croit affirmer quelque chose d'irréfutable. Pourtant, comme l'a déjà largement expliqué le philosophe au marteau, il tombe dans le piège de la grammaire : « c’est une falsification de l’état de fait que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ». Ça pense : mais que ce « ça » soit précisément le fameux vieux « je », c’est, pour parler avec modération, simplement une supposition, une affirmation, surtout pas une « certitude immédiate ».»34 La langue nous trompe, et en se fondant sur celle-ci, toute philosophie peut être considérée comme suspecte, car comprimée dans des jeux de mots qui lui échappent et qui l'emprisonnent.

Qui plus est, le langage n'est jamais neutre, il n'est jamais pur : l'assimilation du langage constitue un processus psychologique mêlant rationalité et affectivité, et il est donc impossible de parler, d'écrire ou de lire sans que sa sensibilité surgisse d'une manière ou d'une autre. Le vocabulaire que nous mémorisons s'imprime en nous grâce aux liens affectifs que nous développons et aux référents culturels traversant la langue. Sans affectivité, il n'est pas de langage possible, sans message subliminal, il n'est pas de message du tout. Dès lors, ces émotions, ces sentiments qui ont conditionné l'apprentissage d'un mot ou d'une tournure de phrase ressurgiront d'une manière ou d'une autre à chaque fois que nous les emploierons. Prétendre tenir un discours objectif, prétendre s'exprimer sans que son individualité ne transparaisse, ce ne peut être que mentir ou s'illusionner.

Ainsi, il se pourrait bien que le philosophe ne soit pas aussi probe qu'il veut le faire croire. À dire vrai, il est possible qu'il se trompe lui-même sur ses propres intentions, et que sa volonté d'objectivité rationnelle ne soit jamais rien d'autre qu'un vœu pieu. « Pour expliquer comment au juste, se sont constituées les affirmations métaphysiques les plus poussées d'un philosophe, il est bon (et prudent) de toujours commencer par se demander : à quelle morale veut-on (veut-il –) en venir ? »35 écrivait Nietzsche. Car la raison est faible et ne parvient pas nécessairement à ses fins. Elle cède facilement devant les exigences du corps, sous le joug d'un inconscient despotique, et parvient à donner aux désirs les plus absurdes les apparences de la rationalité. La logique n'est peut-être pas ce qu'elle prétend être, elle n'est peut-être qu'une illusion octroyant à un esprit rationnel l'espoir d'une compréhension de ce monde. Peut-être que « les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont »36, et alors, ces édifices de logique ne sont plus rien d'autre que de branlantes bâtisses reposant sur l'espoir d'un monde stable et d'un esprit stabilisé. Ce qui ferait fonctionner les rouages de la réflexion philosophique, ce ne serait alors pas le cheminement de l'objectivité vers la vérité, mais le diktat d'un pouvoir inconscient qui tisse son désir sur les parois de la raison humaine : « Derrière tes sentiments et tes pensées, mon frère, se tient un maître plus puissant, un sage inconnu - il s'appelle soi. Il habite ton corps, il est ton corps »37 s'écrie Zarathoustra dans l'ouvrage de Nietzsche. Le philosophe, faisant taire en lui le désir d'un certain système de valeur, pourrait finalement y revenir malicieusement, par le truchement de raisonnements alambiqués, sans se rendre compte lui-même des paralogismes qui guident sa réflexion.

Nietzsche va plus loin encore, et déclare que « le philosophe n’est que le développement du type sacerdotal »38 : il incarne l'apogée d'une forme de mortification balisée par la volonté de néant. Fatigué par la vie, le philosophe se réfugie dans l'idéal ascétique, dans cet idéal qui, écrit Nietzsche, « a sa source dans l’instinct prophylactique d’une vie dégénérescente qui cherche à se guérir, qui, par tous les moyens, s’efforce de se conserver, qui lutte pour l’existence »39. Socrate et ses successeurs sont ainsi avant tout des hommes malades qui sont pris de dégoût à l'égard de toute sensualité. Pour lutter contre cet écœurement vis-à-vis du monde tel qu'il est, pour esquiver cet univers embourbé dans une sensualité qu'ils qualifient tant bien que mal de « sensibilité », ils s'inventent un monde d'abstractions logiques qu'ils prétendent être le « vrai » monde et ils s'y réfugient. Dans ce refuge, ils apprennent peu à peu l'esprit de pesanteur qui chapeautera leur discours. Inaptes aux plaisirs de la vie, ils font du sérieux une vertu afin de justifier leur existence : petit à petit, le style disparaît de leurs écrits afin de ne pas parasiter la recherche de la vérité, la quête du savoir perd toute gaieté et se pare du manteau de l'austérité. Ils inventent ainsi un système rationnel à travers lequel ils croient percevoir le monde tel qu'il est réellement. Mais en réalité, peu importe qu'ils décrivent ou non le monde tel qu'il est. Ce qui est important, c'est que de cette manière – et sans s'en rendre compte par ailleurs –, ils optimisent leur puissance et tirent le maximum d'eux-mêmes. Ils sont les jouets de leur corps malade qui « sent » instinctivement quel regard ils doivent tourner sur le monde pour mieux dominer ce monde : ils échafaudent des « erreurs-utiles » propices à leurs conditions d'existence, car « connaître, c’est comprendre toute chose aux mieux de nos intérêts. »40 Voilà pourquoi, devant l'idéal ascétique « le philosophe sourit, comme à un optimum des conditions nécessaires à la spiritualisation la plus haute et la plus hardie, — par là il ne nie pas « l’existence », il affirme au contraire son existence à lui, et seulement son existence »41.

Mais ces spéculations rationnelles ne font qu'éloigner un peu plus le philosophe de la vie humaine. En cherchant à « apprendre à mourir » on décèlera peut-être que le désir profond du philosophe, son souhait inconscient, c'est uniquement de mourir. Car « apprendre à mourir », c'est apprendre à « mourir au monde sensible », c'est apprendre à détacher ses sens des apparences pour regarder le vrai bien. Mais pour que cette expérience du détachement ait un sens, encore faut-il que le monde du « vrai bien » existe. Si l'on se contente de mourir au monde sensible et qu'il n'existe pas d'autre monde, alors on ne fait rien d'autre que mourir. L'idéal ascétique du philosophe serait ainsi une volonté de mort qui ne se connaîtrait pas elle-même, qui emprunterait des chemins détournés et qui parviendrait à la mort malgré elle. Elle parachèverait le cheminement du nihilisme passif que Nietzsche décrit dans nombre de ses ouvrages. En cherchant à « percevoir les choses sous la forme de l'éternité »42, le philosophe abandonne le monde tel qu'il est, il laisse de côté le monde du devenir, il le condamne, et proclame ainsi son suicide. Les philosophes pèchent par « égypticisme »43 : « Ils croient faire honneur à une chose en la dégageant de son côté historique, sub specie aeterni, — quand ils en font une momie. (...) Ils mettent tout en danger de mort lorsqu’ils adorent »44, car pour le philosophe aux prises avec l'idéal ascétique : « Ce qui est ne devient pas ; ce qui devient n’est pas... »45. Le résultat de la démarche philosophique n'est donc plus de nous enseigner comment bien vivre, mais finalement de nous apprendre à mourir au sens propre. Plus qu'une recherche de la vérité, c'est une vengeance contre la vie qui s'exprime par la philosophie : « Socrate voulait mourir : — ce ne fut pas Athènes, ce fut lui-même qui se donna la ciguë, il força Athènes à la ciguë... »46

Parallèlement à cela, la démarche épistémique qui consiste à exclure le réel du devenir est tout de même déroutante, car le devenir constitue nécessairement une partie du réel, si ce n'est l'intégralité de celui-ci. On constatera donc chez le philosophe cet étrange comportement qui consiste à rechercher la vérité, à constater que le devenir est partout, et à en déduire que « la vérité est ailleurs », incapable qu'il est d'analyser rationnellement le devenir. Le raisonnement philosophique ressemble ainsi à la version métaphysique de la théorie du complot : dans le devenir, les données que nous possédons ne satisfont pas nos hypothèses, les données sont donc cachées ailleurs, et cet ailleurs, c'est l'Être, cette chose idéale, nécessaire et indivisible, qui constitue une sorte de « protocole des sages de Sion métaphysique. » Il appartient donc au philosophe de fantasmer sur cet Être pour rendre compte du réel. Mais, alors, l'on pourrait légitimement se demander si la description du réel que nous donne le philosophe est autre chose qu'une pure spéculation. Car le philosophe a tendance à aplanir le réel dans une pensée de système bien unifié et identique à elle-même de toute éternité. Il cherche à faire en sorte qu'il y ait une description du monde valide, et pour ce faire, il est amené à éreinter le devenir, à considérer un point de vue comme vrai et les autres comme faux. Ce faisant, l'interprétation du monde qu'il nous fait parvenir ne fonctionne qu'à la condition qu'elle tourne en vase clos. Par souci d'objectivité, le philosophe tend à tronquer le réel, - qui est mouvant, qui subit le mouvement de la vie -, en n'en conservant qu'une parcelle figée qui constituera son système. Ce qui reste est désavoué et marqué du sceau de la fausseté. Mais cela ne va pas sans poser problème, car ce qui reste, pour la grande majorité des individus, c'est le seul monde dans lequel ils vivent. C'est le seul monde dans lequel il se passe des choses qui les concernent. D'où cette maxime de Nietzsche à l'égard des philosophes : « Je me méfie de tous les gens à systèmes et je les évite. La volonté du système est un manque de loyauté. »47


À l'opposé de cela, l'on pourrait considérer que la poésie, qui ne cherche pas à disséquer et à démonter les rouages de la vérité, mais qui se contente de l'aborder au détour d'un poème, fait bien plus preuve de loyauté. En ne cherchant pas à démontrer, mais en se contentant de montrer, la poésie donne à voir d'une manière qui respecte le devenir : elle peut se prévaloir d'être perspectiviste. Elle n'impose pas une vérité éternelle, elle propose un point de vue, et ce dernier n'a pas la prétention de se soustraire au temps. Le poète décrit une certaine chose, d'une certaine manière, et à un certain moment. Il l'aurait peut-être décrite autrement s'il l'avait rencontrée à un autre moment, et peut-être même qu'il n'en aurait absolument pas fait mention. Car le poète ne nie pas les impressions fugaces qui animent sa plume. Bien au contraire, il prend appui sur elles pour s'élever. En écrivant un poème plutôt qu'un discours philosophique, il ne démontre pas, il interprète. Le poète accepte que le monde n'est « pas assez énigme pour chasser de lui l'amour des hommes, pas assez solution pour endormir la sagesse des hommes »48. En se contentant de faire le jeu de la beauté, il ne s'abandonne pas aux arguties des définitions, qui tiennent de l'illusion rationaliste. Il aborde le réel comme on fait sa cour, comme un troubadour au jeu du fin'amor, en gardant à l'esprit que le monde est peut-être « une femme qui a des raisons de ne pas vouloir montrer ses raisons »49. Baudelaire affirme d'ailleurs que lorsque le poète prend un ton didactique, il perd ce qui fait sa grandeur : « En décrivant ce qui est, le poète se dégrade et descend au rang de professeur ; en racontant le possible, il reste fidèle à sa fonction ; il est une âme collective qui interroge, qui pleure, qui espère, et qui devine quelquefois. »50 Ainsi, si la poésie propose un tableau sans en rendre raison, plutôt que de la condamner pour cela, peut-être devrait-on la louer, car, pour reprendre les mots de Cioran : « Elle a – comme la vie – l'excuse de ne rien prouver. »51

Et l'honnêteté de la poésie, elle réside aussi en cette parenté avec la vie, qui reste finalement, pour la plupart des gens, le seul vrai problème. Dans le jeu de la vie et de la vérité, la poésie prend peut-être plus le parti de la vie que la philosophie, qui, pour sa part, « n’est peut-être pas éloigné de ce vœu criminel : pereat Mundus, fiat philosophia, fiat philosophus, fiam !… »52. Mais peut-être, ici encore, devrait-on féliciter la poésie plutôt que la blâmer. Car à quoi bon la vérité si celle-ci ne sert pas la vie ? A vrai dire, l'on pourrait supposer que la vie et la vérité, loin d'être des alliés, pourraient tout simplement être incompatibles : « L'art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité »53, écrivait Nietzsche, car la vérité n'est peut-être tout simplement pas bonne à voir. Il nous faut trouver les moyens de l'adoucir, et l'artiste est celui qui donnera à voir ce qui est beau en ce monde, et qui défie ainsi la vérité crue. Le poète pourrait donc avoir le rôle d'apprivoiser la vérité et de nous la rendre supportable en lui conférant la beauté. Il se peut que ce soit une pure illusion, comme il se peut que cela relève de l'alchimie, d'une opération thaumaturgique par laquelle le poète saisit la boue du monde et en fait de l'or. Dans tous les cas, il est probable que cela soit une nécessité sans laquelle l'être humain ne pourrait survivre.

C'est également la raison pour laquelle le poète peut s'autoriser ce que s'interdit le philosophe systématique que Nietzsche attaque : le style. Les philosophes que Nietzsche considère comme emblématiques bannissent le style de leurs écrits parce qu'ils seraient emprisonnés dans le carcan sacerdotal. Ils chercheraient à éviter le piège du langage en cultivant la rigueur du discours, en exposant leur pensée à la manière d'une démonstration scientifique. Ils traiteraient le style comme un luxe dangereux, qui nous détournerait de la quête de vérité en faisant vibrer notre corde sensible. Mais le poète, comme le poète-philosophe qui s'exprime chez Nietzsche, parce qu'il épouse la diversité du réel, parce qu'il croit plus au perspectivisme qu'à la pensée de système, parce qu'il veut mettre en lumière le sel de la vie plutôt que l'ennui mortel de l'éternité, le poète, pour ces diverses raisons, peut se laisser aller à embellir son discours. Et le fait est qu'une belle phrase expose parfois mieux la vérité qu'un long discours inintelligible. Le style n'est pas forcément un luxe, et il est bien souvent le coup de marteau qui enfonce le clou de l'idée dans le bois de la psyché. Nombreux sont les philosophes qui ont choisi l'aphorisme ou la maxime comme style d'écriture afin de mieux rendre raison de leur philosophie. Nietzsche se targuait de pouvoir « dire en dix phrases ce que tout autre dit en un volume »54; et il ne s'agit pas que de l'indolence d'un esprit dérangé, mais bel et bien d'une stratégie réflexive propre à surmonter le systématisme abscons et la pesanteur dogmatique. Chaque aphorisme nietzschéen est un concentré de philosophie qu'il faut déployer. Sa force réside dans le fait qu'en heurtant l'esprit par des formulations stylisées, il invite à méditer ; en stimulant le lecteur, en l'interloquant, en le séduisant, il laisse une trace dans son esprit, et celui-ci, alors, sera porté naturellement à revenir sur cette trace, à la suivre et à l'explorer, découvrant alors les ramifications cachées du message. L'usage du style est ainsi une technique ayant fait ses preuves et l'on sera nombreux à témoigner que l'alliance de la beauté et de la réflexion produit des effets durables et fructueux sur l'intelligence. Prenons par exemple les pensées de Pascal : « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. »55 Cette phrase, on peut l'avoir parcourue très jeune et s'en souvenir toute la vie, si bien qu'à chaque instant, on peut être amené à la méditer à nouveau, et ce, depuis son plus jeune âge. En comparaison, combien de temps, combien de lectures faut-il avant de se souvenir d'une phrase de la Critique de la raison pure ? On lit Kant par devoir, alors que l'on parcourt Pascal par passion : c'est la raison pour laquelle le premier est rarement lu et est souvent incompris, alors que le second est rarement compris, mais est souvent lu. Le grand chinois de Königsberg, d'ailleurs, avait lui-même bien senti qu'il fallait parfois arrêter de chinoiser pour être entendu de l'entendement, et à l'occasion, il prenait le temps d'écrire des maximes sensées condenser ses impératifs catégoriques : signe qu'on n'échappe jamais au style, même si l'on n'en fait pas son arme de prédilection. C'est là chose que les poètes ont bien comprise, et qu'ils ne feignent pas d'ignorer : ils savent que l'essentiel est de mettre « De la musique avant toute chose »56, car « sans musique, la vie serait une erreur »57 et alors, il n'y aurait plus de pensée profonde, il n'y aurait plus de danse de l'esprit avec le devenir, il n'y aurait plus que de la « littérature ».

Ainsi, par ce jeu de l'élégance du discours et par ce regard perpétuellement tourné vers le monde tel qu'il apparaît aux hommes, la poésie apparaît comme plus proche de l'existence humaine que la philosophie. Elle aide les hommes à vivre sans chercher à les détourner de leur monde. Elle est tournée vers l'existence, et non crispée sur l'idée pure. Elle cherche à rendre meilleur ce qui est ici et maintenant, et ne se focalise pas uniquement sur ce qui pourrait être, ailleurs, et dans l'éternité. Et pour ces raisons, on pourrait la dire supérieure à la philosophie. On pourrait la trouver plus honnête, car moins prétentieuse ; et plus sincère, parce que plus sensible. On pourrait dire qu'elle rend plus service à l'être humain, dont l'unique souci est généralement de parvenir à bien mener la barque de sa vie sur les torrents du monde.


Cependant, encore faut-il nuancer ce propos. Car la critique acerbe que Nietzsche fait de la philosophie concerne-t-elle vraiment toute la philosophie ? Cela n'est pas assuré. Et à dire vrai, l'on pourrait arguer que Nietzsche lui-même manque de probité. En effet, est-ce qu'il n'isolerait pas une tendance philosophique particulière pour en faire le paradigme de toute philosophie ? L'attaque qu'il lance contre les philosophes, ne devrait-on pas la réserver aux philosophes dogmatiques, aux idéalistes et aux aficionados de la pensée de système ? Il est spécieux d'affirmer que tous les philosophes haïssent la vie au plus haut point en vertu d'une propension à user de la raison. Il semble exagéré d'affirmer que le type sacerdotal englobe toute forme de philosophie. D'ailleurs, si tel était le cas, il faudrait soutenir que Nietzsche appartient lui aussi au type sacerdotal, ou bien qu'il n'est pas philosophe du tout. La tendance sacerdotale, la volonté absolue de vérité, le culte de la pensée systématique constitue sans doute une orientation que tout philosophe pourrait suivre, mais ce n'est certainement pas une fatalité. Il existe assurément des philosophies qui aident à mieux vivre. De nombreux philosophes n'ont pas attendu Nietzsche pour travailler l'élégance de leurs écrits ou pour se rendre compte qu'une pensée de système ne pouvait aborder le réel que de manière partielle. Aussi pourrait-on considérer que la critique nietzschéenne de la philosophie est une critique de poids, mais une critique qui ne s'adresse pas à toute la philosophie.

Voilà pourquoi ce serait aller trop vite que de déclarer que « la poésie est supérieure à la philosophie ». Il existe une certaine philosophie qui a perdu de son lustre en perdant l'homme de vue. Mais il ne faut toutefois pas oublier que dans de nombreux cas, quand les philosophes semblent se plonger dans des spéculations absconses, quand ils ont l'air de se perdre dans le ciel pour traiter des problèmes métaphysiques abstraits, ils n'ont en réalité qu'un seul but en tête : répondre à la question « comment bien vivre ? ». Car la philosophie met en avant cette douloureuse réalité : il n'y a pas de problème simple. Ainsi, lorsque l'on se demande si l'on va ou non se lever le matin, si l'on va étrangler ou non son voisin, si l'on va acheter ou non cette tarte à la fraise qui nous tente bien, ou si l'on doit ouvrir à ces témoins de Jéhovah qui nous inspirent tant de pitié, on est obligé de répondre d'abord à d'autres questions comme : suis-je libre ? existe-t-il un bien et un mal ? Dieu existe-t-il ? mon bonheur passe-t-il vraiment par là ? Et ce n'est qu'après avoir statué sur ces questions qu'on peut raisonnablement répondre aux premières, et puis alors, peut-être, prendre la décision de se lever, d'aller étrangler son voisin, pour finalement sereinement engloutir une tarte à la fraise en insultant Dieu. Car la philosophie, quand elle ne se laisse pas aspirer dans son autosatisfaction rationaliste, s'intéresse à des problèmes concrets de la vie humaine. On pourrait ainsi dire que la philosophie étudie les situations humaines, et que la poésie en donne des exemples. Contrairement aux apparences, l'une ne va pas sans l'autre. Si la philosophie n'avait rien de poétique, elle ne serait qu'une gymnastique de la raison. Mais la bonne philosophie est toujours un peu poétique, car elle parle d'homme à homme. Une bonne philosophie doit concourir à atteindre cet objectif : l'élévation de soi. Deleuze, se réclamant ici de Nietzsche, l'écrivait d'ailleurs en des termes plus crus : la philosophie « sert à nuire à la bêtise, elle fait de la bêtise quelque chose de honteux. »58 Elle nous pousse à dépasser la bêtise, parce qu'elle nous conduit à nous sentir honteux lorsque nous sommes bêtes. Et cela, elle ne le fait pas dans le but de faire prévaloir le vrai sur le faux, mais uniquement pour que nous puissions mieux vivre. La vérité ne constitue qu'un des moyens possible. Parallèlement, si la poésie n'avait rien de philosophique, elle ne serait que lavage de cerveau. Car pour être réussie, une poésie doit interpeller et provoquer un émerveillement. Le lecteur ou l'auditeur d'une poésie doit avoir l'impression que celle-ci élève son « âme » en le portant là où il n'aurait pu aller sans elle : « Le principe de la poésie est, strictement et simplement, l’aspiration humaine vers une Beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, un enlèvement de l’âme »59, écrivait Baudelaire.

Poésie et philosophie visent ainsi un objectif commun en suivant des chemins différents, et ce n'est que lorsque le philosophe oublie son but pour s’enivrer de raison qu'il se met à correspondre au stéréotype de la doxa. Quand il poursuit vraiment sa muse philosophique, il ne fait qu'y ressembler. Il peut être confondu avec un raisonneur absurde, mais il n'en est pas un : « la mystification de la philosophie commence à partir du moment où celle-ci renonce à son rôle... (…) quand elle renonce à nuire à la bêtise, à dénoncer la bassesse. »60


Ces diverses considérations sur le rapport entre la poésie et la philosophie ayant été posées, il convient désormais d'examiner plus précisément la relation de Baudelaire à la philosophie. Cette étude connaîtra trois moments. Le premier, qui s’appuiera principalement sur l’œuvre de Baudelaire, sera consacré à découvrir de quels philosophes Baudelaire a été pétri. Le second explorera plus en profondeur les deux philosophes qui semblent le plus avoir influencé l’œuvre du poète, à savoir Emmanuel Swedenborg et Joseph de Maistre. De cette analyse ressortira une question majeure : comment Baudelaire, ce poète maudit, figure de proue de la révolte et de la bohème, a-t-il pu trouver son inspiration auprès de philosophes si traditionalistes, conventionnels et réactionnaires ? Le troisième moment de ce mémoire cherchera à répondre à cette question.



  1. La philosophie au travers de Baudelaire


Le poète à qui l'on doit la consécration du spleen n'a pas écrit de philosophie. Ce n'est pas là une grande surprise, car en réalité, si les poètes, comme la plupart des littérateurs , traitent souvent de sujets philosophiques, ils ne s'immergent que rarement entièrement dans celle-ci. Toutefois, comme la grande majorité des hommes de lettres du XIXè siècle, Baudelaire avait fait ses humanités, et les noms de Platon, Aristote, Descartes, Pascal, Kant et autres Diderot ne lui étaient pas étrangers, loin s'en faut. Ainsi, ce n'est pas en pur dilettante que le poète approchait la philosophie, et l'on pourra donc considérer que les références que ce dernier fait à Socrate et à ses successeurs nous apprennent quelque chose sur la pensée philosophique de l'auteur des Fleurs du mal. C'est donc principalement au relevé de ces diverses références que nous nous emploierons dans ce chapitre. Relevé que, pour des raisons de commodités dictées par les catégories d'espace et de temps, ainsi que par les critères canoniques d'un mémoire universitaire, nous limiterons aux œuvres, en laissant de côté la correspondance.

Toutefois, avant de passer en revue ces différentes références, nous voudrions analyser – non pas de quelle manière Baudelaire s'est exprimé sur certains philosophes , mais comment il considérait la philosophie, prise en son ensemble.



A. Baudelaire et la philosophie


1. Sur une éventuelle « inculture » philosophique de Baudelaire


La tentation est grande, pour tout philosophe ou défenseur de la philosophie, de faire du poète – son comparse et son rival –, un parfait ignorant incapable de toute réflexion philosophique. En transformant le poète en être qui sent certaines vérités, mais qui n'y comprend rien et qui en parle donc de manière désordonnée, le naturel philosophe reprend le dessus sur son acolyte. Car la philosophie nous enseigne qu'il importe peu de sentir les vérités, mais qu'il importe de les comprendre. Un poète ignorant n'a alors que peu de valeur, et il est facilement relégué au rang de celui qui, chez Platon, disant le vrai sans le connaître réellement, est à peine plus proche de la vérité que celui qui est dans l'erreur. Le poète inculte est l'homme qui reste dans l'opinion et qui ne peut rendre raison de ses convictions, il est celui pour qui la conjecture tient lieu de connaissance et s'il dit le vrai, c'est par hasard, et cela ne vaut guère mieux que le faux.

On trouvera dans le Charles Baudelaire de Benjamin une remarque qui tend à faire de Baudelaire un poète de cette espèce. L'auteur rapporte les mots de Maxime Du Camp, qui donne cette description de Baudelaire : « Baudelaire avait pour un écrivain un grand défaut dont il ne se doutait guère : il était ignorant. Ce qu'il savait, il le savait bien, mais il savait peu. L'histoire, la physiologie, l'archéologie, la philosophie lui échappaient ; (…) le monde extérieur ne l'intéressait guère ; il le voyait peut-être, mais à coup sûr il ne l'étudiait pas »61. Puis, plus loin, Benjamin écrit pour sa part que : « Baudelaire était un mauvais philosophe, un bon théoricien, mais c'est seulement en tant que méditatif qu'il était incomparable. »62

Bien que courtoise, la citation de Maxime Du Camp n'en est pas moins très claire et nous pousserait légitimement à penser que Baudelaire ne comprenait finalement pas grand chose à la philosophie. Quant à celle de Benjamin lui-même, elle mêle une forme de respect à un jugement sans appel : « Baudelaire était un mauvais philosophe ».

Ces considérations sur le niveau philosophique de Baudelaire possèdent certaines vertus démagogiques non négligeables : ainsi l'élève de terminale qui aura une mauvaise note en philosophie pourra toujours se dire que c'était là une condition sine qua non pour devenir Baudelaire, et le philosophe jaloux du poète pourra se réconforter en se disant que lui, – peut-être –, il ne sait pas écrire des vers, mais lui, – au moins –, il a saisi la distinction entre noumène et phénomène.

Pour ce qui nous concerne, l'intérêt que nous trouverons à ces considérations se situera ailleurs. Nous ne statuerons pas sur la question « Baudelaire était-il bon ou mauvais philosophe ? », car nous ne croyons pas qu'il nous appartienne de formuler de tels jugements de valeur dans le cadre de notre étude. Mais nous pouvons retenir de cela que si Baudelaire était bon philosophe, il avait tendance à le cacher, et que ce n'était sans doute pas la pratique de la philosophie qui le motivait, ni d'ailleurs l'exécution de toutes ces démarches analytiques que l'on cherche à pratiquer dans les sciences humaines. L'exercice intellectuel de Baudelaire ressemblait à son style de vie de dilettante : il avait laissé de côté, – par désir ou par inaptitude –, la démarche réflexive par laquelle s'engrange et s'expose la culture intellectuelle. Benjamin écrit de Baudelaire que sa pensée souffrait d'une « agitation figée »63 et qu'il « n'avait pas à sa disposition les réserves qu'une vaste culture et une vision globale de l'histoire procurent à l'homme. »64 Il rapproche le travail littéraire de Baudelaire de sa vie de bohème et déclare que ces deux aspects ont contribué à lui forger une « existence instable. »65 Se basant sur Marx, Benjamin explique que ce sont les conditions de travail de Baudelaire qui rendent compte de son produit littéraire. « Baudelaire a possédé bien peu de ce qui fait partie des conditions matérielles du travail intellectuel » écrit Benjamin, et cela le range, d'une certaine façon, au côté de la classe laborieuse, car comme le prolétariat, Baudelaire ne possédait que sa force de travail. L'absence d'érudition philosophique dans l’œuvre du poète, que celle-ci soit voulue ou non, découle de sa vie de bohème, et pourrait ainsi être le symptôme d'une sorte de sympathie de classe à l'égard du prolétariat. Et en effet, comme l'écrivait Stirner, la bourgeoisie exige « qu'on ait une occupation sérieuse, une profession honorable, une conduite morale. Le chevalier d'industrie, la fille de joie, le voleur, le brigand et l'assassin, le joueur, le bohème sont immoraux, et le brave bourgeois éprouve à l'égard de ces « gens sans mœurs » la plus vive répulsion. Ce qui leur manque à tous, c'est cette espèce de droit de domicile dans la vie que donnent un commerce solide, des moyens d'existence assurés, des revenus stables, etc.! Comme leur vie ne repose pas sur une base sûre, ils appartiennent au clan des « individus » dangereux, au dangereux prolétariat. »66


2. Ce que la biographie nous apprend


Le regard que les autres ont pu porter sur Baudelaire nous apprend certaines choses, mais il peut également être intéressant de puiser dans sa biographie pour découvrir quel rapport ce poète entretint avec la philosophie. On y découvre notamment que l'étudiant Baudelaire ne l'appréciait pas énormément. En Octobre 1838, alors qu’il a 17 ans, il déclare que la classe de philosophie est une « classe terrible »67 et le 31 Décembre de cette même année, il écrit dans une lettre : « Il paraît que je n'ai pas du tout l'air d'un philosophe. »68 Cet adolescent turbulent ne montre apparemment pas de don particulier pour la philosophie, et cette même année 1838, il failli même redoubler sa rhétorique.

En 1852, avec quelques amis, Baudelaire fera cependant le projet de fonder une revue dont le titre aurait été Le Hibou philosophe. Cette figure du hibou pourrait ressembler à celle déjà évoquée par Baudelaire quelques mois auparavant dans son poème « Les Hiboux ». Le poète se réfère sans doute plus à une attitude stéréotypée qu'à une réelle volonté de réflexion philosophique. L'attitude des hiboux du poème des Fleurs du Mal « au sage enseigne / Qu'il faut en ce monde qu'il craigne / Le tumulte et le mouvement ; »69. Il s'agirait donc d'un retrait du monde invitant à la méditation, qui correspond d'ailleurs à une volonté de Baudelaire, à la même époque de fuir l'engagement politique. Au vu des discussions que Baudelaire et ses amis eurent sur la revue, l'on peut d'ailleurs comprendre que celle-ci se destinait à la critique littéraire. Baudelaire devait y écrire un article intitulé « De la Caricature », Baschet une étude sur Vigny, et Champfleury un article portant le titre « Souvenirs d'un musicien », et a priori, ces articles, qui réunissent des personnes connues des milieux littéraires, font peu penser à des articles sur la philosophie. Le titre de la revue ne doit donc pas nous conduire à penser que Baudelaire se serait soudainement senti investi du devoir de donner au monde une œuvre philosophique.

Le poète avait également commencé un article intitulé L'Art philosophique. Loin d'être une apologie de l'alliance de l'art et de la philosophie, l'auteur se consacre à la critique d'un mouvement pictural qui, d'après le poète, avait « la prétention de remplacer le livre, c’est-à-dire de rivaliser avec l’imprimerie pour enseigner l’histoire, la morale et la philosophie. »70 Baudelaire n'y étale pas particulièrement de culture philosophique. Il se contente de donner sa thèse sur une possible conjugaison de l'art et d'une certaine didactique, thèse qui s'avère assez radicale : « Plus l’art voudra être philosophiquement clair, plus il se dégradera et remontera vers l’hiéroglyphe enfantin ; plus au contraire l’art se détachera de l’enseignement et plus il montera vers la beauté pure et désintéressée. »71

En 1859, il est possible que Baudelaire ait véritablement projeté d'écrire un texte à teneur philosophique. Avec la sortie de son article sur Théophile Gautier, fut annoncé le projet de Machiavel et Condorcet, dialogue philosophique. Toutefois, il serait spécieux d'en tirer quelque conclusion que ce soit, car en définitive, ce projet ne vit jamais le jour. Peut-être pourrait-on en déduire que l'abandon de ce dialogue philosophique dénote du manque d'intérêt de Baudelaire pour la philosophie, mais c'est là pure spéculation, d'autant plus que ce fut loin d'être le seul projet que Baudelaire ne mena pas à terme.



3. Le point de vue général de Baudelaire sur la philosophie


Si Baudelaire n'a finalement rien écrit qui se destinait explicitement à la philosophie, il n'en reste pas moins que celle-ci transparaît à travers certains de ces textes. Nous nous permettrons ici de tracer les contours du point de vue que Baudelaire avait sur la philosophie.



a. La valeur de la philosophie


Loin de déprécier amèrement la philosophie, Baudelaire semble lui concéder une grande valeur. En 1852, il termine son article intitulé L'école païenne par cette phrase : « Le temps n'est pas loin où l'on comprendra que toute littérature qui se refuse à marcher fraternellement entre la science et la philosophie est une littérature homicide et suicide. »72 Et d'autre part, dans les Études sur Poe, il écrit que les grands romanciers sont tous un peu philosophes : « Pour me résumer, je dirai donc que les trois caractères des romanciers curieux sont : 1° une méthode privée ; 2° l'étonnant ; 3° la manie philosophique, trois caractères qui constituent d'ailleurs leur supériorité. »73 On retrouvera cette vision des choses dans le domaine de la poésie dans son article sur le Prométhée délivré de Senneville. Il y ajoutera cependant une nuance importante : le poète doit philosopher malgré lui. Ainsi peut-on lire dans cet article : « La poésie est essentiellement philosophique; mais comme elle est avant tout fatale, elle doit être involontairement philosophique. »74

Ainsi, Baudelaire n'avait peut-être « pas du tout l'air d'un philosophe » en 1838, mais cela ne l'empêchera pas plus tard de trouver une certaine noblesse à la philosophie, qui semble seule capable de nourrir une réflexion littéraire digne de ce nom et de faire les littérateurs « supérieurs ».



b. Une noblesse de la philosophie


Il est également probable que Baudelaire ait éprouvé une forte admiration pour la philosophie parce que, à la manière de la poésie, elle incarnait pour lui une sorte d'aristocratisme. Il ne s'agit pas là d'affirmer que pour Baudelaire, tout philosophe a le sang bleu, car ce n'est pas de cette sorte d'aristocratie dont il s'agit. Il s'agirait plutôt d'un sentiment de la distinction qui rappelle fortement le pathos de la distance nietzschéen, et qu'on retrouvera notamment dans la figure du dandy. Car pour Baudelaire, il existe une sorte de noblesse d'âme à s'élever au-dessus des passions grégaires et vulgaires de la multitude. Dans les Études sur Poe, il explique l'insuccès d'Edgar Poe par le fait que le public « préfère de beaucoup l'amusement et l'émotion à la plus importante vérité philosophique »75. Or, comme on l'a déjà souligné, le caractère philosophique des écrits de Poe est justement une des choses qui séduit Baudelaire. Il le séduit parce qu'il fait de Poe un écrivain « curieux », mais également parce qu'il est la marque de quelqu'un qui n'hésite pas à se détacher des hommes pour s'élever.

Il y aurait ainsi une noblesse d'âme à accepter l'isolement pour toucher des sphères plus hautes, mais si Baudelaire suggère cet esprit de détachement par souci de distinction, il n'invite pas pour autant à se séparer des hommes. Au contraire, l'âme noble observe les hommes, les étudie et les côtoie. Et elle ne va pas les chercher parmi les riches, là où tout va de soi puisque tout va bien. Elle les piste là où se terre la misère et où se trouvent les créatures les plus intéressantes pour un esprit poétique et philosophique, là où séjournent les « éclopés de la vie. »76 C'est pourquoi poètes et philosophes vont se retrouver dans les jardins publics. Car dans ces lieux, « le poète et le philosophe aiment à diriger leurs avides conjectures »77 puisqu'on y trouve « une pâture certaine »78.

Par ailleurs, se détacher des hommes est une chose, mais il faut aussi parvenir à se détacher de soi-même et accéder à une forme de flegme ironique qui pourrait ressembler à un stoïcisme chic ; tel serait aussi l'apanage de la noblesse philosophique. Dans De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, on trouve cette phrase : « Ce n’est point l’homme qui tombe qui rit de sa propre chute, à moins qu’il ne soit un philosophe, un homme qui ait acquis, par habitude, la force de se dédoubler rapidement et d’assister comme spectateur désintéressé aux phénomènes de son moi. »79 Cette « force de se dédoubler » fait évidemment penser au dandy baudelairien à qui il incombe d' « être sublime sans interruption » et qui, pour ce faire, doit « vivre et dormir devant un miroir »80. Et l'on comprend ainsi quelle part de philosophie est nécessaire à ces « héros de la vie moderne » que louait Baudelaire.

Le pauvre possède également une partie de ce flegme, en quoi il apparaît comme plus philosophe que le riche : « Le pauvre, pris en général, est bien plus philosophe que le riche, en ce qu'il montre une résignation plus prompte et plus gaie à ce qu'il considère comme un mal irrémédiable ou une perte irréparable. »81 Le pauvre ne s'alanguit pas, car ne connaissant pas le bonheur, il ne s'appesantit pas sur son malheur, qui lui est chose quotidienne. Le « naturel philosophe » que décrit Baudelaire est ainsi comparable à celui des « Bons chiens », qui, dans Le Spleen de Paris, sont baptisés des « philosophes à quatre pattes »82 : esclaves démunis que la République bourgeoise délaisse, amis « fraternels »83 du poète, ils errent sans haine entre le venin et la peine des hommes, vaquant à leurs « affaires »84, comme un Diogène ivre cherchant son tonneau.

Il existe donc pour Baudelaire une connivence de d'esprit entre le poète et le philosophe, qui réside dans une certaine noblesse d'âme à louvoyer sur le monde avec ironie et compassion.



c. L'imagination dépasse la philosophie


Avec Baudelaire, cependant, la philosophie reste en deçà de la poésie. D'après lui, il existe une forme d'intellection bien plus noble que la lente spéculation du tâcheron, une forme d'intellection qui ressemble à l'intuition. Le poète affiche un certain dédain pour le travail rigoureux et laborieux de la déduction logique. Pour Baudelaire, le travail démonstratif reste toujours en surface et ne dépasse pas le cadre scolaire d'un exposé didactique : « Qu'est-ce que des leçons ? Des axiomes, des préceptes d'hygiène, des vérités impudentes; le reste, le reste, c'est-à-dire tout, ne se démontre pas. »85 Il pense que quelque chose de plus authentique et de plus profond existe, quelque chose qui opère un détour par la Beauté pour saisir le réel, quelque chose auquel n'atteint donc pas le philosophe, obsédé par la recherche du Vrai : « Le goût exclusif du Vrai (si noble quand il est limité à ses véritables applications) opprime ici et étouffe le goût du Beau. Où il faudrait ne voir que le Beau (je suppose une belle peinture, et l’on peut aisément deviner celle que je me figure), notre public ne cherche que le Vrai. Il n’est pas artiste, naturellement artiste ; philosophe peut-être, moraliste, ingénieur, amateur d’anecdotes instructives, tout ce qu’on voudra, mais jamais spontanément artiste. Il sent ou plutôt il juge successivement, analytiquement. D’autres peuples, plus favorisés, sentent tout de suite, tout à la fois, synthétiquement. »86

Ce qui manque au philosophe, c'est « l’imagination, cette reine des facultés »87, cette « faculté quasi divine qui perçoit tout d'abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies. »88 Elle constitue une sorte de sens du goût, par lequel l'homme saisit les réalités qui ne se montrent pas. L'imagination est une sensibilité mâture qui distingue et comprend les rouages du monde. Elle dépasse la raison sans en être privée, car sans la raison, l'imagination s'effacerait devant les passions du cœur. Mais elle n'est pas que raison, car celui qui n'a que la raison ne peut que consigner dans un carnet ce qu'il observe. « Elle est l’analyse, elle est la synthèse ; et cependant des hommes habiles dans l’analyse et suffisamment aptes à faire un résumé peuvent être privés d’imagination. Elle est cela, et elle n’est pas tout à fait cela. Elle est la sensibilité, et pourtant il y a des personnes très-sensibles, trop sensibles peut-être, qui en sont privées. C’est l’imagination qui a enseigné à l’homme le sens moral de la couleur, du contour, du son et du parfum. »89 C'est ainsi l'imaginatif qui va saisir les relations entre les choses et s'élever au-dessus d'un simple catalogage empirique. C'est grâce à lui qu'un changement du regard que l'homme porte sur le monde est possible. C'est l'imagination qui va dévoiler la vérité cachée derrière les impressions sensibles, et c'est elle qui va les mettre en forme et les exprimer. « Elle décompose toute la création, et, avec les matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf. »90 Elle montre d'une certaine façon la réalité profonde de l'artiste qui s'exprime et c'est pourquoi elle est plus honnête que la prétention objective du philosophe. En ne mettant pas de côté la subjectivité, l'imagination touche à quelque chose de plus authentique. Et c'est d'ailleurs pourquoi Baudelaire condamne l'art naturaliste : « Je préfère contempler quelques décors de théâtre, où je trouve artistement exprimés et tragiquement concentrés mes rêves les plus chers : Ces choses, parce qu’elles sont fausses, sont infiniment plus près du vrai ; tandis que la plupart de nos paysagistes sont des menteurs, justement parce qu’ils ont négligé de mentir. »91 Car l'imaginatif ne prend pas la nature pour ce qui est et ce qui doit être. Il a le courage d'affronter la nature pour proposer quelque chose de meilleur, quelque chose qui incarnerait ce qui doit être, et qui, ce faisant, aurait plus de valeur et serait peut-être plus vrai que ce qui est : « Je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est, parce que rien de ce qui est ne me satisfait. La nature est laide, et je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive. »92 Le philosophe, cherchant à comprendre comment le monde fonctionne, ne peut donc proposer autre chose que ce monde. De cette manière, il ne peut réellement le percevoir, car le monde n'est vrai que par ce qu'il laisse espérer, et non par ce qu'il donne à voir sous les traits de la nature.



d. La philosophie condamnée comme péché d'orgueil


Pour clore sur ce point, nous remarquerons que si Baudelaire accordait une grande valeur à la philosophie, il n'hésitait cependant pas à condamner celle-ci. Dans son article sur L'Exposition universelle de 1855, il écrit ceci : « J’ai essayé plus d’une fois, comme tous mes amis, de m’enfermer dans un système pour y prêcher à mon aise. Mais un système est une espèce de damnation qui nous pousse à une abjuration perpétuelle ; il en faut toujours inventer un autre, et cette fatigue est un cruel châtiment. Et toujours mon système était beau, vaste, spacieux, commode, propre et lisse surtout ; du moins il me paraissait tel. Et toujours un produit spontané, inattendu, de la vitalité universelle venait donner un démenti à ma science enfantine et vieillotte, fille déplorable de l’utopie. J’avais beau déplacer ou étendre le criterium, il était toujours en retard sur l’homme universel, et courait sans cesse après le beau multiforme et versicolore, qui se meut dans les spirales infinies de la vie. »93

Ainsi la philosophie est-elle condamnée, car incapable de rendre compte de la totalité du réel. Il existe trop d'impondérables pour pouvoir prétendre avoir une vue surplombante du fonctionnement du monde. On crée un système pour s'y sentir « à son aise », mais il se retourne contre son auteur et devient une « abjuration perpétuelle ». Cette idée de la raison comme moyen d'expiation est d'ailleurs présente également dans le poème « La rançon » où l'on voit l'homme payer son dû avec « le fer de la raison »94 : signe de la déchéance d'une créature qui a désormais besoin de logique pour être au monde, mais qui use ainsi d'un instrument déficient.

La philosophie constitue le fruit de l'orgueil et de la prétention. Elle est le délire prométhéen de celui qui veut accéder au savoir absolu et qui, se faisant, oublie que la vérité n'est pas faite pour être dévoilée : « Pour échapper à l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement résigné à la modestie : je me suis contenté de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naïveté. J’en demande humblement pardon aux esprits académiques de tout genre qui habitent les différents ateliers de notre fabrique artistique. C’est là que ma conscience philosophique a trouvé le repos ; et, au moins, je puis affirmer, autant qu’un homme peut répondre de ses vertus, que mon esprit jouit maintenant d’une plus abondante impartialité. »95

D'après Baudelaire, pour être réellement impartial, il faut donc abandonner la philosophie, car ne pouvant faire autre chose que tenter d'enfermer le réel dans un système dérisoire, le philosophe ne peut échapper à la tentation de projeter ses convictions sur le monde. Pour redevenir sage, il convient donc de redevenir modeste, de s'en remettre à ses sens et à la naïveté, qui n'ont pas la prétention de soumettre le monde à la question.


Nous allons désormais étudier les références que Baudelaire fait aux philosophes dans son œuvre.



B. Références aux philosophes dans l’œuvre de Baudelaire


Nous allons ici procéder à une étape quelque peu fastidieuse, mais néanmoins nécessaire, consistant à relever les références que Baudelaire a pu faire aux philosophes dans ses écrits (outre la correspondance). Nous avons donc assez mécaniquement enregistré toutes ces références pour en faire une sorte de catalogue.

Les philosophes sont ici classés par ordre chronologique de naissance.



1. Thalès


Nous avons déjà signalé que Baudelaire faisait référence à Thalès dans notre introduction. C'est cette même référence que nous indiquons à nouveau ici, par souci d'exhaustivité. Baudelaire, dans le poème « La Voix » des Fleurs du mal, écrit ceci : « Que je prends très souvent les faits pour des mensonges, / Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous. / Mais la Voix me console et dit : « Garde tes songes ; / Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous ! »96. C'est du philosophe Thalès dont on disait que, perdu dans ses pensées à observer les étoiles, il ne vit pas le puits sur son chemin et tomba au fond de celui-ci. Il se peut également que la référence aux « Astrologues noyés dans les yeux d'une femme, »97 que l'on trouve dans le poème « Le Voyage » se rapporte également à Thalès, mais cela est moins limpide.



2. Pythagore


Décrivant la sculpture dans Salon de 1859, Baudelaire donne une image d'Harpocrate « comme un pédagogue pythagoricien. »98



3. Socrate


Baudelaire fait une référence explicite à Socrate dans ses notes consignées dans Hygiène : la célèbre expression « Connais-toi toi-même »99 y est inscrite en lettres grecques. Le poète s'en inspire pour s'ingénier à dresser une liste de ses goûts. On trouvera également une référence à Socrate dans Idéolus, le projet d'une pièce qu'il devait écrire en collaboration avec Prarond. Le poète avait pensé à un personnage du nom de Socratès qui se serait conduit en philosophe ivrogne. Son pendant, le personnage artiste Idéolus, se serait exprimé ainsi en considérant Socratès :« La sagesse, elle est là : sommeil que rien n'éveille, / Estomac que jamais ne creva la bouteille »100. Baudelaire indique également que Socratès devrait avoir quelque chose des traits physiques de Socrate101. Il considère aussi que Mgr Bienvenu est « doué comme Socrate de la puissance de l'ironie et du bon mot. »102 Dans Le Spleen de Paris, on peut voir deux références. La première, dans « Assommons les pauvres ! » : Baudelaire fait ici une réflexion sur le Démon de Socrate et sur le sien. Le Démon de Socrate, écrit-il, était « prohibiteur »103, le sien serait « un Démon d'action, un Démon de combat »104 qui lui chuchoterait : « Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de liberté, qui sait la conquérir. »105 La seconde référence est une référence par contumace, puisqu'il s'agit d'une idée de poème qui ne vit pas le jour. On sait en effet que Baudelaire désirait écrire un poème qui se serait intitulé « Le rêve de Socrate »106.



4. Démocrite


Dans Hygiène, Baudelaire recopie un passage de The Conduct of Life d'Emerson, où Démocrite affirme : « Il y a plus d'hommes vertueux à force d'application que par l'effet de la nature. »107 (On retrouve ce même passage recopié page suivante.108)



5. Antisthène


Dans le poème « Don Juan aux enfers », Charon est présenté comme « Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène »109. Il se peut également que le poème « Les Bons chiens »110 soit une référence aux cyniques, qu'on appelle souvent les « philosophes chiens », puisque comme nous l'avons déjà souligné, les chiens sont dans ce poème considérés comme des « philosophes à quatre pattes »111.



6. Platon


Dans son article sur Théophile Gautier, Baudelaire expose une interprétation de la fable de Gygès que Platon raconte dans le deuxième livre de la République. Candaule n'y est pas décrit comme la victime de la magie, mais comme la victime de son esprit d'artiste. Voilà ce qu'écrit Baudelaire : « Candaule n’a-t-il pas une excuse puissante ? n’est-il pas victime d’un sentiment aussi impérieux que bizarre, victime de l’impossibilité pour l’homme nerveux et artiste de porter, sans confident, le poids d’un immense bonheur ? Certainement, cette interprétation de l’histoire, cette analyse des sentiments qui ont engendré les faits, est bien supérieure à la fable de Platon, qui fait simplement de Gygès un berger, possesseur d’un talisman à l’aide duquel il lui devient facile de séduire l’épouse de son roi. »112 Dans De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, Baudelaire, soutenant que les anciens avaient un respect plein de sérieux pour leur mythologie, écrit que :« On en a ri après la venue de Jésus, Platon et Sénèque aidant. »113 Enfin, dans Salon de 1859, Platon apparaît comme quelqu'un dont on peut « causer » avec intérêt : « je ne puis pas m’empêcher d’éprouver de la sympathie pour un artiste tel que Chenavard, toujours aimable, aimable comme les livres, et gracieux jusque dans ses lourdeurs. Au moins avec celui-là (qu’il soit la cible des plaisanteries du rapin, que m’importe ?) je suis sûr de pouvoir causer de Virgile ou de Platon. »114 Le philosophe grec apparaît également dans le poème « Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXVII, Les Hiboux, p67 . » des Fleurs du mal, la sensuelle Lesbos laissant « du vieux Platon se froncer l’œil austère »115. Enfin, dans La Fanfarlo, il utilise l'adjectif « platoniquement », d'une manière qui ne semble pas s'écarter spécialement du sens ordinaire, et qui ne laisse pas entendre quelque interprétation que ce soit de la philosophie platonicienne116.



7. Diogène


Dans Idéolus, Baudelaire note que Socratès devrait aussi ressembler à Diogène117. Puis, dans cette pièce, le marquis s'adresse à Socratès en l'appelant « Notre vieux Diogène. »118



8. Aristote


Considérant les opérations du Goût, qui pour Baudelaire donnent le sens de la beauté, il écrit dans son article sur Théophile Gautier : « Aristote n’a pas hésité à ranger parmi les vertus quelques-unes de ses délicates opérations. »119 Dans Salon de 1859, il montre qu'il a connaissance des catégories d'Aristote, et qu'il ne pense pas que celles-ci font montre de beaucoup de finesse. Il écrit d'Armand Gautier qu'il avait traité d'un sujet « non pas selon la méthode philosophique et germanique, celle de Kaulbach, par exemple, qui fait penser aux catégories d’Aristote, mais avec le sentiment dramatique français, uni à une observation fidèle et intelligente. »120



9. Épicure


Baudelaire fait référence à ce philosophe dans le poème « Le Tir et le cimetière » du Spleen de Paris. Le promeneur pensant que le maître du cabaret sait apprécier « les poètes élèves d’Épicure. »121 Dans Le Jeune Enchanteur, Sempronius traite son ami Callias d’ « animal épicurien. »122 Dans Prométhée délivré par L. de Senneville, Baudelaire raconte que dans cette poésie, Prométhée « explique pourquoi son amour et sa prière n’étaient qu’épicurisme pur, œuvres stériles et avares. »123



10. Cicéron


Dans sa Lettre à Jules Janin, Baudelaire critique Janin qui chanterait les louanges de Cicéron pour plaire à Villemain et à la « bande orléaniste »124.



11. Les stoïciens


Dans un aphorisme consigné dans le carnet d'Asselineau, Baudelaire écrit : « Le stoïcisme est une religion qui n'avait qu'un seul sacrement : le suicide. »125 Il parle également des stoïciens de manière sibylline dans Fusées où il aborde le thème du suicide et de la philosophie. Là on peut lire que Baudelaire pensait au « portrait de Sérène, par Sénèque. »126 Dans le poème « Assommons les pauvres ! » du Spleen de Paris, Baudelaire ironise sur les « sophistes du Portique »127 (les stoïciens prônaient l'égalité entre les hommes, et une soumission entière à la raison, ce qui dans le contexte du poème, est assez comique.) On retrouve également la citation déjà signalée pour Platon, présente dans De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques : « On en a ri après la venue de Jésus, Platon et Sénèque aidant. »128 Dans Le peintre de la vie moderne, Baudelaire fait se rejoindre dandysme et stoïcisme : « par de certains côtés, le dandysme confine au spiritualisme et au stoïcisme. »129 Enfin, on trouve deux fois des remarques en rapport avec les stoïciens dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix. Le poète écrit d'abord : « "The hero is he who is immovably centred," dit le moraliste d’outre-mer Emerson, qui, bien qu’il passe pour le chef de l’ennuyeuse école Bostonienne, n’en a pas moins une certaine pointe à la Sénèque, propre à aiguillonner la méditation. »130 Puis, plus loin : « Recherche du nécessaire et mépris du superflu, c’est une conduite d’homme sage et de stoïcien. »131 Baudelaire fait également référence aux stoïciens dans sa critique de Pierre Dupont, où il écrit que, sous le règne de Louis-Philippe, « de temps en temps retentissait dans l'air un grand vacarme de discours semblables à ceux du Portique. »132 Enfin, on remarquera qu'il consacre un long passage à faire la critique élogieuse d'un tableau de Delacroix s'intitulant « Dernières paroles de Marc-Aurèle » dans Salon de 1845133.



12. Plotin


Ce philosophe est rapidement abordé dans La Fanfarlo, où Baudelaire s'exprime sur un certain type de personnes qui déchiffrent « péniblement les pages mystiques de Plotin »134.



13. Saint-Augustin


On trouve une référence au sage d'Hippone dans Le peintre de la vie moderne. Baudelaire y écrit : « Amabam amare135, disait saint Augustin. « J’aime passionnément la passion, » dirait volontiers M. G. »136 Saint-Augustin est également présent dans L'École païenne, où Baudelaire « admet tous les remords de saint Augustin sur le trop grand plaisir des yeux. »137 Dans L'Esprit et le style de M. Villemain, Baudelaire rapporte les paroles d'un orateur qui reproche à Villemain ses anachronismes : « saint Augustin, né dix-sept ans après la mort de Constantin, figurant près de lui comme son compagnon de plaisir. »138 Dans Salon de 1846, le poète cite ce père de l'Église à l'appui d'une critique à l'encontre d'un peintre qui s'était essayé à représenter saint Augustin139.


14. Abélard

On notera une référence au philosophe châtré dans l'article sur l'abbé Constant des Mystères galants. Baudelaire rapporte les mots des « peu nombreux amis »140 de l'abbé Constant, qui voyaient en lui un « nouvel Abailard ».



15. Machiavel


Une référence au célèbre philosophe italien est faite dans les Études sur Poe. L'auteur américain y est décrit comme jouissant « de ce grand bon sens à la Machiavel qui marche devant le sage, comme une colonne lumineuse, à travers le désert de l'histoire. »141 Dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, le poète salue la simplicité du peintre qui avait pour ses plaisirs des goûts modestes, comme « Machiavel jouant aux dés avec les paysans. »142 Il écrit encore dans son article Puisque réalisme il y a que Courbet « est devenu le Machiavel maladroit de ce Borgia, dans le sens historique de Michelet. »143 Ce « Borgia » étant ici Champfleury.



16. Bacon


L'auteur du Novum Organum est présent dans les Études sur Poe. Là, Baudelaire raconte que parfois, Poe « s'asseyait dans une taverne, à côté d'un sordide polisson, et lui développait gravement les grandes lignes de son terrible livre Eureka, avec un sang-froid implacable, comme s'il eût dicté à un secrétaire, ou disputé avec Képler, Bacon ou Swedenborg. »144



17. Pascal


On trouvera plusieurs références au philosophe de Port-Royal. Il est cité dans le poème « La solitude », du Spleen de Paris, où il est utilisé pour illustrer la folie communautariste du siècle de Baudelaire : « « Presque tous nos malheurs nous viennent de n’avoir pas su rester dans notre chambre, » dit un autre sage, Pascal, je crois, rappelant ainsi dans la cellule du recueillement tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle. »145 Il apparaît encore dans l'article sur Hugo de Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains où Baudelaire l'utilise pour montrer ce qu'un homme de lettres ne doit pas faire : abandonner le confort et le luxe. On trouve la référence en ces termes : « Que Pascal, enflammé par l’ascétisme, s’obstine désormais à vivre entre quatre murs nus avec des chaises de paille ; qu’un curé de Saint-Roch (je ne me rappelle plus lequel) envoie, au grand scandale des prélats amoureux du comfort, tout son mobilier à l’hôtel des ventes, c’est bien, c’est beau et grand. Mais si je vois un homme de lettres, non opprimé par la misère, négliger ce qui fait la joie des yeux et l’amusement de l’imagination, je suis tenté de croire que c’est un homme de lettres fort incomplet, pour ne pas dire pis. »146 Le poème « Le Gouffre » convoque également Pascal en s'ouvrant sur ces mots : « Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant. »147 Cette image de Pascal est rapportée par une citation de l'abbé Boileau, qui est elle-même rapportée par Sainte-Beuve. L'abbé Boileau, dans une lettre, décrirait Pascal comme plaçant toujours une chaise à sa gauche pour combler un « abîme » qui l'angoissait. Dans Les Paradis artificiels, Baudelaire décrit les effets néfastes du hachisch148 en citant Pascal : « L'homme a voulu rêver, le rêve gouvernera l'homme; mais ce rêve sera bien le fils de son père. (…) Il a voulu faire l'ange, et il est devenu une bête. »149 On retrouvera encore une fois Pascal dans Salon de 1859, où Baudelaire prend la défense de Delacroix : « Pascal dit que les toges, la pourpre et les panaches ont été très-heureusement inventés pour imposer au vulgaire, pour marquer d’une étiquette ce qui est vraiment respectable ; et cependant les distinctions officielles dont Delacroix a été l’objet n’ont pas fait taire l’ignorance. »150 Enfin, Pascal est cité dans le compte rendu de l'Histoire de Neuilly de l'abbé Bellanger, Baudelaire rappelant « Pascal et sa foudroyante conversion. »151



18. Locke


On trouve, dans ses Études sur Poe, une référence à Locke, dans laquelle Baudelaire cite De Maistre pour critiquer le père du libéralisme politique, et attaquer la philosophie des Lumières : « Tout cela me rappelle l'odieux proverbe paternel : make money, my son, honestly, if you can, BUT MAKE MONEY152. Quelle odeur de magasin ! comme disait J. de Maistre, à propos de Locke. »153



19. Spinoza


Baudelaire raconte dans Les Paradis artificiels que Quincey avait projeté d'écrire un livre qui lui aurait été inspiré par les reliquiae Spinoza154.




20. Swedenborg


Dans les œuvres de Baudelaire, Swedenborg constitue, avec Joseph De Maistre, le philosophe que le poète semble le plus admirer. Nous reviendrons plus en détail dans la deuxième partie sur le rapport qui existe entre Baudelaire et Swedenborg. Nous nous contenterons ici d'attester la présence du philosophe suédois dans les écrits du poète. Dans l'article sur Hugo de Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, Baudelaire écrit ceci : « Swedenborg, qui possédait une âme bien plus grande nous avait déjà enseigné que le ciel est un très-grand homme ; que tout, forme, mouvement, nombre, couleur, parfum, dans le spirituel comme dans le naturel, est significatif, réciproque, converse, correspondant. »155 Swedenborg apparaît trois fois dans les Études sur Poe. La première fois, Baudelaire rappelle que Balzac avait voulu « fondre en un système unitaire et définitif différentes idées tirées de Swedenborg, Mesmer, Marat, Goethe et Geoffroy Saint-Hilaire »156. La seconde fois, il apparaît  comme nous l'avions déjà vu  en bonne compagnie, avec Bacon et Kepler (même référence que celle citée pour Bacon). Mais il réapparaît également un peu plus loin pour mettre en exergue le génie de Poe : « Les swedenborgiens le félicitent de sa Révélation magnétique, semblables à ces naïfs Illuminés qui jadis surveillaient dans l'auteur du Diable amoureux un révélateur de leurs mystères. »157 Baudelaire fait aussi du personnage principal de La Fanfarlo (Samuel Cramer) un lecteur de Swedenborg : « Il souffla résolument ses deux bougies dont l’une palpitait encore sur un volume de Swedenborg, et l’autre s’éteignait sur un de ces livres honteux dont la lecture n’est profitable qu’aux esprits possédés d’un goût immodéré de la vérité. »158 Une référence à Swedenborg fait pareillement son apparition dans le poème « Les bons chiens » du Spleen de Paris. S'exprimant sur l'hypothèse d'un paradis pour les chiens, Baudelaire écrit : « Swedenborg affirme bien qu'il y en a un pour les Turcs et un pour les Hollandais ! »159 On retrouve encore Swedenborg dans Les Paradis artificiels, lorsque Baudelaire explique que dans l'ivresse du hachisch, la nature elle-même, tout le réel semble devenir « allégorie » : « Fourier et Swedenborg, l'un avec ses analogies, l'autre avec ses correspondances, se sont incarnés dans le végétal et l'animal qui tombent sous votre regard, et au lieu d'enseigner par la voix, ils vous endoctrinent par la forme et par la couleur. »160 Puis, toujours dans Les Paradis Artificiels, Baudelaire affirme qu'avec le hachisch, « le remords, singulier ingrédient du plaisir, est bientôt noyé dans la délicieuse contemplation du remords, dans une espèce d'analyse voluptueuse ; et cette analyse est si rapide que l'homme, ce diable naturel, pour parler comme les Swedenborgiens, ne s'aperçoit pas combien elle est involontaire et combien, de seconde en seconde, il se rapproche de la perfection diabolique. »161 (On remarquera cependant que Baudelaire fait dire à Swedenborg des choses qu'il n'a jamais dites, puisqu'il n'aurait jamais parlé d'un « diable naturel chez l'homme ».) Il fait encore référence à la Nouvelle Jérusalem de Swedenborg dans l'article Peintures murales d'Eugène Delacroix à Saint-Suplice162. On notera enfin que dans Fusées, Baudelaire semble avoir nourri le projet d'écrire quelque chose sur le thème « Rêves et théorie du Rêve à la Swedenborg. »163



21. Montesquieu


Baudelaire avait projeté d'écrire quelque chose sur « Le style de Montesquieu »164. Il est difficile de pousser la spéculation plus avant puisque le projet n'a pas abouti. Le nom de Montesquieu apparaît encore dans le canevas des Lettres d'un atrabilaire, mais là encore, les données manquent165. Dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, par contre, son admiration devient explicite, Montesquieu étant décrit comme faisant partie des « écrivains concis et concentrés, ceux dont la prose peu chargée d'ornements a l'air d'imiter les mouvements rapides de la pensée, et dont la phrase ressemble à un geste. »166



22. Voltaire


L'auteur ironique des Lumières est souvent présent dans l’œuvre de Baudelaire, mais ce n'est pas toujours pour en dire du bien. Il semble que la relation de Baudelaire à Voltaire soit ambivalente. Dans ses Études sur Poe, on trouve une référence à Voltaire et à son « sourire persistant, (…) sa grimace de combat, sa puissance de commandement et de prophétie dans l’œil jeté à l'horizon. »167 Plus loin, il remercie Voltaire d'avoir, avec La mort de César, fait une « tragédie sans femme. »168 Dans son article sur L'école païenne, il écrit que Henri Heine se livre aux élans de « sa haine voltairienne contre les calotins. »169 Mais il juge Heine indigne de Voltaire et écrit que « jamais Voltaire n'eût écrit une pareille turpitude. Voltaire avait trop de goût ; d'ailleurs, il était encore homme d'action, et il aimait les hommes. »170 On trouve une autre référence à Voltaire dans Mon cœur mis à nu. Baudelaire en parle en ces termes : « Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire. Emerson a oublié Voltaire dans ses Représentants de l'humanité. Il aurait pu faire un joli chapitre intitulé : Voltaire, ou l'anti-poète, le roi des badauds, le prince des superficiels, l'anti-artiste, le prédicateur des concierges, le père Gigogne des rédacteurs du Siècle. »171 Un peu plus loin, il critique le philosophe, l'accusant d'être « paresseux » et de haïr « le mystère »,172 idée qu'on retrouve dans Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, où le poète écrit que « Voltaire ne voyait de mystère en rien, ou qu'en bien peu de choses. »173 Dans l'article sur Pétrus Borel, le poète écrit encore que « Ourliac était un petit Voltaire de hameau, à qui tout excès répugnait, surtout l'excès de l'amour de l'art. »174 Quelques lignes plus loin, il adresse une critique voilée à l' « orthographe mondaine dans le sens des cuisinières de Voltaire et du sieur Erdan. »175 On trouve une autre référence à Voltaire dans L'esprit et le style de M. Villemain où celui-ci invoque Voltaire pour une « trève de lassitude à l'action de la nature. »176 Dans sa Lettre à Jules Janin, Baudelaire fait également une référence à Voltaire : « Quand Auguste avait bu »177 renvoie à « Quand Auguste buvait, la Pologne était ivre », phrase que Voltaire utilise dans l'Épitre à Catherine II. Dans Quelques caricaturistes étrangers, Baudelaire écrit que l'école voltairienne « ne voyait partout que l'habileté dans l'imposture. »178 Dans De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques : « Quant au comique des Contes de Voltaire, essentiellement français, il tire toujours sa raison d’être de l’idée de supériorité ; il est tout à fait significatif. »179 Une autre référence à Voltaire dans l'article sur l'Exposition universelle de 1855 : « Où donc est-elle, cette noble pucelle, qui, selon la promesse de ce bon M. Délécluze, devait se venger et nous venger des polissonneries de Voltaire ? »180 Le philosophe est encore malmené dans l'article Quelques caricaturistes français : « Comparez maintenant l’artiste avec le courtisan : ici de superbes dessins, là un prêche voltairien. »181 Puis dans Quelques caricaturistes étrangers : « C’est chose curieuse à remarquer que cet esprit qui vient après le grand mouvement satirique et démolisseur du dix-huitième siècle, et auquel Voltaire aurait su gré, pour l’idée seulement (car le pauvre grand homme ne s’y connaissait guère quant au reste) »182. Voltaire est encore situé aux côtés de Bonaparte dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix : « Son père appartenait à cette race d’hommes forts dont nous avons connu les derniers dans notre enfance ; les uns fervents apôtres de Jean-Jacques, les autres disciples déterminés de Voltaire, qui ont tous collaboré, avec une égale obstination, à la Révolution française, et dont les survivants, jacobins ou cordeliers, se sont ralliés avec une parfaite bonne foi (c’est important à noter) aux intentions de Bonaparte. »183 Puis Voltaire est encore présent quelques lignes plus loin : « les signes héréditaires que le dix-huitième siècle avait laissés sur sa nature avaient l’air empruntés surtout à cette classe aussi éloignée des utopistes que des furibonds, à la classe des sceptiques polis, les vainqueurs et les survivants, qui, généralement, relevaient plus de Voltaire que de Jean-Jacques. »184 Voltaire est cependant salué dans Richard Wagner et Tannhäuser à Paris : « N’en déplaise à M. Fétis, qui veut absolument établir pour l’éternité la prédominance de la musique dans le drame lyrique, l’opinion d’esprits tels que Gluck, Diderot, Voltaire et Goethe n’est pas à dédaigner. »185 Baudelaire songeait également à utiliser des vers de Voltaire dans Pauvre Belgique !186 On les trouvera quelques pages plus loin : « Pour la triste ville où je suis,/C'est le séjour de l'ignorance,/De la pesanteur, des ennuis,/De la stupide indifférence,/Un vieux pays d'obédience,/Privé d'esprit, rempli de foi. »187 Baudelaire ajoutera sur son manuscrit que ces « trois derniers mots sont de trop. »188 Dans ce même pamphlet, Baudelaire reproduit un article du Figaro, où le poète est décrit comme « s'escrimant des pieds et des mains pour prouver que De Maistre est plus grand que Voltaire. »189 Dans Les Paradis artificiels, on peut également lire que Baudelaire souhaitait que Quincey vive « plus longtemps encore que le fragile Voltaire qui mit, comme on a dit, quatre-vingt-quatre ans à mourir ! »190 On trouvera encore une référence à Voltaire dans Choix de maximes consolantes sur l'amour, où Baudelaire écrit « Si j'avais voulu prouver que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, le lecteur aurait le droit de me dire, comme au singe de génie : tu es un méchant ! »191, « singe de génie » étant le nom que Hugo donne à Voltaire dans le poème « Regard jeté dans une mansarde » du recueil Les Rayons et les Ombres. Dans Les Mystères galants, le poète s'amuse de Voltaire, Chateaubriand et Victor Hugo qui auraient « écrit plus de petits billets dans la capitale et en Europe que la petite maîtresse la plus assiégée. »192 Enfin, dans l'article « Bon sens du peuple » du Salut public, il raille Odilon Barrot, parce qu'il aurait été susceptible de s'écrier « c'est Voltaire qui a fait la Révolution »193, alors que pour Baudelaire, le peuple « donnerait tous les Voltaire et les Beaumarchais du monde pour une vieille culotte. »194



23. Rousseau


Le Genevois est assez présent dans l’œuvre de Baudelaire. Il n'a cependant pas toute sa sympathie. Le poète s'exprime à son sujet dans ses Études sur Poe, où il déclare que Rousseau serait quelqu'un « à qui une sensibilité blessée et prompte à la révolte tient lieu de philosophie. »195 On retrouve Rousseau dans Fusées : « Jean-Jacques disait qu'il n'entrait dans un café qu'avec une certaine émotion. Pour une nature timide, un contrôle de théâtre ressemble quelque peu au tribunal des Enfers. »196 Dans Hygiène : « Parce que je comprends une existence glorieuse, je me crois capable de la réaliser. O Jean-Jacques ! »197 Il critique Rousseau dans Les Paradis artificiels, affirmant que Rousseau se serait « enivré sans hachisch ». D'après Baudelaire, ce dernier jubilait en effet de sa vertu rien qu'en songeant aux bonnes actions auxquelles il avait pensé.198 Rousseau est encore considéré comme un menteur, à la lumière de De Maistre, dans Pensées d'album.199 L'« animal dépravé » (l'être humain), cher à Rouseau, est aussi présent dans Le peintre de la vie moderne : « partout où le soleil éclaire les joies rapides de l’animal dépravé ! »200 On retrouvera également Rousseau au côté de Voltaire dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix (références déjà citées dans la sous-partie sur Voltaire). Dans ce même essai, on trouvera également une autre référence à Rousseau : « Delacroix cherchait à aborder l’idée interrompue ; mais avant de se lancer dans son travail orageux, il éprouvait souvent de ces langueurs, de ces peurs, de ces énervements qui font penser à la pythonisse fuyant le dieu, ou qui rappellent Jean-Jacques Rousseau baguenaudant, paperassant et remuant ses livres pendant une heure avant d’attaquer le papier avec la plume. »201 D'après Baudelaire, Rouvière aurait un goût pour les « idylles révolutionnaires »202 qu'il devrait à un « culte de Jean-Jacques »203. On lit dans Salon de 1846 que « Dans toutes les existences païennes, vouées à l'appétit, vous ne trouverez pas le suicide de Jean-Jacques »204. Baudelaire raconte également que Rousseau commença « à écrire à quarante-deux ans »205 dans Le Peintre de la vie moderne. Dans L'esprit et le style de M. Villemain, il note que c'est entre autre par Rousseau que Villemain opère un « retour à la nature. »206 Dans le feuillet De Quelques préjugés contemporains, Rousseau est présenté comme un « auteur sentimental et infâme. »207 On remarquera également que Baudelaire avait prévu, dans un ouvrage qui devait s'intituler La Conspiration, de répondre à la condamnation que Rousseau fait du suicide.208 On rappellera encore la référence faite à Rousseau à côté de Voltaire dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix (voir référence dans la sous-partie sur Voltaire) ainsi que dans l'article « Bon sens du peuple » du Salut Public (voir également la référence dans la sous-partie sur Voltaire). Enfin, dans le poème « Le joueur généreux » du Spleen de Paris, le personnage principal a une discussion avec le diable sur le progrès et la « perfectibilité »209, cette dernière notion ayant été principalement développée par Rousseau.



24. Diderot


Dans ses Études sur Poe, Baudelaire cite Diderot comme faisant partie des « romanciers forts »210, un romancier « hasardeux »211 et « aventureux »212 qui s'appliqua « à noter et à régler l'improvisation; qui accepta d'abord, et puis de parti pris utilisa sa nature enthousiaste, sanguine et tapageuse. »213 Plus loin, il fait référence à « la chaleur »214 et au « tapage »215 des œuvres de Diderot. Et encore plus loin, il prend Diderot comme exemple de l'« auteur sanguin »216. Dans La Fanfarlo, Samuel Cramer : « semblait dans sa vie vouloir mettre en pratique et démontrer la vérité de cette pensée de Diderot : « L’incrédulité est quelquefois le vice d’un sot, et la crédulité le défaut d’un homme d’esprit. L’homme d’esprit voit loin dans l’immensité des possibles. Le sot ne voit guère de possible que ce qui est. C’est là peut-être ce qui rend l’un pusillanime et l’autre téméraire. » »217 Dans Peintres et aquafortistes : « (gribouillage est le terme dont [se] servait, un peu légèrement, le brave Diderot pour caractériser les eaux-fortes de Rembrandt) »218 On retrouvera également Diderot au côté de Voltaire dans Richard Wagner et Tannhäuser à Paris (voir la sous-partie sur Voltaire), mais Baudelaire insiste ici sur Diderot : « En feuilletant la Lettre sur la musique, je sentais revivre dans mon esprit, comme par un phénomène d’écho mnémonique différents passages de Diderot qui affirment que la vraie musique dramatique ne peut pas être autre chose que le cri ou le soupir de la passion noté et rythmé. » 219 Et plus loin : « Diderot, Goethe, Shakespeare, autant de producteurs, autant d’admirables critiques. »220 Il fait également référence à La Religieuse de Diderot dans une poésie de jeunesse : « L’œil plus noir et plus bleu que la Religieuse »221. Dans son article sur le Prométhée délivré de Senneville, il rend hommage au « culte de la Nature, cette grande religion de Diderot et d'Holbach, cet unique ornement de l'athéisme. »222 Dans Salon de 1846, il recommande la lecture des Salons de Diderot223. Dans Les Drames et les romans honnêtes, il salue la tentative de Diderot pour « rajeunir le théâtre »224. On sait par ailleurs que Baudelaire avait fait le projet d'une pièce dans laquelle aurait figuré un « catholique dandy »225, un « parfait catholique aimable, arrangeant les affaires de tout le monde » et que ce dernier lui aurait été inspiré par Hardouin, protagoniste de la pièce de Diderot Est-il bon ? Est-il méchant ?



25. Kant et la métaphysique allemande (Fichte et Schelling)


Dans Les paradis artificiels, Baudelaire semble connaître ces auteurs lorsqu'il expose que Quincey « étudie la métaphysique allemande; il lit Kant, Fichte, Schelling. »226 Il revient dessus une page plus loin et raconte que Quincey « relut Kant, et il le comprit ou crut le comprendre »227.



26. Laplace


Baudelaire écrit dans l'article sur Hugo de Réflexions sur quelques-un de mes contemporains que « malgré Newton et malgré Laplace, la certitude astronomique n'est pas, aujourd'hui même, si grande que la rêverie ne puisse se loger dans les vastes lacunes non encore explorées par la science moderne. »228



27. De Maistre


Ainsi que nous l'avons indiqué plus avant, l’œuvre de De Maistre a eu une influence considérable sur les écrits de Baudelaire, qui considère ce philosophe comme son maître à penser. Dans Hygiène, le poète écrit en effet : « De Maistre et Edgar Poe m'ont appris à raisonner. »229 Plusieurs références à De Maistre sont d'ailleurs présentes dans ses Études sur Poe. L'une d'elle a déjà été mentionnée lorsque nous traitions le cas de Locke (se reporter à la sous-partie sur Locke). Plus loin, De Maistre est présenté comme une « solide figure, (…) aigle et bœuf tout à la fois »230, et encore plus loin, Baudelaire l'appelle « l'impeccable De Maistre ».231 Le philosophe réactionnaire est aussi cité dans l'article sur Les Misérables de Victor Hugo : « C’est bien le cas de dire comme De Maistre : « Je ne sais pas ce que c’est qu’un honnête homme ! » »232 Baudelaire prend sa défense dans L'esprit et le style de M. Villemain, en écrivant que le-dit Villemain « au lieu de rendre justice philosophique à Joseph De Maistre, fait sa cour à l'insipide jeunesse du quartier Latin. »233 De Maistre est encore convoqué dans Le peintre de la vie moderne pour parler de la femme : « cet être en qui Joseph de Maistre voyait un bel animal dont les grâces égayaient et rendaient plus facile le jeu sérieux de la politique »234. Dans De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, le poète songe à attribuer la citation « Le Sage ne rit qu’en tremblant. » à « Joseph de Maistre, ce soldat animé de l’Esprit-Saint »235. Dans Mon cœur mis à nu, il s'en remet à De Maistre pour répondre à la question « Qu'est-ce que la Religion universelle ? »236 Dans les notes pour le projet du Hibou Philosophe, on peut voir qu'il projetait de faire une appréciation des Lettres et Mélanges de Maistre237. Dans ses notes sur Les Liaisons dangereuses, il s'appuie sur De Maistre pour affirmer qu'« Au moment où la Révolution française éclata, la noblesse française était une race physiquement diminuée. »238 Il citera un passage de Considérations sur la France un peu après pour étayer son propos239. De Maistre est également cité dans Pauvre Belgique ! à côté de Voltaire (voir référence dans la sous-partie sur Voltaire). Enfin, c'est à De Maistre que Baudelaire s'en remet dans Pensées d'album pour juger comme menteurs : « Jean-Jacques, Louis Blanc et Georges Sand »240.



28. Godwin


Il semblerait que Baudelaire ait projeté d’écrire un drame sur Caleb Williams, mais il est difficile de se prononcer plus avant241. Dans l'Exposition universelle de 1855 Godwin est positionné en bonne place au côté de Shakespeare, Crabbe, Byron et Maturin242.



29. Saint-Simon


Le lien avec Saint-Simon n'est pas explicite dans les écrits de Baudelaire, mais Benjamin en fait l'hypothèse dans son Charles Baudelaire, à travers la figure baudelairienne de la lesbienne : « La lesbienne est l'héroïne de la modernité. (…) Ce thème a son origine dans le saint-simonisme. »243 Benjamin appuie son hypothèse en citant ces phrases de Baudelaire tirée de l'article sur Marceline Desbordes-Valmore de Réflexions sur quelques-un de mes contemporains : « Nous avons connu la femme-auteur philanthrope, la prêtresse systématique de l’amour, la poétesse républicaine, la poétesse de l’avenir, fouriériste ou saint-simonienne ; et nos yeux, amoureux du beau, n’ont jamais pu s’accoutumer à toutes ces laideurs compassées, à toutes ces scélératesses impies (il y a même des poétesses de l’impiété), à tous ces sacrilèges pastiches de l’esprit mâle. »244 Au vu de cette dernière citation, la lesbienne serait donc pour Baudelaire une héroïne déchue.



30. Hegel


Dans Mon cœur mis à nu, il fait de l' « Hégélianisme »245 une caractéristique de la « canaille littéraire »246.




31. Fourier


En dépit de ses élans réactionnaires, Baudelaire possède une sincère admiration pour Fourier en raison de sa théorie de l' « analogie universelle ». Comme on vient de le souligner dans la sous-partie sur Saint Simon, il critique les « poétesses fouriéristes »247. On avait déjà noté que Baudelaire faisait aussi référence à Fourier avec Swedenborg dans les Paradis artificiels (voir la sous-partie sur Swedenborg). Il s'en amuse également avec un certain respect dans l'article sur Hugo de Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains : « Ceux qui ne sont pas poètes ne comprennent pas ces choses. Fourier est venu un jour, trop pompeusement, nous révéler les mystères de l’analogie. »248 Il se range cependant également à l’avis de Poe pour critiquer Fourier qui incarnerait d’après l’auteur américain « le Grand Prêtre dans l’Est. »249 Enfin, dans Pauvre Belgique !, il accuse les Belges de « fouriérisme »250.



32. Cousin


Dans son article sur Pierre Dupont, Baudelaire écrit que l'esprit de ce dernier avait dû grandir, à force d'entendre « les querelles vives et spirituelles de M. Cousin avec M. Victor Hugo »251. Puis, dans Anniversaire de Shakespeare, écrivant sur les auteurs qui font l'éloge de personnalités qu'ils ne connaissent pas, Baudelaire déclare que Cousin est « le prince du genre. »252



33. Comte


Baudelaire, dans Pauvre Belgique ! rapporte l'intervention d'un étudiant qui affirmait : « Pour instruire le peuple, il est inutile de lui parler de Taines [sic] Comte ou Littré. »253



34. Emerson


Emerson apparaît de nombreuses fois dans l’œuvre du poète. On a vu déjà avec les stoïciens, que pour Baudelaire, Emerson avait « une certaine pointe à la Sénèque, propre à aiguillonner la méditation. »254 Dans Fusées, il se réfère à la pensée de Campbell présentée dans The Conduct of Life255, puis rapporte une pensée d'Emerson sur le fait que les hommes désirent en voir mourir d'autres256. On pourra encore trouver cette dernière pensée sur la mort dans Pauvre Belgique !257. Un peu plus loin, il songera à « Appliquer aux Belges le passage d’Emerson relatif à l’opinion des Yankee sur Cobden et Kossuth »258. Dans Hygiène, il recopie par deux fois un passage de The Conduct of Life259, celui là-même qui avait déjà attiré son attention dans Fusées. On trouvera encore une citation de ce même passage dans L’œuvre et la vie d’Eugène Delacroix260. Comme on l'a déjà vu avec Voltaire, Baudelaire invoque Emerson pour railler l'auteur de Candide261. Dans ses notes pour le « Hibou philosophe », il propose de donner une appréciation sur « La traduction d'Emerson. »262 Dans ses Études sur Poe, il écrit que d'après Emerson, le poème « Le Corbeau » « est une merveille. »263


35. Les jeunes hégéliens (Feuerbach et Stirner)


Dans Les paradis artificiels, Baudelaire expose que celui qui a consommé du hachisch s'exclame : « Je suis devenu Dieu ! »264 et qu'il est prêt à affronter tout autre Dieu, à la manière des « doctrines allemandes modernes »265. Il fait ici référence à Feuerbach et à Stirner, et aux jeunes hégéliens en général. Pour Feuerbach, Dieu n'existe pas, car il n'est qu'une projection de notre perfection, et l'individu doit donc louer l'humanité. Stirner, poussant la logique jusqu'au bout, affirme que l' « humanité » n'est qu'une forme laïcisée de Dieu, et que pour sortir de la piété, il ne faut fonder sa cause sur rien, et donc ne croire qu'en l'égoïsme. Baudelaire fait ici un parallèle avec les effets du hachisch, qui pousseraient l'individu à refuser un Dieu extérieur et à se poser soi-même en Dieu unique.



36. Considerant


Baudelaire reproduit un de ses articles dans Pauvre Belgiques !. Le poète écrit de l'article qu'il constitue « un panégyrique de Léopold Ier, mais sans flagorneries excessives. »266 Un peu plus loin, il s'amuse de Considerant pour qui « tout, en Léopold, devient signe de génie. »267 Son nom est encore indiqué quelques pages plus loin à côté de celui de Vapereau, mais sans développement268.



37. Proudhon


Le père de l'anarchisme a également exercé une forte influence sur Baudelaire, même s'il est possible que celle-ci ait été très courte. Dans son article Les drames et les romans honnêtes, Baudelaire écrit que « Proudhon est un écrivain que l'Europe nous enviera toujours. »269 Alors que le poète est secrétaire de la rédaction de la « La Tribune nationale », il publie un article dans lequel est exposé le projet de banque d'échange de Proudhon et Girardin270. Il faut cependant noter qu'il n'est pas certain que l'article soit entièrement de sa plume. Plus tard, la même année, Baudelaire devient rédacteur en chef du journal réactionnaire « Le représentant de l'Indre ». Dans l'article « Actuellement » il se réfère à Proudhon pour traiter le citoyen Flocon de « républicain classique » ou « républicain de tragédie »271. Puis quelques lignes plus loin : « Proudhon l'a dit, le seul et le premier : L'insurrection est socialiste. Il ne ment pas, celui-là ; il est brutal et clair. »272 Proudhon apparaît encore dans l'article de Baudelaire sur Pierre Dupont, où Baudelaire cite l'Avertissement aux propriétaires273. Il est également cité par Baudelaire dans Pauvre Belgique ! pour railler Altmeyer « celui que Proudhon appelait : cette vieille chouette ! »274. Puis, pour se moquer de l'emploi fait par les Belges de la langue française, Baudelaire écrit que pour eux « Les amis de Proudhon lors de l'émeute » constitue une « figure de rhétorique. »275 Au fragment suivant, il cite la fille d'Altmeyer qui s'exclame « J'ai collé Proudhon »276 pour montrer à quel point les Belges s'expriment mal. Plus loin, Baudelaire ironise sur le ton d'un article de journal annonçant la mort de Proudhon277. Toujours dans ce même projet de pamphlet, Baudelaire se moque d'un certain Defré, un radical qui aurait fait chasser Proudhon de Belgique : « Persécuteur de M. J. Proudhon, dans un pays de liberté. »278 On remarquera encore qu'à la fin de ses notes, Baudelaire semble porter son attention sur une lettre de Proudhon sur l'Amérique.279 Dans Amœnitates Belgicæ, le poète fait référence, dans une note, à un texte de Proudhon où le philosophe expose l'incapacité des Belges à comprendre les figures de rhétoriques280. Enfin, Baudelaire aurait recopié ce texte de Proudhon extrait de Philosophie de la misère : « L'art, c'est-à-dire la recherche du beau, la perfection du vrai, dans sa personne, dans sa femme et ses enfants, dans ses idées, ses discours, ses actions, ses produits ; telle est la dernière évolution du travailleur, la phase destinée à fermer glorieusement le Cercle de la Nature. L'esthétique, et au-dessus de l'Esthétique la morale, voilà la clé de voûte de l'Édifice économique. »281



38. Ferrari


On trouve une référence à Ferrari dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix : « sa pensée, en ces sortes de choses, approximait beaucoup, surtout par ses côtés de froide et désolante résignation, la pensée d’un historien dont je fais pour ma part un cas tout particulier, et que vous-même, monsieur, si parfaitement rompu à ces thèses, et qui savez estimer le talent, même quand il vous contredit, vous avez été, j’en suis sûr, contraint d’admirer plus d’une fois. Je veux parler de M. Ferrari, le subtil et savant auteur de l’Histoire de la raison d’État. »282 Baudelaire aurait porté un intérêt particulier à Ferrari, qu'il considérait comme un dandy du fait de sa désinvolture et de son fatalisme.



39. Renan


Baudelaire fait l'éloge de Renan dans son article sur Leconte de Lisle de Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains : « Il y a encore un autre homme, mais dans un ordre différent, que l’on peut nommer à côté de Leconte de Lisle, c’est Ernest Renan. »283 Mais le poète changera d'opinion après que Renan ait publié sa Vie de Jésus puisqu'il apparaît alors que « Renan trouve ridicule que Jésus croie à la toute-puissance, même matérielle, de la Prière et de la Foi. »284 Baudelaire inscrit le nom de Renan parmi ceux qu'il nomme ironiquement les « Jolis grands hommes du jour » dans Mon coeur mis à nu285. Dans Anniversaire de Shakespeare, il raille ceux qui portent des toast à M. Renan, une des « stupidités propre à ce XIXe siècle. »286



40. Taine


On trouve une référence à Taine lorsque Baudelaire rapporte les termes d'un étudiant dans Pauvre Belgique !, la même que celle pour Comte (se reporter à la sous-partie sur Comte).



41. Lafargue


Dans Pauvre Belgique !, Baudelaire note une intervention de Lafargue, alors étudiant287. Le poète le cite parmi d'autres, pour mieux brocarder la Belgique.


II. Baudelaire, Swedenborg et De Maistre


Nous décidons désormais de nous centrer sur le rapport de Baudelaire à deux philosophes : Swedenborg et De Maistre. Il apparaît en effet, à la lecture des écrits de Baudelaire, que ces deux penseurs ont exercé une influence profonde sur le poète. Rappelons par exemple que Baudelaire écrivait de Swedenborg qu'il « possédait une âme bien plus grande que nous »288, et qu'il appelait le second « l'impeccable De Maistre ».289



A. Swedenborg

1. Vision générale de la philosophie de Swedenborg


Swedenborg ne passe pas pour le philosophe le plus rigoureux. Kant lui-même, qui n’avait pas l’habitude de chercher querelle à ses pairs, le critiqua vivement. Dans un texte intitulé Rêves d’un homme qui voit des esprits, expliqués par les rêves de la métaphysique, publié dans son Anthropologie, il écrivit sur Swedenborg : « Comme il est de tous les visionnaires, si l’on s’en rapporte à lui-même, le plus grand visionnaire, il est certainement aussi le premier fantaste entre les fantastes que l’on puisse juger d’après la description qu’en font ceux qui le connaissent, ou d’après ses écrits. »290

Car le philosophe suédois voyait des esprits et communiquait avec eux. Et ce n'était pas qu'une peccadille intellectuelle sans conséquences. Pour Swedenborg, il s'agissait là d'une chose très sérieuse sur laquelle il dissertait abondamment. C'était d'ailleurs tout à fait louable, – si l'on se met à sa place –, puisqu'il se croyait investi d'une mission sacrée, une mission qui lui aurait été confiée directement par Dieu. Jean Prieur rapporte cet aveu que Swedenbort fit à son ami le docteur Hartley : « J'ai été appelé à une fonction sacrée par le Seigneur lui-même, qui s'est manifesté en personne devant moi son serviteur. Alors il m'a ouvert la vue pour que je voie dans le monde spirituel. Il m'a accordé de parler avec les esprits et les anges... »291

Si de nos jours, cela en ferait un amusant schizophrène, un « hollandais volant » drolatique de la philosophie, un sympathique illuminé dont la raison aurait dérivé un peu trop longtemps entre l'Être et le néon, à l'époque de Baudelaire, par contre, la communication avec les esprits était chose sérieuse et il est possible que cela n'ait pas du tout refroidi ce poète qui croyait à l'immortalité de l'âme.

Quoi qu'il en soit, Swedenborg apporta tout de même une œuvre philosophique conséquente et influente, il ne laissa pas que des études de cas pour apprentis psychiatres, et il nous importe de porter quelque intérêt à ses écrits.

Notons que, bien qu'hétérodoxe, sa philosophie respecte les principaux canons de la pensée chrétienne : l'homme est déchu du paradis, Jésus-Christ est Dieu incarné dans un corps matériel, la Bible contient la parole divine, etc. Elle s'éloigne cependant de la doctrine officielle sur certains points, notamment sur celui des esprits qui auraient une influence permanente sur les hommes, que les mortels en soient conscients ou non.



a. Une pensée mécaniste fondée sur la géométrie


Swedenborg était cartésien – pour autant qu'on puisse considérer quelqu'un prenant le thé avec Dieu comme étant cartésien – et approuvait l'explication mécaniste de l'univers. Mais il renforça le rôle de la géométrie dans cette compréhension mécaniste. D'après lui, chaque chose se produit géométriquement dans l'univers, et tout peut s'expliquer par « figure » et « mouvement ». Il existerait ainsi pour Swedenborg un ordre géométrique immuable qui rendrait compte du « monde visible. »



b. Le dualisme


L'univers serait divisé en deux parties : le « monde visible », qui correspondrait au monde matériel que nous avons le bonheur de fréquenter, et le « monde invisible » qui serait un monde spirituel dans lequel Swedenborg aurait eu la chance de s'évader. Ce serait la géométrie qui rendrait compte du monde visible, et la Justice de Dieu qui gouvernerait le monde invisible. Cependant, ces deux mondes ne seraient pas étanches et ils communiqueraient ensemble. Certains signes du monde naturel constitueraient les moyens de communication métaphysique du monde spirituel.




c. Les « correspondances »


Il existerait ainsi entre le monde visible et invisible des « correspondances ». Ce seraient des signes qui apparaîtraient dans le monde visible et qui exprimeraient quelque chose du monde invisible. Le monde invisible serait le monde de l'existence véritable, et donc de l'existence divine, premier moteur éternel. Le monde visible nous livrerait des symboles qui porteraient les messages du monde invisible, grâce à un système universel d'analogies. Tout ce qui existe dans le monde naturel aurait sa raison d'être dans le monde spirituel. L'homme vivrait ainsi immergé dans un monde de signes qui seraient autant de messages que le monde invisible lui ferait parvenir. Au final, chaque objet visible pourrait être considéré comme un signe que nous adresserait le monde invisible. Le monde visible serait ainsi en quelque sorte l'effet du monde invisible, qui serait la cause et la fin de toute chose.

Qui plus est, chaque âme serait une correspondance, un signe qui ignorerait qu'il est signe. Pour se sauver, l'âme devrait donc prendre conscience de sa condition de signe et s'éveiller au sens des analogies.



d. Les degrés

Swedenborg pensait que le monde était organisé selon des « degrés » de deux ordres : les degrés de largeur et les degrés de hauteur. Les premiers sont identiques à ceux que nous connaissons : ce sont les degrés grâce auxquels nous mesurons des valeurs et quantifions les phénomènes du monde physique (plus ou moins étendu, plus ou moins lourd, plus ou moins chaud, etc.) Les seconds, par contre, traduisent plutôt des rapports de causalité. On peut distinguer trois degrés de hauteur : les fins, les causes, et les effets. Ainsi qu'il l'écrit dans Du commerce de l'Âme et du Corps : « Les fins sont dans le premier degré, les causes dans le second, et les effets dans le troisième. »292 Ce sont donc des degrés qui se succèdent, mais auxquels correspond une sorte de valeur, le degré le plus élevé étant bien entendu celui des fins, alors que le plus bas serait celui des effets. Il ajoute encore que « lorsque ces trois choses agissent, alors la fin se trouve dans la cause, et par la cause dans l'effet ; c'est pourquoi elles coexistent toutes les trois dans l'effet. »293 Ainsi la fin est-elle toujours présente et oriente-t-elle tous les événements du monde, mais sans qu'on le comprenne nécessairement. Ceux qui ne perçoivent pas les « degrés de hauteur » sont donc incapables de s'élever au-dessus du degré le plus bas, et de la sorte, ils restent au niveau des « effets ». Les liens de causalité leur échappent, ils restent tributaires de l'espace et du temps et subsistent dans l'impossibilité de percevoir les fins qui guident les phénomènes.

On soulignera que cette hypothèse des degrés implique une compréhension finaliste de l'univers, qui considère donc que toute chose existe en vue d'une fin, et que cette fin est ce qu'il y a de plus haut dans le monde. Ce n'est évidemment pas très étonnant dans la mesure où Swedenborg est un philosophe spiritualiste.



e. L'influx divin


Pour Swedenborg, Dieu serait l'être originel duquel tous les êtres procèderaient. Le monde entier serait ainsi une émanation de la substance divine : « tout ce qui dans le monde solaire a commencé et continue d'exister procède du spirituel par le naturel, et cela non-seulement dans les individus du règne animal ; mais encore dans ceux du règne végétal. »294 Dieu communiquerait la vie, de manière indivisible, à tous les êtres existants. L'influx divin se répandrait ainsi sur les créatures terrestres comme un soleil irradiant la terre. Dieu aurait déposé sa sagesse dans l'homme et son amour dans la femme. Cet influx serait ainsi le lien qui existe entre Dieu et les créatures par le biais des correspondances. Mais cet influx pourrait être perverti par un mental malsain. Pour garantir la pureté de l'influx divin, il faudrait s'en remettre aux commandements divins. Dieu ne fait qu'enrober les êtres de sa providence, mais il leur laisse la liberté grâce à laquelle ils peuvent pécher.



f. L'exégèse des saintes Écritures


Prenant sa théorie au mot, Swedenborg entreprit d'expliquer les écritures Saintes grâce à sa théorie des correspondances. Il distingua deux aspects au texte biblique : un sens littéral, que l'on pourrait assimiler au corps du texte, et un sens spirituel, qui constitue bien entendu l'âme de l'Écriture. D'après lui, les choses naturelles qui sont désignées par la Bible renverraient à des choses de l'ordre spirituel.



g. La vie après la mort


Nous passerions notre vie humaine dans le monde visible, et notre mort dans le monde invisible. Avec la mort, notre âme quitterait notre corps pour s'établir dans un corps spirituel, sans rien perdre de sa personnalité ou de ce qu'elle savait avant la mort. Nous deviendrions alors des fantômes à qui Dieu confierait des missions. Swedenborg avait l'honneur de pouvoir discuter avec ces spectres. Une fois nos missions d'ectoplasme accomplies, nous partirions au Paradis ou en Enfer, en fonction de ce que nous sommes. Tout le monde peut en effet aller au Paradis, mais contrairement à la doctrine de Michel Polnareff, certains vont d'eux-mêmes en Enfer, parce qu'ils sont pervertis. D'après Swedenborg, Dieu ne damne personne, il nous laisse juste nous corrompre jusqu'à ce que nous allions en enfer de nous-mêmes.



h. Une approche platonicienne


Le dualisme métaphysique, l'idée de correspondance et l'hypothèse des degrés font bien entendu penser au platonisme. Pour Platon, le monde est divisé en deux parties : le monde Intelligible, règne de la vérité, et le monde sensible, lieu où les hommes vivent et où tout n'est qu'apparence. Le monde sensible, cependant, n'est pas totalement coupé du monde intelligible : le premier participe du second, et en s'appuyant sur le monde sensible, l'individu peut s'élever au monde intelligible. Le monde des apparences est un monde trompeur, dégradé, découlant de l'autre monde où siège la vérité pure et éternelle.

On retrouve chez Swedenborg un schéma très proche de celui de Platon, ce qui est souvent le cas chez les penseurs chrétiens, puisque finalement, ainsi que l'écrivait Nietzsche : « le christianisme est du platonisme pour le « peuple » »295.



2. Ce qui va intéresser Baudelaire chez Swedenborg


a. Le christianisme


En dépit de ses nombreux blasphèmes symboliques, Baudelaire reste un catholique profondément dévot, et cette aspiration spiritualiste a assurément pu être comblée par Swedenborg. Dans Hygiène, il consigne en effet qu'il désire s'astreindre à « faire tous les matins [sa] prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice. »296 Et l'on peut avancer que cette foi baudelairienne est d'inspiration fondamentalement catholique, comme en témoignent de nombreuses références à cette mythologie fondée sur le Christ. Dans Mon coeur mis à nu, sa haine de George Sand le pousse à considérer qu'elle est possédée par le Diable : « Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C'est le Diable qui lui a persuadé de se fier à son bon cœur et à son bon sens, afin qu'elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon cœur et à leur bon sens. (…) Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête. »297 Puis, quelques lignes plus loin, il affirme qu'elle « est intéressée à croire que l'Enfer n'existe pas. »298 Ailleurs, il affirme sa croyance à la providence, raison parmi d'autres pour laquelle il déteste le chef de file des anticléricaux : Voltaire. Il attaque notamment le défenseur de Calas sur le fait que ce dernier ne reconnaît pas les « mystères » de la religion chrétienne : « Dans Les Oreilles du comte de Chesterfield, Voltaire plaisante sur cette âme immortelle qui a résidé pendant neuf mois entre des excréments et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère. »299 S'en suit un renvoi à une note dans laquelle on peut lire : « Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une malice ou une satire de la providence contre l'amour, et, dans le mode de la génération, un signe du péché originel. De fait, nous ne pouvons faire l'amour qu'avec des organes excrémentiels. »300 Puis, dans le même fragment, Baudelaire loue le mariage en écrivant que « Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage. »301 Ailleurs, il déclare encore son adhésion à l'hypothèse du péché originel, affirmant par exemple que « la négation du péché originel ne fut pas pour peu de chose dans l’aveuglement général »302 qui, pour Baudelaire, s'empara du XVIIIe siècle. Tous ces éléments renvoient aux icônes catholiques les plus répandues.

Bien sûr, de prime abord, de nombreux poèmes de Baudelaire laissent entendre une voix qui s’élèverait avec véhémence contre la religion. Athéisme, satanisme, romantisme noir, socialisme lyrique, gnosticisme revisité : ces différents termes peuvent naturellement être évoqués lorsqu'on aborde un poème comme « Les litanies de Satan ». Là, le poète use avec provocation de l'ange déchu et s'écrie « Ô Satan, prends pitié de ma longue misère ! »303 Et l'on reconnaîtra qu'il paraît bien alambiqué de ranger l'auteur de ces mots parmi les fidèles catholiques. Pourtant, il n'est pas évident que tel ne soit pas le cas. Dans les notes que Baudelaire adressa à son avocat, lors du procès des Fleurs du mal on trouve cette idée : « Le Livre doit être jugé dans son ensemble, et alors il en ressort une terrible moralité. »304 Puis, plus loin, on trouve cette assertion : « À un blasphème, j'opposerai des élancements vers le Ciel, à une obscénité, des fleurs platoniques. (…) Il était impossible de faire autrement un livre destiné à représenter L'AGITATION DE L'ESPRIT DANS LE MAL. »305 D'ailleurs, aux « Litanies de Satan » répond le poème « Bénédiction » où Baudelaire écrit : « Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance / Comme un divin remède à nos impuretés / Et comme la meilleure et la plus pure essence / Qui prépare les forts aux saintes voluptés ! »306 On ne peut donc pas trancher définitivement sur l'attitude que prend réellement Baudelaire lorsqu'il écrit les « Litanies de Satan ». Nous reviendrons plus tard sur ce point, mais pour l'instant, on peut en tout cas penser que cela n'invalide pas l'existence chez Baudelaire d'une certaine forme de catholicisme, que celle-ci soit le fait d'élans sporadiques, d'une certaine période de sa vie, ou d'une interprétation toute personnelle des textes sacrés.

Cela, bien entendu, implique d'accepter l'hypothèse selon laquelle, comme la plupart des personnes suivant une doctrine, Baudelaire s’accommodait de celle-ci. Considérer qu'il était catholique, ce n'est pas considérer qu'il suivait forcément scrupuleusement le dogme et tout ce que l'Église de son temps pouvait prêcher. Aujourd'hui encore, beaucoup prônent le commandement « tu ne tueras point » et se déclarent tout de même fermement en faveur de la peine de mort ; ainsi Baudelaire pouvait-il proclamer la véracité de la providence divine et cependant tenter de mettre fin à ses jours en 1845. Il n'y a jamais vraiment de paradoxe pour un esprit religieux, car après tout, chacun de ses actes renvoie toujours à un « credo qui absurdum » par lequel tout peut être justifié, même le reniement de Saint-Pierre. Si Baudelaire n'était sans doute pas un fidèle catholique exemplaire, il était assurément profondément marqué par cette religion.

Le catholicisme plus ou moins déviant de Baudelaire a donc pu se repaître des textes de Swedenborg, ce philosophe étant lui-même un catholique s'écartant du dogme officiel sur certains points.



b. Les « correspondances »


Ainsi que nous l'avons vu plus haut, Swedenborg invente la notion de correspondance par laquelle il explique le lien entre le monde visible et le monde invisible. Baudelaire, à sa manière, fera sienne cette hypothèse qu'il exploitera et décrira à de nombreuses reprises. Dans l'article sur Hugo de Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, il écrit : « Swedenborg, qui possédait une âme bien plus grande nous avait déjà enseigné que le ciel est un très-grand homme ; que tout, forme, mouvement, nombre, couleur, parfum, dans le spirituel comme dans le naturel, est significatif, réciproque, converse, correspondant. Lavater, limitant au visage de l’homme la démonstration de l’universelle vérité, nous avait traduit le sens spirituel du contour, de la forme, de la dimension. Si nous étendons la démonstration (non seulement nous en avons le droit, mais il nous serait infiniment difficile de faire autrement), nous arrivons à cette vérité que tout est hiéroglyphique, et nous savons que les symboles ne sont obscurs que d’une manière relative, c’est-à-dire selon la pureté, la bonne volonté ou la clairvoyance native des âmes. »307

L'emploi le plus évident de la notion de « correspondance » sous la plume du poète est fait dans le sonnet justement intitulé « Correspondances »308, que nous nous permettons de reproduire ici :


« La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.


Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,


Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. »


Baudelaire reprend bien ici l'hypothèse d'un lien existant entre le monde matériel et le monde spirituel, d'un lien qui serait fait de « forêts de symboles » et qui pourrait très bien être chuchoté par les esprits, ces « regards familiers ». La « Nature » pourrait représenter l'immanence, le monde visible de l'homme, et le « temple » la transcendance, la demeure du divin. Ce « temple » ne laisserait sortir que « de confuses paroles », c'est-à-dire des signes voilés : la divinité nous proposerait des ponts vers elle, mais elle n'apparaîtrait pas dans l'évidence.

Cela ne s'opposerait pas forcément au fait que c'est bien la Nature qui est ce temple, sorte de caisse de résonance du divin, et que par conséquent, le monde matériel et le monde spirituel ne seraient pas distincts l'un de l'autre mais se confondraient. Baudelaire soutient de la sorte l'existence d'une unité de la création, mais une unité qui est à la fois dissimulée et intime, qui est « une ténébreuse et profonde unité. » Dieu n'a pas créé deux mondes indépendants, il a créé un monde cohérent à deux facettes, dont l'une pourrait, en termes swedenborgiens, être la cause, et l'autre l'effet.

Remarquons que par le biais de ce dualisme que Baudelaire emprunte à Swedenborg, le poète adopte ici une compréhension du monde proche de celle de Platon. L'on pourrait ainsi affirmer que Baudelaire, par son inspiration swedenborgienne, développe une poésie platonicienne.

On notera également dans le sonnet que les signes du divin sont contingents : ces « vivants piliers / laissent parfois sortir de confuses paroles ; ». Cela arrive donc « parfois », mais ce n'est pas à chaque fois, et il se peut même que cela soit rare (le sonnet ne le dit pas.) Il n'y a donc pas de connaissance vraie qui pourrait à coup sûr nous mener vers le monde spirituel. Il se sépare donc ici de Platon pour qui la science dialectique, connaissance vraie et certaine, pouvait toujours nous élever vers les Idées. Avec Baudelaire, une part de mystère reste entière en ce monde et il n'y a pas de recette qui permettrait de lever le voile à tous les coups.

Par ailleurs, ces signes que nous adresse le monde spirituel sont « de confuses paroles » que l'homme perçoit « à travers des forêts de symboles ». Quand ces signes apparaissent, il faut donc encore être capable de les déchiffrer : la nécessité d'un traducteur s'impose. Sans doute réclame-t-on pour ce faire quelqu'un qui ait « cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du ciel ».309 Il y a fort à parier dès lors que le poète soit un déchiffreur privilégié des hiéroglyphes de la Nature, car « chez les excellents poètes, il n’y a pas de métaphore, de comparaison ou d’épithète qui ne soit d’une adaptation mathématiquement exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l’universelle analogie, et qu’elles ne peuvent être puisées ailleurs.  »310

Mais une césure apparaît plus loin dans le poème, car il semblerait que la transcendance disparaisse, et que soudainement, il ne soit plus question que du plan de l'immanence. En effet, le mouvement vertical d'élévation vers Dieu s'efface, et il ne reste plus que des « parfums », des « couleurs » et des « sons » qui se répondent : les sens sont en éveil et dialoguent dans l'immanence, la synesthésie se substitue à la correspondance, le sacré se distille dans les fibres de la nature. Il se peut que le poète transpose la correspondance swedenborgienne vers une forme de panthéisme. Certainement sans chercher à y faire référence, et même probablement sans en avoir une connaissance experte, Baudelaire instille peut-être l'idée du « Deus sive natura » (« Dieu ou la Nature »311) spinoziste dans son poème : ce temple qui nous appelle par des signes, c'est avant tout cette Nature qui éveille nos sens. Le dualisme de la pensée de Swedenborg semble alors laissé de côté. Il se peut que ce soit par une volonté consciente de Baudelaire de défaire la doctrine du philosophe suédois pour nous amener à ce qui lui semble plus plausible, comme s'il s'essayait à une déconstruction poétique du concept. Peut-être par le biais de ce poème ne fait-il pas que rendre hommage à Swedenborg, peut-être engage-t-il avec lui un dialogue. Mais il est possible également que ce ne soit là qu'un jeu poétique innocent, qui laisse présider l'imagination à la table des idées, et qui ne tienne pas nécessairement à nous amener précisément quelque part. Ce faisant, le poète se déroberait à l'analyse philosophique stricto sensu puisqu'il se jouerait de la cohérence du discours.

Il s'agirait cependant d'une incohérence du discours qui ne le serait pas forcément tant que ça, puisque finalement, c'est également la confusion qui conduit le poème puisque ce sont de « confuses paroles » qui nous parviennent. En effet, ces signes sacrés sont des parfums qui « chantent les transports de l'esprit et des sens », et il est possible qu'ils ne soient donc pas les fidèles adorateurs d'un logos unifié. Car le poète, s'il est « déchiffreur », n'est cependant pas un professeur qui déviderait un système. On a déjà vu que Baudelaire n'approuvait pas les pensées systémiques. Pour lui, la vérité divine, ce n'est peut-être pas une chose à laquelle on accède par un transport vertical, comme si on empruntait un ascenseur alimenté par une force rationnelle ou par une énergie spirituelle. Ce n'est peut-être pas une lumière vive qui scintille clairement et distinctement au sommet d'un temple que l'on gravirait avec les élans de la foi ou à l'aide des piolets de la raison. C'est peut-être simplement cette perception nébuleuse d'une perfection qui se cherche, s'appelle et se répond au sein d'un « Moi vaporisé »312. Car comme il l'écrit dans Salon de 1846 : « Quoique le principe universel soit un, la nature ne donne rien d’absolu, ni même de complet ; je ne vois que des individus. »313

Il est vrai que devant cet étrange mélange des genres, on pourrait arguer que la confusion ne provient pas du poème, mais naît d'une méprise de celui qui l'étudie, méprise qui consisterait à partir du postulat que le poème « correspondances » fait nécessairement référence à la philosophie de Swedenborg. Car il se pourrait que Baudelaire ne pense pas à cet auteur, et qu'il emploie ici « correspondances » dans le même sens que synesthésie. Il est possible que le poète utilise ce terme de manière tout à fait innocente, sans chercher à faire une référence quelconque.

Nous pensons que cela est improbable parce que, comme nous l'avons déjà exposé, les références que Baudelaire fait à Swedenborg sont nombreuses dans ses œuvres, et le poète montre toujours une grande admiration pour ce philosophe. Il avait assurément parcouru ses ouvrages et avait fait sien le terme « correspondance ». Le hasard est donc ici tout à fait improbable.



B. De Maistre

1. Vision générale de la philosophie de Maistre


Joseph De Maistre est le plus célèbre des penseurs réactionnaires de langue française. Sa vie et son œuvre se sont toutes deux construites en opposition à ce qu'il jugeait être un des plus grands maux de l'humanité : la Révolution française de 1789.

Pour ces raisons, il est assez peu étudié et est souvent laissé en pâture aux nostalgiques de Vichy, aux provocateurs désespérés, aux originaux par ressentiment ou aux fossiles maurassiens. Pourtant, bien que sa pensée soit aussi rétrograde que délirante, bien qu'il allie l'absurde à une sorte de barbarie au sang bleu, il n'en est pas moins homme de génie et littérateur de talent. En parcourant ses ouvrages, on comprend assez bien la fascination qu'il peut exercer tant son style est élégant, ses envolées tonitruantes, et ses épigrammes cinglantes. Son fanatisme y est si bien servi par cette langue éclatante, qu'on ne peut que s'arrêter avec stupeur et étonnement devant cette débauche de fureur inutile, devant ces ultimes provocations du désespoir : Joseph De Maistre constitue un des maîtres absolu de la névrose d'échec stylisée. Cette raison à elle seule pourrait expliquer beaucoup de la connivence intellectuelle qui a pu se nouer entre Baudelaire et celui que Cioran appela « le Machiavel de la théocratie. »314

Nous allons essayer ici d'exposer succinctement la philosophie de cet inquiétant vestige du passé, qui « s'il avait eu la chance d'être plus connu, eût été – d'après Cioran – l'inspirateur de toutes les formes d'orthodoxie politique, le génie et la providence de tous les despotismes de notre siècle »315 et qui, par conséquent, nous rappelle plus que jamais « aux délices du scepticisme ou à l'urgence d'un plaidoyer pour l'hérésie. »316



a. La Révolution française : un châtiment divin en réponse au désordre de la pensée


La Révolution française est l'ennemi contre lequel Maistre déchaîne une haine féroce : « ce qui distingue la révolution française, et ce qui en fait un événement unique dans l'histoire, c'est qu'elle est mauvaise radicalement; aucun élément de bien n'y soulage l’œil de l'observateur; c'est le plus haut degré de corruption connu; c'est la pure impureté. »317

Cette révolution, il l'impute à la philosophie des Lumières qu'il voue aux gémonies : « Il n'y a que violence dans l'univers ; mais nous sommes gâtés par la philosophie moderne, qui a dit que tout est bien, tandis que le mal a tout souillé, et que, dans un sens très-vrai, tout est mal, puisque rien n'est à sa place. La note tonique du système de notre création ayant baissé, toutes les autres ont baissé proportionnellement, suivant les règles de l'harmonie. »318 Car d'après Maistre, l'humanité avait une connu une période d'harmonie. Il ne s'agissait pas d'un « bon sauvage » solitaire errant avec bêtise dans une nature pourvoyeuse, mais d'une civilisation à l'intelligence subtile. Et si l'homme ne connaît plus cet état, c'est parce qu'à la suite du péché originel, il a connu la chute et la déchéance.

Le péché originel est une notion fondamentale pour comprendre la pensée maistrienne : c'est elle qui rend compte du mal, de la méchanceté humaine et de la cruauté qui peut se montrer tant dans le fait divers sordide que dans la barbarie révolutionnaire. En effet, pour Maistre, l'homme « ne peut être méchant sans être mauvais, ni mauvais sans être dégradé, ni dégradé sans être puni, ni puni sans être coupable. »319 Sa propension à faire le mal prouve donc sa culpabilité, et celle-ci ne s’explique que par le péché originel. Ce qu'il appelle « mal », c'est donc cette rupture qui s'est faite dans l'unité et qui a engendré la chute, qui a poussé les hommes à abandonner le Royaume de Dieu et qui est cause que « rien n'est à sa place. »

« Rien n'est à sa place », ce qui revient à dire que les choses se sont déplacées, que l'Unité première a disparu. Et justement, ce qui fait horreur à Maistre dans la philosophie des Lumières, c'est cette volonté de changer les choses, cette attaque en règle contre les traditions qui se glisse sous l'injonction de l'Aufklarer : « Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! »320. Le changement l'effraie, et l'esprit d'innovation constitue à ses yeux un véritable fléau. Il craint la perte de l'Unité que garantissait la société monarchique, où chaque chose était à sa place et où personne ne s'échappait du rôle qu'on lui avait attribué.

Avec les Lumières, l'individu prend toute sa place et, armé de sa raison, il réclame son dû. C'est là un crime absolu pour Maistre qui considère que le corps social prime sur l'individu, et que celui-ci doit être sacrifié à la cohésion sociale.




b. La Providence divine et la rédemption par le sang


Toujours catholique dans sa répugnance réactionnaire, il défend l'idée de Providence divine, ce « donquichottisme de la théologie »321, et fait de la révolution elle-même l'instrument de celle-ci : « Jamais la Providence n'est plus palpable, que lorsque l'action supérieure se substitue à celle de l'homme et agit toute seule. C'est ce que nous voyons dans ce moment. »322

Les massacres engendrés par la révolution et le règne de la terreur sont autant d'abominations qui vont alimenter son dégoût. Cependant, il y voit un châtiment nécessaire : c'est un mouvement de l'histoire par lequel la Providence punit les hommes, c'est une expression élevée de l'expiation. La terre a soif de sang, parce que c'est de ce sang que l'humanité se régénérera. Le sacrifice est le prix du rachat : « Il n'y a rien qui démontre d'une manière plus digne de Dieu ce que le genre humain a toujours confessé, même avant qu'on ne le lui eût appris : sa dégradation radicale, la réversibilité des mérites de l'innocence payant pour le coupable, et LE SALUT PAR LE SANG. »323 Au bout de ce chemin jalonné de cadavres, le Royaume de Dieu nous attend. D'ici là, il nous appartient de prendre le goût de l'expiation avec celui du sang.

Le mal est ainsi un moyen dont use la Providence pour nous ramener à l'unité de la civilisation originelle, au paradis de l'âge d'or primitif. Il n'est mal qu'en apparence, et en vérité, il constitue plutôt une forme de négativité de la Providence, « le mal est le schisme de l'être; il n'est pas vrai. »324 Et il n'y aurait d'ailleurs même pas d'injustice en ce monde : quand l'homme souffre, c'est à cause de sa nature d'homme. Il ne souffre jamais injustement, il souffre pour expier le péché originel, car : « nul homme n'est puni comme juste, mais toujours comme homme, en sorte qu'il est faux que la vertu souffre dans ce monde: c'est la nature humaine qui souffre, et toujours elle le mérite »325.

Et si la Providence divine peut s'accomplir par la main d'hommes libres, c'est parce que, pour Maistre, « nous sommes tous attachés au trône de l'Être Suprême par une chaîne souple, qui nous retient sans nous asservir. Ce qu'il y a de plus admirable dans l'ordre universel des choses, c'est l'action des êtres libres sous la main divine. Librement esclaves, ils opèrent tout à la fois volontairement et nécessairement : ils font réellement ce qu'ils veulent, mais sans pouvoir déranger les plans généraux. »326 Ainsi Maistre sauve-t-il la Providence et la liberté humaine, sans laquelle il n’y a pas de péché possible.

On observera qu’avec cette pensée de la Providence, Maistre s'oppose radicalement à toute idéologie du progrès. D’après lui, la Providence n'est pas un mouvement vers l'avant, elle est un retour vers le passé. Ce n'est pas en progressant que l'homme va atteindre des « lendemains qui chantent », mais c'est en se soumettant aux supplices qu'il peut espérer revenir au paradis perdu.



c. La Théocratie comme modèle politique


Maistre est l'ardent défenseur de la théocratie parce que devant Dieu, seule la résignation totale est cohérente. Il approuverait sans doute cette assertion de Bakounine : « l’idée de Dieu implique l’abdication de la raison et de la justice humaines, elle est la négation la plus décisive de l’humaine liberté et aboutit nécessairement à l’esclavage des hommes, tant en théorie qu’en pratique »327, à la différence que pour Maistre, Dieu est premier, la soumission de l'homme est donc juste et c’est en pleine possession de sa liberté que l’homme doit nier celle-ci en faveur de Dieu : « Il n'y a pas de meilleur parti à prendre que celui de la résignation et du respect, je dirai même de l'amour; car, puisque nous partons de la supposition que le maître existe, et qu'il faut absolument servir, ne vaut-il pas mieux (quel qu'il soit) le servir par amour que sans amour ? »328

Sa passion pour la théocratie le poussera même à faire l'éloge de l'inquisition. Cette dernière avait pourtant réussi à freiner les thuriféraires de l'Église les plus zélés. Considérée fréquemment par les adeptes les plus convaincus comme un détail de l'histoire de la religion catholique, ils s'empressent de l'oublier et la rangent dans les erreurs humaines de toute institution. Maistre n'a pas cette faiblesse et poursuit avec une cohérence qui fait froid dans le dos sa défense du catholicisme : « il ne peut y avoir dans l'univers rien de plus calme de plus circonspect, de plus humain par nature que le tribunal de l'Inquisition »329 écrit-il. Force est de reconnaître que sa cruauté a le mérite de le pousser à rester conséquent devant toute horreur, ce qui constitue une forme de probité intellectuelle qu'on constate rarement chez les esprits religieux.

Mais il ne s'agit pas que d'une soumission métaphysique à un principe supérieur, il s'agit aussi d'une nécessité sociale, car pour Maistre, un pouvoir est absolu ou n'est pas. Une règle supérieure qui ne connaît pas de bornes doit s'imposer à tous les hommes pour assurer l'Unité qu'il vénère tant. Hors cette unité, il ne conçoit pas de société possible et ne voit plus que deux options : le despotisme ou l'anomie sociale.




d. Une théorie spiritualiste de la connaissance

On comprendra facilement qu'ayant abdiqué sa raison en faveur de Dieu, le mode d'accès privilégié de Maistre à la connaissance soit l'intuition. D'après lui, il est « de l'essence de ce qui est parfaitement connu de ne pouvoir être défini; car plus une chose est connue, et plus elle nous approche de l'Intuition, qui exclut toute équation. »330

Cela recoupe une autre hypothèse de Maistre, selon laquelle tout provient du monde spirituel, et que c'est seulement par le spirituel que l'on peut comprendre le monde. Pour lui, il n'y a « aucune loi sensible qui n'ait derrière elle (passez-moi cette expression ridicule) une loi spirituelle dont la première n'est que l'expression visible ; et voilà pourquoi toute explication de cause par la matière ne contentera jamais un bon esprit. »331 Le monde est ainsi pour lui une « analogie universelle » où le surnaturel se manifeste par des signes que l'on doit interpréter. Le monde matériel est comme l'enveloppe de Dieu, et la divinité est donc présente partout. Il paraît assez cohérent, dès lors, de s'en remettre à l'intuition plutôt qu'à la raison pour appréhender le monde, puisque son essence est spirituelle, et que seule une disposition mystique pourrait nous donner à voir les lois véritables d'où émane le monde matériel.

Ce mysticisme se prolonge avec l'idée d'innéisme. Maistre, reprenant en cela le thème maintes fois décliné du Ménon de Platon, pense que « l'homme ne peut rien apprendre qu'en vertu de ce qu'il sait déjà »332. D'après lui, les sens sont incapables de nous apprendre quoi que ce soit, ils ne peuvent imprégner en nous des connaissances que nous ne possédions déjà. À ses yeux, cela est d'autant plus vrai que l'homme possède des idées abstraites qui ne peuvent absolument pas être perçues empiriquement. Ainsi l'idée de perfection ne pourrait nous être communiquée par les sens, qui, par définition, ne perçoivent jamais rien de parfait. Il y aurait donc dans toute connaissance un processus de réminiscence, par lequel nous nous rappellerions certaines choses qui nous étaient évidentes avant la Chute.

Ces hypothèses spiritualistes entrent en résonance avec une autre théorie assez étonnante que l'auteur élabore : celle du pouvoir de la nomination. Pour Maistre, « une essence ne pouvant être comparée qu'à elle-même il demeure démontré qu'elle ne peut être connue en essence que par intuition, ou, ce qui revient au même, par son NOM. »333 Ainsi, toute chose a un vrai nom qui lui a été donné par Dieu. Ce vrai nom possède par conséquent une sorte de pouvoir magique, il est la clé par laquelle on peut aboutir à l'essence de la chose. « Les noms représentent les Idées et sont toujours aussi clairs qu'elles ; ils ne peuvent l'être ni plus ni moins, puisqu'ils ne sont dans le vrai que des idées parlées. »334 La pensée et la parole sont synonymes, puisque Maistre croit fermement aux enseignements des textes sacrés d'après lesquels « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. »335

Il va de soi que cette doctrine se heurte à la question de la diversité des langues. Maistre résout le problème en considérant que les langues actuellement parlées sont des dérivées d'une langue originelle établie par Dieu : « Les langues ont commencé ; mais la parole jamais. »336 Il y aurait donc un travail étymologique à effectuer pour retrouver la parole initiale, qui ouvrirait la porte à une compréhension des idées.



e. Un paradoxe : éloge de la Providence, et condamnation d’une révolution mise en place par cette même Providence


La Révolution française, pour Maistre, est de ces maux par lesquels la Providence engage l'humanité sur la voie du bien. Elle est un moyen d'expiation, et donc de rachat de l'humanité. Mais elle est également un mal, puisque Maistre la dit « satanique ». Et même si Maistre soutient par endroit que le mal n'existe pas, il faut bien qu'il sous-entende en d'autres endroits que ce mal est réel, car sinon, comment légitimerait-il l'acte par lequel Dieu a condamné les hommes ? Maistre abhorre la Révolution française et il répète à l'envi son dégoût de celle-ci. Néanmoins, il la considère comme un mouvement divin, un effet de la volonté de ce Dieu qu'on ne pourrait, – assure-t-il –, qu'aimer. Ainsi, d'un côté, il estime que la Révolution française est divine, et de l'autre, qu'elle est satanique.

De deux choses l'une : soit la Révolution est divine, et alors elle est bonne et doit nous transporter de joie, quand bien même elle n'existerait que pour mieux revenir en arrière ; soit elle est mauvaise, et alors elle ne peut être le fait de la Providence divine et ne peut s'expliquer que par la liberté de l'homme.

Mais sur ce point également, l'argumentation maistrienne s'effondre. D'après lui, l'homme est libre, et par définition, il peut donc faire le mal. Par exemple : il fait la révolution. Mais cette révolution, il ne l'accomplit pas à l'aide d'une liberté absolue, mais suivant une liberté guidée par Dieu qui, par le biais de la Providence, garantit la bonne marche du monde. Ainsi que l'écrivait Cioran : « « Chaîne souple », esclaves qui agissent « librement », ce sont là incompatibilités qui trahissent l'embarras du penseur devant l'impossibilité de concilier l'omnipotence divine et la liberté humaine. »337

Finalement, Maistre est, comme tous les défenseurs de l’idée de Providence, pris au piège de celle-ci. Il lui faut défendre cette marche inexorable de la Divinité sans laquelle la parfaite bonté de Dieu ne serait pas assurée, mais en même temps, il lui incombe de condamner le mal. Car sans le mal, quelle liberté resterait-il à l’homme, et pour quelle culpabilité pourrait-on le blâmer ? Sans le mal, tout est permis, car la liberté s’efface et tout se trouve ainsi justifié par l’irréfragable loi de la fatalité. Dès lors, l’on peut gaillardement éviscérer son prochain sans que cela pose problème : quoique l’opération fasse sans doute mal, elle est assurément légitimée par la Providence, qui, sans la liberté et sans le mal, se porte seule garante de l’action. Pourtant, il ne peut pas y avoir, dans une perspective chrétienne, d’abandon total de l’hypothèse du mal. Il faut qu’il y ait des choses qu’on ne doive pas faire, faute de quoi, le postulat du péché originel lui-même n’aurait plus de sens. Problématique indépassable, puisque ce mal fait partie intégrante de la Providence.

La Providence utilise donc le mal pour parvenir à ses fins : curieuse déité que ce démiurge qui pousse la liberté humaine dans le sens du mal pour parvenir au bien. Il eut sans doute été plus simple de priver les hommes de liberté, ou au moins, de les mettre en liberté surveillée. Cela aurait peut-être été un « moindre mal ».

Mais cela aurait amené à une remise en cause radicale de l'idée de Dieu, ce à quoi Maistre ne peut en aucun cas parvenir. D'où ces mots de Cioran : « Ces automates, ces instruments, en quoi étaient-ils plus coupables que la force « supérieure » qui les avait suscités et dont ils exécutaient fidèlement les décrets ? Ne serait-elle pas, cette force, elle aussi « scélérate » ? Comme elle représentait pour Maistre le seul point fixe au milieu du « tourbillon » révolutionnaire, il ne la mettra pas en accusation, ou du moins se comportera-t-il comme s'il en acceptait sans discussion la souveraineté. »338



2. Ce que Baudelaire va tirer de Maistre


a. Des figures déjà vues chez Swedenborg


On retrouvera chez Maistre des figures de pensée proches de certaines idées de Swedenborg. Baudelaire y puisera abondamment. Mais dans la mesure où elles ne sont guère différentes de ce que nous avions pu déjà rencontrer dans l'étude de Swedenborg, nous ne nous appesantirons pas sur celles-ci. Nous nous permettrons tout de même de les souligner à nouveau, en mettant éventuellement en avant ce qui distingue l'apport maistrien de celui de Swedenborg.


La philosophie de Maistre contient des aspects platoniciens assez proches de ceux de la pensée de Swedenborg, notamment l'idée selon laquelle le plan spirituel régit le monde naturel. Cela séduira pareillement Baudelaire, qui, une fois de plus, trouvera dans l'hypothèse de l'universelle analogie une raison de chercher en l'art un instrument permettant de dévoiler le réel. Dans L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, Baudelaire écrivait que « tout l’univers visible n’est qu’un magasin d’images et de signes auxquels l’imagination donnera une place et une valeur relative ; c’est une espèce de pâture que l’imagination doit digérer et transformer. »339 L'on pourrait ici considérer que l'imagination joue pour Baudelaire un rôle assez proche de celui que joue l'intuition aux prises avec l'universelle analogie pour Maistre.

La religion chrétienne, thème déjà plus que présent chez Swedenborg, se retrouve chez Maistre. Il se peut que Baudelaire ait trouvé d'autant plus séduisant le catholicisme de Maistre que celui-ci l'utilise d'une manière assez provocante, le manipulant de la manière la plus réactionnaire qui soit pour condamner le monde qu'il voit se construire. Il y a par ailleurs chez le philosophe de la Maison de Savoie une complaisance dans le dolorisme chrétien qui ne laisse sans doute pas de plaire à l'auteur de L'Héautontimorouménos (terme qu'on pourrait traduire par « Le bourreau de soi-même »), que les tendances masochistes et un fort sentiment de culpabilité semblent toujours dominer. Baudelaire retrouvera chez Maistre nombre de thèmes qui lui sont chers : l'idée de péché originel, par exemple, que Baudelaire invoque souvent dans une perspective toute maistrienne. Ainsi dans Mon cœur mis à nu, lorsqu'il écrit que « la vraie civilisation (…) n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes. Elle est dans la diminution des traces du péché originel »340, il propose un point de vue que n'aurait pas démenti Maistre, pour qui l'expiation du péché originel devait nous ramener au paradis perdu. On a pareillement déjà constaté que Baudelaire croyait au pouvoir de la Providence divine. On peut considérer qu'il interprète celle-ci de la même manière que Maistre, c'est-à-dire que pour le poète également, tout mal se justifie comme cheminement de la Providence, et toute chose dans le monde participe d'une certaine harmonie mise en place par Dieu : « Quoiqu’il y ait dans la nature des plantes plus ou moins saintes, des formes plus ou moins spirituelles, des animaux plus ou moins sacrés, et qu’il soit légitime de conclure, d’après les instigations de l’immense analogie universelle, que certaines nations — vastes animaux dont l’organisme est adéquat à leur milieu, — aient été préparées et éduquées par la Providence pour un but déterminé, but plus ou moins élevé, plus ou moins rapproché du ciel, — je ne veux pas faire ici autre chose qu’affirmer leur égale utilité aux yeux de CELUI qui est indéfinissable, et le miraculeux secours qu’elles se prêtent dans l’harmonie de l’univers. »341 Baudelaire offre par ailleurs dans Mon coeur mis à nu une vue sur la question du progrès et de la Providence qui paraît directement tirée de la philosophie de Maistre : « Non seulement il y aura, dans le cas de progrès, identité entre la liberté et la fatalité, mais cette identité a toujours existé. Cette identité c'est l'histoire, histoire des nations et des individus. »342 L'histoire est ainsi un processus fatal qui se fonde sur la liberté humaine : cette hypothèse rejoint encore la pensée de Maistre selon laquelle les hommes sont attachés à Dieu par une « chaîne souple » qui les conduit à accomplir, en toute liberté, les desseins de la Providence. Quant à cette phrase de Baudelaire : « La Révolution et le culte de la Raison prouvent l'idée du sacrifice »343, elle illustre parfaitement la théorie du philosophe réactionnaire, pour qui la Révolution est un tribut de sang payé à la divinité.



b. La critique des Lumières


Sur ce point, l'influence de Maistre est extrêmement sensible. Il ne fait aucun doute que Baudelaire ait nourri une haine profonde de la philosophie des Lumières passé un certain stade de sa vie, et que cette animadversion ait trouvé en Maistre un allié puissant. Baudelaire versera lui aussi abondamment dans la critique de la Révolution française, et plus généralement de toutes les révolutions : « moi, je ne suis pas dupe ! je n'ai jamais été dupe ! Je dis Vive la Révolution ! Comme je dirais : Vive la Destruction ! Vive l'Expiation ! Vive le Châtiment ! Vive la Mort ! »344 écrit-il dans Pauvre Belgique ! Ici se montre bien son adhésion à l'idée que toute révolution est un sacrifice offert à Dieu en rémission du péché originel.

On sait par ailleurs que Baudelaire abhorre au plus haut point l'idée de progrès. Dans son article sur l’Exposition Universelle de 1855, il en parle en ces termes : « Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. — Je veux parler de l’idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ; la liberté s’évanouit, le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l’histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l’amour du beau : et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s’endormiront sur l’oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude. Cette infatuation est le diagnostic d’une décadence déjà trop visible. »345 Il est certain que Maistre n’aurait pas trouvé à redire à cette critique acerbe d’un des éléments fondamentaux des Lumières. Rappelons que s’il y a chez Maistre une forme de millénarisme, celui-ci passe par l’expiation des péchés, la volonté de Dieu, et aboutit à un retour en arrière, au Royaume de Dieu. Il invite à se reposer sur les traditions pour accepter la théocratie et les châtiments divins, dans l’espoir d’une rédemption. L’homme, dans cette perspective, est éternel, il ne change pas, ce qui exclut l’hypothèse de la « perfectibilité. » A contrario, le progrès, dans la philosophie des Lumières, invite à améliorer l’homme par l’usage de sa raison, en s’émancipant des traditions, de l’autorité et des dogmes. Ce progrès aspire à un monde meilleur construit par des individus devenus libres et autonomes. Si l’on peut donc parler d’une forme de « progrès » dans la philosophie de Maistre, celui-ci est symétriquement opposé au progrès des Lumières. Remarquons par ailleurs que Baudelaire condamne notamment le progrès parce que celui-ci n’est pas validé par la « divinité », et que de cette manière, il se range bien dans le camp de Maistre.

L’idée d’égalité constitue également un des enseignements des Lumières que Baudelaire et Maistre attaquent tous deux avec une ardente acrimonie. Baudelaire, comme à son habitude, ne se prononce pas avec aménité. Dans Anniversaire de la naissance de Shakespeare, il tourne en dérision ceux qui portent un toast « à toutes les stupidités propres à ce XIXe siècle, où nous avons le fatiguant bonheur de vivre, et où chacun est, à ce qu’il paraît, privé du droit naturel de choisir ses frères. »346 Son dégoût pour l’égalité semble même parfois se prononcer ouvertement en faveur d’un gouvernement des élites, comme en témoigne cette sentence assénée dans Mon cœur mis à nu : « Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique. »347 Rien ne laisse cependant penser qu'il se prononce en faveur de la monarchie. Il n'a que mépris pour le second empire, même s'il reconnaît ironiquement une certaine gloire à l'empereur : « la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation. »348



c. Une pensée en opposition avec la nature


Maistre et Baudelaire se retrouvent en outre sur un point d'importance : leurs pensées considèrent la nature comme un mal. Contre ceux qui affirment que le monde est bon et que seul l'homme est pécheur, ils soutiennent que c'est justement la nature qui incarne le péché, et que l'homme en proie au péché n'est rien d'autre que l'homme naturel. Dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, Maistre écrit qu'« il n'y a point d'homme juste »349 et qu'il est « nécessairement criminel ou de sang criminel »350. Baudelaire le suit dans cette direction. Dans ses Études sur Poe, il salue l'auteur Américain d'avoir « imperturbablement affirmé la méchanceté naturelle de l'Homme. Il y a dans l'homme, dit-il, une force mystérieuse dont la philosophie moderne ne veut pas tenir compte; et cependant, sans cette force innommée, sans ce penchant primordial, une foule d'actions humaines resteront inexpliquées, inexplicables. (…) Cette force primitive, irrésistible, est la Perversité naturelle, qui fait que l'homme est sans cesse et à la fois homicide et suicide, assassin et bourreau ; (…) nous sommes tous nés marquis pour le mal ! »351

L'homme est ainsi jugé coupable a priori, mais ce n'est pas le seul ; c'est la nature toute entière qui est condamnée. Le poète se rallie à l'opinion du philosophe d'après lequel le monde dans lequel nous vivons est victime de la perte d'unité, et que cette nature est le lieu du péché originel. D'après Maistre « le mal a tout souillé, (…) tout est mal, puisque rien n'est à sa place. (…) Tous les êtres gémissent et tendent, avec effort et douleur, vers un autre ordre des choses »352 La perte de l'unité, provoquée par le péché originel, a fait perdre l'harmonie générale du monde, et c'est la nature elle-même qui s'est ainsi vue pervertir. Le point de vue de Baudelaire converge ici tout à fait vers celui du philosophe : « la nature n’enseigne rien, ou presque rien, c’est-à-dire qu’elle contraint l’homme à dormir, à boire, à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l’atmosphère. C’est elle aussi qui pousse l’homme à tuer son semblable, à le manger, à le séquestrer, à le torturer ; car, sitôt que nous sortons de l’ordre des nécessités et des besoins pour entrer dans celui du luxe et des plaisirs, nous voyons que la nature ne peut conseiller que le crime. C’est cette infaillible nature qui a créé le parricide et l’anthropophagie, et mille autres abominations que la pudeur et la délicatesse nous empêchent de nommer. »353 On peut donc en conclure que pour le poète pareillement, plus on se rapproche de la nature, plus on se rapproche du péché originel. Si la figure de la femme est d'ailleurs si souvent méprisée dans les textes de Baudelaire, c'est parce qu'il considère que celle-ci est plus proche de la nature que l'homme, et que par conséquent, elle est plus proche encore du péché originel. D'où l'éloge du maquillage auquel se prête Baudelaire, car c'est par cette supercherie que la femme regagne quelque dignité en dissimulant sa naturalité : « La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable. »354 Néanmoins, son opinion sur la femme a sans doute beaucoup varié au cours du temps, puisqu'il lui concède une certaine position d'idole qui ferait sans doute fuir d'horreur tout féministe digne de ce nom : « C'est une espèce d'idole, stupide peut-être, mais éblouissante, enchanteresse, qui tient les destinées et les volontés suspendues à ses regards. »355

On peut estimer que les attaques de Maistre et de Baudelaire contre la nature s'adressent particulièrement à un adversaire : Jean-Jacques Rousseau. Maistre, dont la pensée est en désaccord total avec celle de Rousseau, avait déjà entrepris un éreintage en règle de l'auteur du Contrat social dans son Examen d'un écrit de J.-J. Rousseau sur l'inégalité des conditions. Dans cet écrit, il s'applique à démonter la thèse élaborée par Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. De manière assez similaire, Baudelaire semble haïr Rousseau et le poète manque rarement une occasion de médire du philosophe. En parcourant les textes laissés par Baudelaire, on perçoit que le poète voit en Rousseau un adversaire de taille, et qu'il lui reconnaît une forme de génie. On éprouve le sentiment qu'il l'a longuement parcouru, mais qu'il n'en reste pas moins pour lui un ennemi qu'il désire affronter et réfuter point par point. On trouvera dans la première partie de ce mémoire, dans la sous-partie sur Rousseau, l'ensemble des références que Baudelaire fait au philosophe. Il suffit de les parcourir pour comprendre que ce dernier ne l'appréciait guère. On constate en étudiant ces références que Rousseau, pour Baudelaire, incarne la sensiblerie maladive de celui qui, incapable de s'astreindre à user de sa raison, glisse sur la pente d'une sensualité pécheresse. Sous la plume de Baudelaire, Rousseau passe pour un philosophe qui se révolte un peu bêtement, par un ressentiment niais, animé d’un sentiment d'injustice qui reposerait sur son incompréhension du péché et de la légitimité des inégalités. Qui plus est, le philosophe possède une confiance dans l'existence qui ne peut qu’écœurer un caractère atrabilaire comme Baudelaire, qui écrivait par exemple dans sa Lettre à Jules Janin : « vous êtes heureux. Facile à contenter, alors ? Je vous plains, et j'estime ma mauvaise humeur plus distinguée que votre béatitude. – J'irai jusque-là que je vous demanderai si les spectacles de la terre vous suffisent. Quoi ! jamais vous n'avez eu envie de vous en aller, rien que pour changer de spectacle. J'ai de très sérieuses raisons pour plaindre celui qui n'aime pas la Mort. »356


III. Comment Baudelaire parvient-il à concilier christianisme idéaliste, conservatisme réactionnaire, et révolte anti-bourgeoise ?


Les sympathies de Baudelaire pour des auteurs comme Swedenborg et Maistre peuvent légitimement laisser perplexe : la première fois qu’on rencontre l’œuvre de ce poète, on est généralement emporté par le flux de révolte qui l’irrigue. On voit en Baudelaire le poète maudit de la bohème, qui piétine le pavé en blasphémant, qui engrange la haine sous son regard et qui sabote patiemment les sociétés industrieuses. Il représente cette digue derrière laquelle éternellement se pâme ce « temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », et que sans doute, personne n’a jamais connu. Il est ce diable romantique qui murmure un anathème libertaire aux oreilles de Saint Pierre, et qui dans sa passion de justice, ne sacrifie pas tout aux vautours de la raison. Il est ce chat de gouttière qui ne mange qu’un jour sur deux et qui prend le temps d’en laisser pour les chiens, qui prend le temps d’accrocher du regard « la douceur qui fascine et le plaisir qui tue »357 dans les hurlements de la rue, qui prend le temps de plaindre et contempler celle que les autres veulent acheter, et qui perd le reste de son temps à essayer de vivre au milieu de ceux qui ne savent plus que survivre. C’est le portrait de tous ceux qui ont un jour « épaté le bourgeois » pour venger un instant les enfants jouant dans l’ordure. Il incarne celui qui a suspendu la beauté aux lanternes des faubourgs, pour allumer d’un jour plus clair les yeux de ceux que le monde broie, celui qui accompagne au bout de la nuit les âmes noircies que la mort appelle, et qui les réconforte de saveurs amères pour remettre à plus tard leur dernier sacrement.

Ainsi pourrait apparaître le poète à qui ignore certaines de ses envolées réactionnaires, à qui ne décèle pas sous ses divers outrages toutes ses pieuses génuflexions. Car l’œuvre de Baudelaire est véritablement marquée du sceau de la révolte, d’une révolte radicale qui s’attaque à la création autant qu’à la société et qui n’épargne ni l’héritage des anciens, ni l’acquis des modernes.

Par ailleurs, pour réactionnaire qu’il soit, Baudelaire n’en est pas moins le grand poète de la modernité, celui qui l’a inventée sur le plan littéraire. Il a su immortaliser dans sa poésie l’ère qu’il voyait naître. Il a dépeint l’étrange idiosyncrasie de cette époque faite de bruits et de chocs, de brutalité et de « civilisation », de progrès et de décadence, de populace et d’Empire, saisissant en quelques vers ce que cette société moderne dévoilait de mystères. Ainsi, bien que réactionnaire par de nombreux aspects de sa pensée, il n’a eu de cesse de réclamer que quelque chose surgisse du temps, qu’advienne à lui une beauté auparavant inconnue. Cette fascination pour le passé, cette volonté passéiste de côtoyer Maistre et la chrétienté n’est-elle pas étonnante, quand on sait qu’elle trouve son assise chez quelqu’un qui est prêt à plonger « Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau »358 ?


Ainsi faut-il convenir que l’œuvre que laisse ce poète est éminemment problématique. La fréquentation de la modernité et les cris de révolte y côtoient l’adulation de Swedenborg et à la célébration de Maistre : c’est peu dire qu’affirmer qu’il y a là quelque chose de paradoxal.

Nous tâcherons désormais d’analyser ce paradoxe et de chercher à comprendre comment Baudelaire a pu tenter de le résoudre.



A. La révolte baudelairienne


En premier lieu, nous souhaitons attester de la réalité de la révolte baudelairienne.



1. Révolte politique


Nous avons déjà eu l’occasion de constater que Baudelaire n’était pas un de ces poètes qu’on pourrait ranger parmi les auteurs apolitiques. Nous aimerions maintenant expliquer pourquoi il serait réducteur de n’en faire que le porte-parole de la philosophie de Maistre. Accoler cette étiquette à Baudelaire reviendrait peut-être à lui faire jouer trop hâtivement un rôle qui ne serait pas entièrement le sien. Car à y regarder de plus près, la vie et les textes de cet auteur sont parsemés d’éléments qui invitent à le rapprocher du socialisme.

Dans sa vie, tout d’abord, on trouvera facilement matière à dresser le portrait d’un « Baudelaire socialiste ». On sait, par exemple, qu’en février 1848, un fusil à la main et s’écriant « Il faut aller fusiller le général Aupick ! »359, il prend part à la révolution qui aboutira à la Deuxième République et que, la même année, il se joindra à nouveau aux insurgés lors des journées de Juin.

Son engagement politique en faveur de la gauche se traduira également par sa volonté de travailler avec des journaux socialistes. On constate ainsi qu’en 1843, il proposa un manuscrit au journal fouriériste La Démocratie pacifique, tenu par Considerant (le texte sera refusé pour cause d’immoralité). Puis, quelques jours après la révolution de février 1848, Baudelaire participe à un journal socialiste intitulé Le salut Public et en avril de cette même année, il devient secrétaire de rédaction de La Tribune nationale, journal socialiste modéré.

L’enthousiasme que Baudelaire montrera pour Proudhon nous invite encore à le relier aux idées contestataires et populaires. On a déjà remarqué dans la première partie de ce mémoire que la gloire que Baudelaire reconnaît au grand critique de la propriété est maintes fois affirmée, même après que Baudelaire ait rompu avec la gauche. Ajoutons encore que Baudelaire, en août 1848, adresse deux lettres à Proudhon dans lesquelles il exprime son admiration pour le philosophe, ainsi que son désir de le rencontrer.

Par ailleurs, Proudhon n’a pas été la seule personnalité de gauche dont le poète ait cherché l’amitié : sa relation à Courbet en est un autre exemple. Les deux artistes s’estimaient énormément et Baudelaire répéta à de nombreuses reprises à quel point il considérait Courbet comme un génie de la peinture. En 1847, le peintre fait le portrait de Baudelaire, comme il fera celui de Proudhon plus tard.

Et l'on pourra également citer dans ses sympathies socialistes le personnage de Pierre Dupont, chansonnier et poète populaire, dont Baudelaire fit l'éloge.

Ce n’est qu'à la suite du coup d’état de 1851 que Baudelaire, désabusé devant l’échec des politiques favorables au peuple, décide d’abandonner la politique. Son désengagement, signe d’une déception certaine, ne traduit pas un désintérêt pour la politique, mais plutôt le désespoir de voir un jour la justice réalisée. Elle correspond au mouvement de dépit de ceux qui ne supportent plus de constater que les avancées de la classe ouvrière ne se font que par ses échecs.


La biographie nous ayant laissé ces différents éléments, il ne convient pas d'en rester là, car c'est bien l’œuvre de Baudelaire qui doit nous conduire à percevoir qu'il existe chez lui une réelle poétique socialiste.

Remarquons d'abord que la plupart des poèmes des Fleurs du mal ont été écrit avant 1844, et que jusqu’à cette date, il est permis d’affirmer que Baudelaire porte ses sympathies politiques vers la gauche. Cela nous autorise à inférer que le Baudelaire que la plupart des gens lisent, le Baudelaire des Fleurs du mal, est principalement d’influence socialiste. D'ailleurs, on peut faire l’hypothèse que le titre que le poète avait choisi pour le recueil entre 1848 et 1855, Les Limbes, est une référence directe au fouriérisme. Fourier désignant par « périodes lymbiques » des étapes de l’humanité « où le procédé d’Association est inconnu, et où le travail est géré en mode incohérent et morcelé »360 et dont le résultat serait de répandre sur la terre « toutes les calamités : pauvreté, inquiétude, fourberie, duplicité, etc. »361 Elles correspondraient entre autres à la période industrielle vécue par Fourier et Baudelaire.

Mais ce sont les textes eux-mêmes qui attestent véritablement de tendances socialistes chez ce poète. Il est impossible de ne pas percevoir à quel point ils sont imprégnés d'une sincère empathie envers le prolétariat. Dans le poème « Les yeux des pauvres » du Spleen de Paris, le narrateur est irrémédiablement déçu par la femme qu'il convoitait, parce que celle-ci, devant le regard des pauvres, s'écrie : « Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d'ici ? »362 Par ailleurs, Benjamin voit dans le poème « Abel et Caïn » des Fleurs du mal une litanie pleinement socialiste : « Caïn, l’ancêtre des déshérités, apparaît ici comme le père d’une race, et celle-ci ne peut être autre que la race prolétarienne. (…) C’est la race de ceux qui ne possèdent d’autre marchandise que leur force de travail. »363 Enfin, on pourrait encore s’appuyer sur l’analyse de Dolf Oehler qui, dans Le spleen contre l’oubli, montre que Baudelaire est le poète symptomatique du traumatisme engendré par 1848. Pour cet auteur, Baudelaire serait le poète qui aurait exprimé dans ses œuvres le cynisme par lequel la classe politique victorieuse aurait refoulé au fond d’un mauvais souvenir les victimes de l’insurrection de 1848 et l’injustice infligée à cette révolution avortée. Et Baudelaire, avec Flaubert, seraient eux-mêmes des victimes de ce refoulement « dans la mesure où une lecture conformiste de leurs textes en a retranché le contenu politique. »364 Dans cette perspective, Oehler considère que le poème Le Cygne de Baudelaire doit être lu comme « un signe que l’optimisme obligatoire du Paris haussmannien devait compter avec la résistance de la mélancolie, et que celle-ci était solidaire des vaincus de Juin. »365



2. Révolte morale


Cette révolte baudelairienne n’est pas qu’un engagement politique. C’est aussi une révolte morale. Baudelaire ne se contente pas de dénoncer un système social qui ne fonctionne pas. Il met le doigt sur l’hypocrisie de ses contemporains et stigmatise cette atmosphère cotonneuse, conformiste et tutélaire que l’on appellerait aujourd’hui la « bien-pensance » et qui peut être de droite comme de gauche.

Cette forme de révolte se traduit bien évidemment par une attaque en règle contre la bourgeoisie. Dans Salon de 1859, il écrit ainsi : « En face de moi, je vois l’âme de la Bourgeoisie, et croyez bien que si je ne craignais pas de maculer à jamais la tenture de ma cellule, je lui jetterais volontiers, et avec une vigueur qu’elle ne soupçonne pas, mon écritoire à la face. »366 Mais c’est aussi au chauvinisme qu’il s’en prend lorsqu’il exprime la lassitude immense que lui inspire le peuple français : « tous les honnêtes gens de France, excepté M. Horace Vernet, haïssent le Français. Ce ne sont pas des idées qu’il faut à ce peuple remuant, mais des faits, des récits historiques, des couplets et le Moniteur ! Voilà tout : jamais d’abstractions. Il a fait de grandes choses, mais il n’y pensait pas. On les lui a fait faire. »367

Cette révolte constitue avant tout un soulèvement contre la médiocrité et la grandissante emprise de la mesquinerie qui, au siècle de Baudelaire, est en train de devenir la morale dominante. « Nous avons tous l'esprit républicain dans les veines, comme la vérole dans les os, nous sommes Démocratisés et Syphilisés »368, écrit-il dans Pauvre Belgique ! Il s’indigne de cette petitesse d’âme qui est en train de devenir la norme, et qui ramène toute chose à l’ordre public et aux bonnes mœurs. La sentence énoncée par le poète rappelle le jugement que Nietzsche fait de l’humanité dans La Généalogie de la morale : l’homme est « l’animal malade par excellence. »369 Comme Nietzsche, il ressent le dangereux nivellement par le bas auquel procède la démocratie qui, en ce XIXe siècle, connaît son heure d’expansion. Comme Nietzsche, il en devine les effets morbides et voit la vie s'amenuiser petit à petit. Ainsi, ironisant sur l’habit noir dont, à son époque, tout le monde se trouve affublé, Baudelaire écrit non sans cynisme : « Remarquez bien que l’habit noir et la redingote ont non seulement leur beauté politique, qui est l’expression de l’égalité universelle, mais encore leur beauté poétique, qui est l’expression de l’âme publique ; — une immense défilade de croque-morts, croque-morts politiques, croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement. Une livrée uniforme de désolation témoigne de l’égalité »370.

Il semble assez logique que les premiers témoins de ces États au pouvoir « tutélaire, (…) absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux »371 aient éprouvé le besoin de s’en défendre. Et c’est pourquoi sans doute, des personnages comme Nietzsche et Baudelaire se réfugièrent dans une forme d’aristocratisme qui exprime avant tout une révolte contre cette société qui cherche à dérober « peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. »372 Mais cet aristocratisme ne constitue pas qu’une réaction à l’État démocratique absorbeur d’individualité, il constitue également une critique de l’idée de progrès moral. C’est une manière d’affirmer qu’il ne faut pas attendre de la marche de l’État ou de la foi dans le progrès qu’elle améliore la qualité des mœurs, mais qu’il revient à l’individu de s’élever par lui-même. Car pour ces penseurs, les sociétés sont toujours figées, que cela soit dit ou caché. Benjamin écrit d'ailleurs : « Il faut montrer, en insistant tout particulièrement, comment l'idée d'éternel retour pénètre à peu près au même moment dans le monde de Baudelaire, de Blanqui et de Nietzsche. Chez Baudelaire, l'accent porte sur le nouveau qu'un effort héroïque arrache à l'éternel retour du même, chez Nietzsche sur l'éternel retour du même auquel l'homme fait face avec un calme héroïque. »373 Ainsi Baudelaire se défie-t-il de cette morale plébéienne qui fait de l'attente des lendemains qui chantent la justice du présent, et qui renvoie tout héroïsme à un avenir incertain.

C'est peut-être d'ailleurs une des directions dans laquelle on pourrait s'engager pour lire le satanisme de Baudelaire : il s'agirait moins de célébrer le mal en soi que d'inviter à une réévaluation des valeurs. La démarche baudelairienne pourrait être ainsi assez proche de celle que Nietzsche met en place dans l'Antéchrist, à la différence que Nietzsche voudrait atteindre une éthique « par-delà bien et mal », alors que Baudelaire souhaiterait sans doute plutôt régénérer la morale. Baudelaire suggérerait que si Dieu représente le bien dans la morale dominante, alors il faudrait s'en remettre à Satan pour parvenir à de nouvelles valeurs. Il conviendrait de s'opposer à cette morale hypocrite pour la détruire, et il serait donc nécessaire de puiser dans son antithèse le symbole qui permettra de faire éclater ce système de valeurs décrépit. Comme l'écrit Oehler : « Le satanisme de Baudelaire est en tout premier lieu une réponse au discours contemporain de la bonne conscience, au cynisme inconscient, à ce penchant à mentir, en toute bonne foi, propre à « l'homme de bien ». »374 Proudhon écrivait : « Pour restaurer la religion, messieurs, il faut condamner l'Église. »375 Peut-être Baudelaire, rejoignant ici Proudhon sans se départir d'un certain christianisme, propose-t-il de restaurer la religion en invoquant le nom de Satan.

Ainsi, le satanisme de Baudelaire n'est très certainement pas une invitation à tracer des pentagrammes sur le sol, à torturer des lapins, à copuler avec sa petite sœur, à profaner des tombes, à boire du sang, ou à écouter des enregistrements de scies à métaux. Il pourrait être le fait d'une révolte morale qui ne perd pas la morale de vue.



3. Révolte artistique


Une telle forme de révolte contre la morale bourgeoise et le conformisme se retrouve nécessairement dans les écrits de Baudelaire. Elle est patente dans la plupart de ses poèmes. Les thèmes choisis expriment eux-mêmes un dédain manifeste envers la bonne morale de son temps. Le poète déploie tout son génie à composer des vers érotiques, comme dans « Les Bijoux » des Fleurs du mal. Il aborde le saphisme dans plusieurs poèmes et pensa d'ailleurs à donner le titre Les Lesbiennes au recueil des Fleurs du mal. Dans ce même ouvrage, il parfait également de somptueux vers consacrés à Lucifer dans les fameuses « Litanies de Satan ». Puis il traite encore de nombreux sujets que l'art rechignait à rencontrer sur son chemin : la chair putréfiée (« Une Charogne »), le désir de mourir (« Mon esprit, comme mes vertèbres, / Invoque ardemment le repos ; / Le cœur plein de songes funèbres, / Je vais me coucher sur le dos / Et me rouler dans vos rideaux, / Ô rafraichissantes ténèbres ! »376), les drogues et l'ivresse (outre Les Paradis artificiels, toute une partie des Fleurs du mal est consacrée au vin) ou encore le crime (« le Vin de l'assassin »).

Contrairement à Lady Gaga, ces compositions provocatrices n'ont pas que la publicité pour but. Elles procèdent de trois postulats : le premier est que la poésie est indépendante de la morale, le second que l'artiste a pour tâche de transformer la nature en beauté, et le troisième que le créateur doit s'affranchir des dogmes pesant sur lui.

À l'appui du premier postulat, l'on pourrait relire les mots que Baudelaire laissa dans ses Études sur Poe : « Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile. (...) La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. (…) Si le poète a poursuivi un but moral, il a diminué sa force poétique ; et il n’est pas imprudent de parier que son œuvre sera mauvaise. »377 Ainsi le poète peut-il légitimement s'aventurer à écrire sur des sujets licencieux, car l'objectif qu'il souhaite atteindre n'est pas la morale, mais la poésie.

C'est d'ailleurs ce à quoi s'astreindra Baudelaire, ce qui rejoint le second postulat selon lequel l'artiste est une sorte d'alchimiste du réel, travaillant la nature pour faire naître la beauté. Nous avons déjà exposé cette hypothèse dans l'introduction, aussi passerons-nous ici succinctement sur ce point. Nous rappellerons tout de même ces mots que Baudelaire écrivit dans un des projets de préface des Fleurs du mal : « Je sais que l'amant passionné du beau style s'expose à la haine des multitudes. Mais aucun respect humain, aucune fausse pudeur, aucune coalition, aucun suffrage universel ne me contraindront à parler le patois incomparable de ce siècle, ni à confondre l'encre avec la vertu. Des poètes illustres s'étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m'a paru plaisant, et d'autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d'extraire la beauté du Mal. »378 Il est donc permis de comprendre de cette façon l'appellation « Fleurs du mal » : la beauté dans, et en dépit du Mal. Le lien équivoque qui unit ici ces deux notions compose un manifeste artistique : la beauté ne se soucie pas de la morale et peut se trouver partout, même là où elle devrait faire horreur.

Cette hypothèse pourrait encourager une vision dionysiaque du monde. Elle pourrait porter le poète vers un éloge de la beauté « par-delà bien et mal » qui appellerait l'homme à un amor fati, à aimer ce monde pour ce qu'il est, même s'il nous fait souffrir, et ce en raison de la beauté qu'il contient et de l'innocence de la beauté. Cependant, l'aspiration de Baudelaire ne doit pas être rapprochée ici de celle de Nietzsche, car si pour le philosophe, la beauté justifie le tragique de l'existence, chez Baudelaire, elle ne fait qu'exprimer une contradiction métaphysique qui plonge l'homme dans le spleen. Le poète, loin de donner à sa vie les contours d'un rire dionysiaque, pénètre dans le ressentiment et dans la culpabilité. Qui plus est, il n'approuve pas forcément l'amoralité inhérente à toutes ces « Fleurs » du Mal. S'il prend du plaisir à celles-ci, il n'est pas dit que ce plaisir n'entraîne pas un profond besoin de contrition. Le poète pourrait être, au cours de ce voyage dans les ténèbres de la beauté, le bourreau de soi-même, qui confronte sa jouissance esthétique au juge de la morale, et qui, voyant son triste état, se flagelle de vers pour purifier son âme.

Baudelaire, par ailleurs, invoquera plusieurs fois le fait que la morale n'abandonne jamais son recueil. Dans les notes qu'il laisse à son avocat pour le procès des Fleurs du mal, il affirme que son œuvre respire « L'HORREUR DU MAL »379. Il se révolte contre la morale hypocrite du second Empire, qui condamne son livre au nom d'une vertu de pharisien : celle-ci soutient que le Bien et le Beau ne font qu'un, et que qui veut voir la beauté dans le mal est un scélérat. C'est là, pour le poète, une morale mensongère qui tient plus à l'instauration d'un ordre moral qu'à la vérité et à l'art.

Qui plus est, pour Baudelaire, « Il y a plusieurs morales. Il y a la morale positive et pratique à laquelle tout le monde doit obéir. Mais il y a la morale des arts. Celle-ci est tout autre. »380 Ainsi, ces poèmes ne devaient-ils pas s'adresser « à la foule »381, ils étaient destinés à ceux qui pouvaient s'élever à la morale de l'art, et comprendre que le recueil cherchait à « représenter L'AGITATION DE L'ESPRIT DANS LE MAL »382.

Enfin, pour clore sur ce point, l'on pourrait remarquer que les pistes restent peut-être volontairement brouillées. La situation est celle d'un poète devant se défendre au cours du procès de son œuvre, et il est probable que Baudelaire ait alors dû conjuguer plusieurs exigences : celle de son authenticité poétique, et celle de ses conditions d'existence mises à mal par la justice. Sans aller jusqu'à soutenir qu'il ait totalement rajouté a posteriori une morale artificielle à son œuvre pour se justifier devant les tribunaux, on peut supposer qu'il ait partiellement tenu un double discours. Car soutenir que Les Fleurs du mal est un recueil qui respire la moralité, ce n'est pas nécessairement soutenir que l'ouvrage approuve la morale des juges et qu'il constitue un bréviaire pour les dévots de l'Empire. Après tout, l'on pourrait très bien soutenir que Qu'est-ce que la propriété ? ou L'insurrection qui vient sont des ouvrages qui respirent la moralité, même s'il y a fort à parier que les juges d'hier comme d'aujourd'hui les trouveraient parfaitement immoraux. Peut-être Les Fleurs du mal est-il un recueil de ce type. Peut-être le poète ne mettait-il pas le mal là où les juges l'auraient mis. Peut-être Satan reste-t-il, symboliquement, le garant du bien veillant sur les fils de Caïn. La morale à l’œuvre dans Les Fleurs du mal serait alors celle de la révolte contre l'injustice sociale, et « l'agitation de l'esprit dans le mal » une condamnation de cette société qui engendre l'exclusion, la pauvreté, le crime et l'ennui en dégradant l'âme des individus qui la font vivre. Il s'agirait alors d'un témoignage par l'intérieur de la violence réelle et symbolique subie par les individus, et de la violence qui en découle.

Enfin, pour ce qu'il en est du troisième postulat selon lequel l'art devrait s'affranchir du carcan des doctrines académiques, qu'il soit permis de donner à lire cette citation tirée du poème « Les bons chiens » : « Arrière la muse académique ! Je n’ai que faire de cette vieille bégueule. J’invoque la muse familière, la citadine, la vivante, pour qu’elle m’aide à chanter les bons chiens, les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte, comme pestiférés et pouilleux, excepté le pauvre dont ils sont les associés, et le poète qui les regarde d’un œil fraternel. » Ici le poète montre un engagement et une révolte qui le conduit naturellement à s'inscrire en faux contre les tenants orthodoxes du monde artistique de son temps. Il ne s'agit pas seulement d'écrire pour les misérables, ce que Victor-Hugo avait déjà fait avant lui. Il s'agit plutôt d'aller cueillir leurs fleurs jusque dans la fange de leurs caniveaux. Traiter de ces « pouilleux » implique une certaine brutalité du style qui défigure les canevas classiques. Baudelaire laisse entendre qu'on ne décrit pas la misère avec le fard de splendeurs extraordinaires, mais avec la mélancolie crue des douleurs quotidiennes. Le véritable « pestiféré » n'est jamais assez maquillé pour passer sur un plateau de télévision et palabrer avec Jean-Luc Delarue. Il n'est pas ce bon ivrogne de blockbuster américain qui, vers la fin du film, rachètera son âme en se sacrifiant pour l'humanité. Et on ne le trouvera pas non plus parmi ces trois petites filles gaies qui s'extasiaient devant un ver de terre, et dont les « fronts radieux se touchaient »383 en formant une auréole. Il est là un vieillard dont la prunelle a été « trempée dans le fiel »384 et qui écrase « des morts sous ses savates »385 ; là « l'ouvrier courbé qui regagne son lit »386 ; là parmi ces « femmes de plaisir »387 qui, « paupière livide, bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide »388 en « traînant leurs seins maigres et froids »389 ; ou encore là parmi ces « monstres disloqués »390 qui « furent jadis des femmes »391 et qui désormais « rampent, flagellés par les bises iniques »392. La violence des images, leur rudesse et leur noirceur, constitue chez Baudelaire un moyen d'exprimer l'authenticité de ce qu'elles représentent. Il démontre que les bas-fonds ne sont vraiment beaux que lorsqu'on les montre tels qu'ils sont : laids et grossiers. C'est à cette condition que la description atteint sa pleine sincérité et son entière compassion.

Cette posture trouve sa formulation dans le « surnaturalisme » de Baudelaire. Car sa révolte s'exprime également contre les louanges adressées par les romantiques à la mère Nature. En faisant de la nature le mal, il s'attaque à l'illusion qui consiste à croire que le monde est bien fait, et que ce n'est que lorsqu'il est dénaturé qu'il est mauvais. Baudelaire adopte une posture à la fois réaliste et esthétisante : le monde est laid, et il faut le voir tel qu'il est pour se donner les moyens de le transfigurer. C'est pourquoi il ne s'illusionne pas sur la misère, mais parvient à en tirer la beauté, jusque dans la bassesse et l'ordure. Il s'agit en fait d'une position artistique qui s'insurge à la fois contre la bien-pensance romantique avec toute sa complaisance à l'égard de la Nature, et en même temps contre tout réalisme niais, qui voudrait décrire les choses telles qu'elles sont, sans prendre appui sur l'imagination, ainsi que le ferait un laborantin consignant ses observations. Le génie de Baudelaire réside en partie dans cette prouesse poétique : parvenir à garder à les pieds sur terre tout en élevant son âme. Mais c'est aussi une des raisons du spleen, car la conscience de l'idéal est ici ravagée par le regard lucide qu'il porte sur le monde.



4. Révolte métaphysique


Dans L'homme révolté, Camus définit ainsi la révolte métaphysique : « La révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création tout entière. Elle est métaphysique parce qu'elle conteste les fins de l'homme et de la création. L'esclave proteste contre la condition qui lui est faite à l'intérieur de son état ; le révolté métaphysique contre la condition qui lui est faite en tant qu'homme. L'esclave rebelle affirme qu'il y a quelque chose en lui qui n'accepte pas la manière dont son maître le traite ; le révolté métaphysique se déclare frustré par la création. »393

De nombreux éléments, dans les poèmes de Baudelaire, donnent à penser que ce dernier pourrait être rangé parmi les révoltés métaphysiques.

C'est d'abord, comme on l'a déjà vu plusieurs fois, la critique virulente de la nature, assimilée au mal. Car, affirmer que la nature est mauvaise, c'est soutenir que le monde dans lequel le corps de l'homme se meut est mauvais, et c'est quasiment condamner le monde en son entier. Il y a dans cette démarche quelque chose qu'on pourrait rapprocher du gnosticisme, ce mouvement religieux d'après lequel le monde matériel dans lequel nous vivons est le fruit d'un démiurge machiavélique. Comme ces sectateurs, Baudelaire conçoit la création comme une déchéance, et son satanisme peut nous amener à penser qu'il voit le Dieu créateur comme une divinité malfaisante, jouissant du malheur de ceux qu'il a mis au monde. Le bien, dès lors, serait du côté des anges déchus, ceux-là mêmes qui, pour les gnostiques, se seraient réincarnés dans l'humanité.

L'on constatera par ailleurs que c'est à plusieurs reprises que, dans ses textes, le poète prend parti pour ceux que le christianisme traditionnel considère comme l'incarnation du mal. Et il se trouve notamment que c'est dans la partie intitulée « Révolte » des Fleurs du mal que le poète chante les litanies de Satan, invite la « Race de Caïn » à monter au ciel pour jeter Dieu sur la terre, et rend hommage à Saint Pierre, l'homme qui a su renier et défier ce « tyran gorgé de viandes et de vins, »394 qui « s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. »395 En dehors de sa volonté de régénérer la morale, en dehors de sa symbolique politique, le satanisme de Baudelaire pourrait ainsi également exprimer la révolte métaphysique. Il pourrait constituer un moyen de régénérer la morale, mais cette morale peut également se poser comme une morale du désespoir, une morale qui sait que la vérité et la justice sont toujours dans le camp des vaincus.

Cette révolte contre le monde s'exprime enfin par un symptôme morbide : le spleen. Le révolté métaphysique est effectivement condamné à un désespoir absolu dont ce spleen est l'expression poétique. Car l'individu en proie à cette révolte est nécessairement conscient du déchirement qu'il subit en son être : il est tiraillé entre l'aspiration à l'idéal et son regard lucide sur la condition terrestre. Or, il faudrait être fou pour avoir l'idéal sans le spleen. « Spleen et Idéal » : si une partie des Fleurs du mal est ainsi intitulée, c'est parce que pour le poète, les deux vont de pair, et qu'il s'agit là de la condition humaine. Le spleen est la maladie qui découle de ce schisme. Le spleen est le fruit d'un platonisme qui se sait impossible, d'un platonisme qui veut sincèrement les Idées, mais qui n'y croit plus vraiment. C'est la croix que porte la « belle âme » lorsqu'elle réalise qu'elle désire ce qui ne peut advenir. C'est la rançon que le pessimiste doit payer au monde s'il veut rester moral. C'est la souffrance de Sisyphe poussant inlassablement le rocher de l'idéal sur la pente du monde : une volonté absurde, vouée à l'échec, dont l'homme ne peut se départir sans perdre son humanité. « Le spleen est le sentiment qui correspond à la catastrophe en permanence »396 écrit Benjamin. Car le monde est injuste. Et en effet, pour celui qui se sait vivre dans un monde injuste, la catastrophe est omniprésente : il vit dans l'éternel retour de la catastrophe. L'homme doit donc choisir entre le monde et la justice, entre Sartre et Camus, entre Staline et les pendus de Chicago, entre le Che et Castro, entre Caïn et Abel, entre la vie et la morale, entre le temps qui détruit tout et l'idéal qui embaume. Celui qui croit pouvoir concilier l'idéal et le monde s'égare et il deviendra au mieux un martyre, au pire un pharisien. Pour Baudelaire, l'homme n'a que deux options : le désespoir ou le cynisme, mais dans les deux cas, il souffre et se dévitalise : « Nous sommes tous pendus ou pendables »397, écrit-il.



5. Révolte existentielle


La révolte de Baudelaire, enfin, est une révolte qui s'est manifestée dans sa façon d'être au monde. L'existence qu'il a choisie, les expériences qu'il a faites, témoignent d'une marginalité revendiquée et d'une volonté de transgression affirmée. Dans Mon cœur mis à nu, un de ses textes les plus réactionnaire, il écrit encore qu'il faut « glorifier le vagabondage et ce qu'on peut appeler le bohémianisme. »398 Il est devenu l'icône romantique du « poète maudit » et de la « bohème », menant une vie dissolue et sacrifiant la richesse à son désir de faire l'expérience du monde de la manière la plus intense. Il défend ainsi outrageusement la vie de dilettante et le loisir, qui, doit-il le reconnaître, exigent soit d'être riche, soit de devenir pauvre, mais constituent des conditions indispensables pour exercer sa sensibilité : « C'est par le loisir que j'ai, en partie, grandi. A mon grand détriment ; car le loisir, sans fortune, augmente les dettes, les avanies résultant des dettes. Mais, à mon grand profit, relativement à la sensibilité, à la méditation et à la faculté du dandysme et du dilettantisme. Les autres hommes de lettres sont, pour la plupart, de vils piocheurs très ignorants. »399

Le dandysme constitue un révolte existentielle dont Baudelaire constitue un des plus éminent représentant français. Nous n'en dirons pas plus ici sur ce thème, car nous le développerons plus pleinement dans quelques pages.

Baudelaire incarne également l'amant tumultueux qui voue un culte presque mystique aux femmes : « La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle »400 écrit-il dans Le peintre de la vie moderne. Certes, il les aime en phallocrate, c'est-à-dire très mal ; il les aime en consommateur délictueux qui attrape la syphilis dans les maisons closes ; mais il les aime assurément énormément et sincèrement, cela est incontestable, quand bien même il aurait « l'amour vache ».

Les trois muses les plus célèbres sont Jeanne Duval, Apollonie Sabatier et Marie Daubrun. La première est une mulâtresse avec laquelle il entretiendra une relation tempétueuse pendant la majeure partie de sa vie. Dans les Fleurs du mal, elle incarne surtout l'amour charnel et passionné. Baudelaire la décrit ainsi : « Bizarre déité, brune comme les nuits, / Au parfum mélangé de musc et de havane, / Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane, / Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits »401. Il nourrira pour Apollonie Sabatier un amour secret et platonique qui s'éteindra dès qu'il lui aura été donné de partager une nuit avec elle. Elle représente pour le poète l'amour spirituel et idéalisé, et propose ainsi une symbolique symétriquement opposée à celle de Jeanne Duval. Marie Daubrun, pour sa part, constituerait une sorte de point d'équilibre entre ces deux amours. Elle exprime la possibilité d'une idylle à laquelle s'allierait la quiétude. Le poète lui exprime de la tendresse et une bienveillance fraternelle. Dans « L'invitation au voyage » il lui propose de se rendre là où « tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. »402

Cette célébration de la femme, qu'elle soit faite avec rouerie ou en amoureux transi, connaît une réalité que d'aucuns pourraient juger funeste, mais qui exprime également une révolte : toutes ces femmes, il ne désire pas les épouser, car les aimer lui suffit. En cela, il se révolte contre la morale bourgeoise qui ne sanctifie l'amour que dans le mariage. Or, pour Baudelaire, ce sacrement qui unit les deux genres condamne l'amour et abêtit l'humanité, transformant les amants en monstres. Il décrit d'ailleurs avec ironie la lutte de ces bêtes dénaturées dans « La femme sauvage et la petite-maîtresse » : « Ce monstre est un de ces animaux qu'on appelle généralement «  mon ange ! » c'est-à-dire une femme. L'autre monstre, celui qui crie à tue-tête, un bâton à la main, est un mari. Il a enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire, avec permission des magistrats, cela va sans dire. (…) Telles sont les mœurs conjugales de ces deux descendants d’Ève et d’Adam, ces œuvres de vos mains, ô mon Dieu ! »403

On notera également que le poète a fait parti du « club des Hachischins », qui étudiait, en les expérimentant, les effets des drogues. On sait par ailleurs que Baudelaire, tirant profit des quelques séances auxquelles il participa dans ce club, a longuement décrit les effets de l'opium et du haschich dans Les Paradis artificiels. L'implication du poète dans ces expériences limites a particulièrement contribué à le rattacher au mythe du « poète maudit. »



B. Le poète de la modernité


Baudelaire est souvent considéré – au côté de Flaubert – comme l'inventeur de la modernité en littérature. Il est assurément celui qui l'a poétisée le premier, et peut-être le mieux. Il en exprime avec génie différentes facettes que nous allons ici passer en revue.




1. L'industrialisation


Il était sans doute impossible, au XIXe siècle, de ne pas être bouleversé par les mutations provoquées par la révolution industrielle. Baudelaire, comme tous ses contemporains, la percevra et donnera son opinion sur cette dernière. Il la recevra avec défiance et la rangera parmi les ennemis de la poésie. Constatant les concessions faites par Gautier à la « dame Industrie », Baudelaire écrit : « C’est sans doute ce même désespoir de persuader ou de corriger qui que ce soit, qui fait qu’en ces dernières années nous avons vu quelquefois Gautier faiblir, en apparence, et accorder par-ci par-là quelques paroles laudatives à monseigneur Progrès et à très-puissante dame Industrie. En de pareilles occasions il ne faut pas trop vite le prendre au mot, et c’est bien le cas d’affirmer que le mépris rend quelquefois l’âme trop bonne. Car alors il garde pour lui sa pensée vraie, témoignant simplement par une légère concession (appréciable de ceux qui savent y voir clair dans le crépuscule) qu’il veut vivre en paix avec tout le monde, même avec l’Industrie et le Progrès, ces despotiques ennemis de toute poésie. »404


2. La foule


Historiquement, l'on sait que la révolution industrielle a considérablement modifié le visage de la société. Le passage d'un monde agricole à un monde industrialisé a déclenché une forte urbanisation. Paris devient, au siècle de Baudelaire, une ville grouillante de monde et l'idée d'une foule permanente fait son apparition. En ce XIXe siècle, celle-ci constitue quelque chose de nouveau, de fascinant et d'inquiétant. Elle constitue également une des marques de la modernité : une abondance d'humains anonymes partageant des choses en commun sans forcément le savoir. Baudelaire a ressenti et exprimé mieux que quiconque les vertiges qu'une telle multitude pouvait entraîner. La foule est l'endroit où tout marginal peut redevenir anonyme, et ainsi interrompre un temps la souffrance de se savoir différent. Baudelaire y a décelé à la fois une forme de sublime, et à la fois une certaine déshumanisation. Le terme qu'il emploie d'ailleurs à l'occasion pour décrire cette cohue est celui d' « ivresse » : « La foule n'est pas seulement le plus récent asile du réprouvé ; c'est aussi la plus récente drogue de ceux qui sont délaissés »405, écrit Benjamin. La foule n'est donc ni un don du ciel, ni une malédiction, elle est un torrent terrible qui nous emporte et par lequel on se laisse griser. Elle s'apparente à un vice savoureux.

En effet, Baudelaire devine quelque chose de monstrueux à travers la foule. Dans Mon cœur mis à nu, on lit qu'il projetait de composer « un chapitre sur l'indestructible, éternelle, universelle et ingénieuse férocité humaine »406, et après avoir écrit cela, il semble énoncer les thèmes qui pourraient se côtoyer dans ce chapitre : « De l'amour du sang. De l'ivresse du sang. De l'ivresse des foules. De l'ivresse du supplicié (Damiens). »407 On comprend bien qu'ici, la foule n'est en rien angélique. Elle se situe entre « l'ivresse du sang » et celle du « supplicié ». Elle se rattache donc au domaine du masochisme et de la barbarie. Elle est « cette ineffable orgie, (…) cette sainte prostitution de l'âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se montre, à l'inconnu qui passe. »408 Comme tout vertige, elle n'a de sens qu'avec la chute, qu'avec l'envie de goûter à la déchéance. Comme toute ivresse, elle est une perte de la conscience et relève d'un élan dionysiaque : avec elle, l'homme se perd lui-même et sa conscience s'évapore. Et il faut d'ailleurs remarquer que Baudelaire écrivait : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là. »409 Or, la foule permet de goûter à ce « tout » en offrant à l'individu de se perdre en elle, puis de s'y retrouver plus pleinement, par réaction.

Il ne s'agit donc pas de s'y complaire, à la manière d'un Hugo trouvant en celle-ci la beauté démocratique d'une citoyenneté populaire : « Au moment où Hugo célèbre la masse, qui est pour lui l'héroïne d'une épopée moderne, Baudelaire cherchait pour le héros un refuge dans la masse de la grande ville. Comme citoyen, Hugo se mêle à la foule ; Baudelaire, en héros, s'en détache »410 écrit Benjamin. Pour Baudelaire, cette foule n'a de sens que si elle ne nous égare pas totalement, que si elle nous laisse nous retrouver nous-même après nous avoir emporté. Elle implique une perte de soi et en même temps une mise à distance avec elle. Il observe la foule, mais ne se fond jamais totalement en elle. Le poète cherche à saisir les étranges et inquiétantes figures qui se faufilent à travers cette multitude et pratique alors un curieux art de la monstruosité : « Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville, quand on sait se promener et regarder ? La vie fourmille de monstres innocents »411 affirme Baudelaire. Ainsi, partir en quête de ces « monstres innocents » constitue-t-il, pour le poète, un exercice de style que nous offre la modernité. La foule, comme les drogues, ressemble ainsi à une expérience-limite que la modernité nous propose tous les jours.

Cette expérience-limite n'est cependant pas à la portée de tous : « Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art ; et celui-là seul peut faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une fée a insufflé dans son berceau le goût du travestissement et du masque, la haine du domicile et la passion du voyage. Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu’il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun. Pour lui seul, tout est vacant ; et si de certaines places paraissent lui être fermées, c’est qu’à ses yeux elles ne valent pas la peine d’être visitées. »412 La foule est ainsi le lieu où l'imagination peut se donner libre cours et parachever l'âme du poète. Le poète s'y travestit, s'y transfigure, dans le plus parfait anonymat. Mais il faut bien sûr pour cela disposer d'une imagination fertile. Pour ceux qui n'en sont pas capables, la foule ne sera qu'aliénation. Elle engendrera la perte de soi-même, soit qu'on se trouve emporté par l'abondance du banal, soit qu'on se trouve oublié dans l'anonymat général. La fréquentation de la foule nous engage donc à prendre deux risques : celui de se perdre en autrui, ou celui qu'autrui nous perde. Ainsi que l'écrit Benjamin à propos de ce Baudelaire flânant au sein de la foule : « la fascination extrêmement profonde qu'elle exerçait sur lui tenait à ce qu'elle ne l'aveuglait pas sur la terrible réalité sociale, malgré l'ivresse dans laquelle elle le plongeait. »413

Mais un tel risque est à prendre, soutiendra Baudelaire, car c'est ainsi qu'on dépasse la sottise. Ainsi, il rapporte les paroles de Constantin Guys dont il fait l'éloge : « Tout homme (...) qui s’ennuie au sein de la multitude, est un sot ! un sot ! et je le méprise ! »414





3. Le temps fuyant



Les temps modernes de Chaplin, s'ouvre sur des images magnifiquement choisies : pendant le générique, c'est un plan fixe sur une immense horloge ; puis, on voit un troupeau de moutons qui courent ; et puis, ce sont les ouvriers, qui courent pointer – tels des moutons menés par la cadence industrielle, cette obscène maladie du temps.

Cette succession d'images exprime une des angoisses que Baudelaire a pu ressentir face à la modernité. Avec l'industrialisation, tout s'accélère, mais surtout : l'homme devient esclave du temps, et la cadence transforme peu à peu tout instant en signal d'alarme. Avec la modernité, l'homme n'a plus le temps. Le temps lui échappe et devient son tortionnaire. « L’époque ne manque pas de richesse, c’est plutôt la longueur du souffle qui lui fait défaut. Il nous faut le temps, il nous faut la durée – des menées au long cours. Un des effets principaux de ce qu’on appelle répression, comme du travail salarié d’ailleurs, c’est de nous ôter le temps. Pas seulement en nous ôtant matériellement du temps – le temps passé en prison, le temps passé à chercher à faire sortir ceux qui y sont –, mais aussi et d’abord en imposant sa propre cadence. L’existence de ceux qui font face à la répression, pour eux-mêmes comme pour leur entourage, est perpétuellement obnubilée par des événements immédiats. Tout la ramène au temps court, et à l’actualité. Toute durée se morcelle »415, écrivaient les dix inculpés de l'affaire Tarnac, le 3 décembre 2009, dans un texte diffusé sur Internet.

Cette réalité, extrêmement sensible aujourd'hui, l'était déjà pour Baudelaire. C'est au XIXe siècle que le despotisme est passé des mains des rois à celle des horlogers. Le monde industriel et le système libéral ont eu pour effet de faire basculer les sociétés d'un mode de vie basé sur un temps long, à un fonctionnement fondé sur l'immédiateté. La tradition monarchique n'avait d'autre but que se perpétuer et la sagesse grecque ne visait que l'éternité ou l'ataraxie : dans les systèmes basés sur le temps long, on n'était pas pressé, on « avait » le temps. C'était le temps qui était à notre disposition pour nous permettre de bien vivre. À l'opposé, la société moderne ne vise que le rendement. Avec la modernité, on n' « a » plus le temps de rien. On ne naît plus quelque chose que l'on restera toute sa vie : l'État, la société, la morale publique, le monde professionnel, nous fixent des objectifs qu'il faut atteindre en temps et en heure. Tout individu doit être rentable. Au jour d'aujourd'hui, médecins et plumitifs patentés vont même jusqu'à nous instruire de la cadence à laquelle il convient d'avoir des relations sexuelles.

Baudelaire, qu'on eût pu croire débarrassé de ce genre de contraintes, n'en a pourtant pas été dispensé. S'il n'a sans doute pas connu l'esclavage auquel ont pu être soumis les ouvriers, il a cependant dû se confronter aux exigences entrepreneuriales de la modernité : « Quelque belle que soit une maison, elle est avant tout – avant que sa beauté soit démontrée –, tant de mètres de haut sur tant de large. De même la littérature, qui est la matière la plus inappréciable, – est avant tout un remplissage de colonnes ; et l'architecte littéraire dont le nom seul n'est pas une chance de bénéfice, doit vendre à tout prix. »416 Puis, quelques pages plus loin, il ajoute : « Aujourd'hui, il faut produire beaucoup ; – il faut donc aller vite. (…) Pour écrire vite, il faut avoir beaucoup pensé, – avoir trimballé un sujet avec soi, à la promenade, au bain, au restaurant, et presque chez sa maîtresse. »417 Ainsi le littérateur, également, n'a plus une minute à lui. Il doit toujours penser à sa marchandise. Avec un fond d'ironie, Baudelaire avoue qu'il ne connaît pas la liberté, que l'industrie des lettres l'a happé, puisque « L'Art est long et le Temps est court. »418

La modernité est donc source d'une nouvelle anxiété : celle de parvenir à être à l'heure, celle de ne pas perdre une seconde, celle de ne pas passer à côté d'une occasion – puisque le temps ne nous laissera pas de seconde chance. Aussi l'horloge, ce « dieu sinistre »419 murmure-t-elle à l'oreille du poète : « Souviens-toi que le Temps est un joueur avide / Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi. / Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi ! /Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. / Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard, / Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge, / Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !), / Où tout te dira Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »420

Le seul exutoire qui subsiste aux victimes du temps, aux enfants de la modernité, c'est l'ivresse : « Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »421





4. La société de consommation



La marchandise est un des mirages qui voit le jour avec la modernité. Le système libéral et industriel se nourrit de la consommation : si les hommes arrêtent de consommer, le système s'écroule. Par conséquent, le système tend à transformer toute chose en marchandise, si bien qu'il ne subsiste plus rien qui ne puisse être considéré d'un point de vue marchand. Car la loi du marché fonctionne suivant celle de l'offre et de la demande. Or, pour créer de nouvelles demandes, il n'est pas forcément nécessaire de créer de nouveaux besoins : il peut suffire de faire passer ce qui était don et gratuité dans le domaine de l'offre. Le libéralisme atteindra son plein essor lorsqu'il aura réussi à nous faire conjointement payer l'air que nous respirons, et éprouver le besoin de respirer plus d'air que jamais.

Avec la révolution industrielle, le siècle de Baudelaire s'engage résolument dans cette direction. L'auteur du Spleen de Paris a été considérablement effrayé par cette marchandisation du monde. Cinglant d'un même coup l'hypocrisie bourgeoise et la tyrannie du négoce, Baudelaire écrit : « Le commerce et la vertu ont tout envahi même l'amour »422. Et même le poète – symbole d'une vie qui peut ne se nourrir que d'amour et d'eau fraîche –, devient un épicier, puisque l'amour et l'eau fraîche deviennent coûteuses. Aussi le poète devra-t-il monnayer son art de vivre : « Pour avoir des souliers, elle a vendu son âme ; / Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme, / Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur, / Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur. »423

Baudelaire voit un lien particulier entre cette société de masse et la prostitution. On pourrait dire que pour le poète, se prostituer, c'est faire payer pour des services que l'on devrait normalement accorder gracieusement. La vénalité salissant la grâce, ce qui est ainsi acheté perd de sa noblesse et en fait perdre à celui qui le vend. Le poète, qui doit se vendre pour partager sa pensée, devient ainsi l'égal de la prostituée. Mais c'est la prostitution elle-même qui, – au siècle de Baudelaire –, devient un article de masse, abaissant ainsi la femme au rang de bien de consommation courante. Baudelaire a ressenti cette réalité, si bien que dans ses textes, comme l'écrit Benjamin : « Sous la forme que la prostitution a prise dans les grandes villes, la femme n'apparaît pas seulement comme une marchandise, mais, au sens exact, comme un article de masse. »424





5. Une nouvelle poétique



« Créer un poncif, c'est le génie. Je dois créer un poncif »425, écrit Baudelaire dans Fusées : il exprime clairement son intention de faire partie des génies, mais pour cela, il lui faut trouver quelque chose de nouveau, quelque chose qu'il soit le seul à avoir perçu. Cela, il va le trouver dans cette idée de modernité. Passant celle-ci au tamis, Baudelaire va créer une nouvelle poétique. Il va être le premier à percevoir la modernité d'un point de vue poétique, et le premier à en recueillir l'essence.

Qu'est-ce donc, pour lui, que la modernité ? Il écrit dans Le peintre de la vie moderne que « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. »426 La modernité constitue donc une période propice à la poésie : la moitié de l'art semble y être donnée. L'autre moitié, c'est à l'artiste de la mettre en avant : « pour que toute modernité soit digne de devenir antiquité, il faut que la beauté mystérieuse que la vie humaine y met involontairement en ait été extraite. »427 Aussi, d'un point de vue artistique, l'on peut concevoir cette modernité comme un vaste bouillonnement de suggestions poétiques, d'images fugitives qui se croisent et s'entrecroisent, qui se trouvent là sans réelle raison d'y être, par une sorte de monstruosité, et qui peuvent aussi bien passer et s'évaporer que dessiner la beauté éternelle.

C'est en fait avec la modernité que la moelle substantielle du beau se révèle : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. C’est son immatriculation, sa caractéristique. Renversez la proposition, et tâchez de concevoir un beau banal ! Or, comment cette bizarrerie, nécessaire, incompressible, variée à l’infini, dépendante des milieux, des climats, des mœurs, de la race, de la religion et du tempérament de l’artiste, pourra-t-elle jamais être gouvernée, amendée, redressée, par les règles utopiques conçues dans un petit temple scientifique quelconque de la planète, sans danger de mort pour l’art lui-même ?  »428 Le beau est ainsi lié à des impondérables. Il y a chez Baudelaire une sorte de théorie du chaos du beau, qui révèle toute sa pertinence sous le soleil blême de la modernité.

Cet art de la modernité doit donc concilier savamment le réalisme et l'imagination. Il puise en effet tout son savoir dans le monde apparent, dans l'expression immanente de l'existence, dans ce déploiement d'êtres et de formes qu'est la vie. Et pour que cette beauté resplendisse, il faut qu'elle soit habilement captée, il faut qu'un œil artiste sache la voir et qu'avec tout le génie de son art, il sache la mettre en valeur. Mais là ne serait pas encore tout. Car recueillir cette réalité, ce ne serait moissonner que la moitié de l'art. Or, pour l'embrasser entièrement, il faut y ajouter l'imagination. La subjectivité de l'artiste doit ainsi savoir s'imposer sans honte. Si les classiques cherchaient à retrouver l'objectivité des essences dans l'art, l'artiste de la modernité, de son côté, doit mettre son essence subjective dans ses œuvres. Il doit voir les choses selon lui-même, et les exprimer pour tout le monde : « Un artiste, un homme vraiment digne de ce grand nom, doit posséder quelque chose d’essentiellement sui generis, par la grâce de quoi il est lui et non un autre. »429 La modernité, au niveau artistique, c'est ainsi parvenir à percevoir le réel comme une perpétuelle fuite d'allégories.

D'où la dénomination que Baudelaire donne à son art : le surnaturalisme. Dans cet art, il est question de prendre ce que donne la nature, avec ses aléas et ses beautés de passage, et de la transcender, d'en faire de l'or. L'art n'a plus alors pour unique devoir de tourner ses yeux vers les cieux éternels et vers ce que le monde a de plus parfait, il peut désormais descendre dans la rue et guincher avec les gueuses. Le poète peut alors être le frère du chiffonnier : « Chiffonnier ou poète – le rebut leur importe à tous les deux ; tous les deux se livrent à leur occupation solitaire à l'heure où les bourgeois s'abandonnent au sommeil ; l'attitude, la démarche même sont identiques chez eux. Nadar parle du « pas saccadé » de Baudelaire ; c'est le pas du poète qui erre dans la ville en quête de butins rimés ; c'est aussi nécessairement le pas du chiffonnier qui s'arrête à chaque instant sur son chemin pour recueillir le débris sur lequel il vient de tomber. »430

Enfin, à titre d'exemple sur lequel s'arrêta Baudelaire, s'il est un art représentatif de la modernité, et qui se développa avec elle, ce pourrait être celui de la caricature. Dans cet art, la science véritable consiste à saisir ce que nous donne la nature et à en accentuer les traits, à en faire ressortir en toute subjectivité ce qui est parlant, afin de montrer un réel transfiguré. Baudelaire fit ainsi un brillant éloge de Daumier : « Je veux parler maintenant de l’un des hommes les plus importants, je ne dirai pas seulement de la caricature, mais encore de l’art moderne, d’un homme qui, tous les matins, divertit la population parisienne, qui, chaque jour, satisfait aux besoins de la gaieté publique et lui donne sa pâture. Le bourgeois, l’homme d’affaires, le gamin, la femme, rient et passent souvent, les ingrats ! sans regarder le nom. Jusqu’à présent les artistes seuls ont compris tout ce qu’il y a de sérieux là-dedans, et que c’est vraiment matière à une étude. On devine qu’il s’agit de Daumier. »431





6. Baudelaire et la modernité : une relation d'amour et de haine



On pourrait estimer que Baudelaire développe autant d'attirance pour la modernité qu'il nourrit d'aversion envers elle. D'un côté, elle lui apparaît comme « la moitié de l'art », et de l'autre, il s'insurge contre la médiocrité qu'elle déploie. D'un côté, il y trouve un perpétuel miroitement de beautés, et d'un autre, il la considère comme une période de décadence. Le rapport de ce poète à son époque est manifestement très ambivalent. Certains aspects, comme la possibilité d'un art du quotidien, l'ont sans doute rempli d'enthousiasme. D'autres, comme l'hypocrisie généralisée, l'ont très certainement poussé à devenir le réactionnaire atrabilaire faisant écho aux discours de Maistre.

En réalité, il est possible que les inspirations traditionalistes et passéistes dont il se galvanise ressortissent plus du domaine de la réaction contre un trop-plein de modernité que d'une sincère volonté de rétablir l'inquisition. Si Baudelaire avait vécu sous la monarchie, il n'est pas certain que les discours de Maistre l'auraient séduit. Par contre, on peut penser que, plongé en pleine modernité, un roturier comme lui puisse trouver une certaine élégance révoltée dans les écrits du philosophe de la Maison de Savoie. Car insulter la populace, alors que celle-ci devient toujours plus forte et plus bête, c'est assurément une volupté de fin gourmet. Qui plus est, Baudelaire s'est peut-être tellement enivré de modernité qu'il a fini par la vomir, comme d'autres en auraient fait de la vodka. Lui qui a découvert toutes les beautés de cette époque, il s'est également peut-être mis à la détester en constatant à quel point celle-ci se montrait incapable de percevoir ses propres beautés.

Finalement, Baudelaire est peut-être le premier grand critique de la modernité, parce qu'il opère une critique de l'intérieur de celle-ci. Il fait corps avec la modernité, semble la connaître comme si elle était sa sœur, mais elle l'irrite au plus haut point, et il ne daigne pas perdre une occasion de l'attaquer. Il semblerait que la modernité soit pour lui forgée par la vilenie, mais remplie de beautés qui explosent tous azimuts. Elle le fascine, comme pourrait fasciner une femme fatale qui n'aurait d'autre but que de jouer avec les souffrances des hommes. Baudelaire est comme un amant déçu de la modernité. Au surplus, cette modernité l'enivre, mais il n'a pas assez perdu la raison pour ignorer qu'il en subira un réveil douloureux. Il est devenu dépendant à la modernité, et déteste donc celle-ci, sans jamais pouvoir s'en passer.





C. Le dandysme : une réponse aux paradoxes de sa pensée



La personnalité de Baudelaire, comme nous avons pu le constater, est en quelque sorte divisée en deux. Ce poète trouve dans la modernité le terreau de son art et embrase avec le feu de la révolte toute sa vie et son œuvre. Mais il lance également des invectives féroces contre les mœurs de son temps, s'agenouille devant Dieu, et chante les louanges du plus réactionnaire des philosophes. Comment a-t-il pu faire coïncider tant d'oppositions dans une même existence ? Comment a-t-il pu subsister en révolte, malgré son désespoir ?

Notre hypothèse est qu'il est parvenu à tenir sous tension ces différents extrêmes à l'aide d'une certaine conception du « dandy » qui ne jurerait pas avec la fameuse phrase de Desproges : « A part la droite, il n’y a rien au monde que je méprise autant que la gauche. »432





1. Une révolte contre l'ordre bourgeois



Bien que le dandy puisse « être un homme blasé »433, il n'en est pas pour autant insensible, et l'on aurait tort de faire croire qu'il serait de ceux qui se réjouissent du malheur des hommes. Au contraire, il pourrait être tentant de voir justement le dandy comme quelqu'un qui, – souffrant d'une trop grande empathie à l'égard de ceux qui sont dans la misère –, se protège derrière le masque du cynisme. Le dandysme pourrait ainsi être une sorte de « politesse du désespoir », une existence faite d'humour juif et d'ironie. On pourrait le concevoir comme l'attitude de celui qui se refuse, par pudeur et par respect, à s'épancher sur les souffrances humaines, et qui préfère sourire « comme le Lacédémonien sous la morsure du renard »434 plutôt que de se complaire dans la compassion, plutôt que d'exposer la souffrance humaine. Car comme nous avons pu le constater, Baudelaire, s'il est dandy, n'en est pas pour autant indifférent au sort de ses pairs. Et d'ailleurs, le symbole de Satan, qui dans « Le joueur généreux » apparaît en quelque sorte comme un suprême dandy, constitue également chez lui l’emblème de la lutte contre l'oppression.

En vérité, le dandysme pourrait justement être l'attitude de repli d'un Spartacus vaincu. Devant le désespoir de ces luttes absurdes gorgées de tant de sang, il préfère se retirer dans l'ironie, se mettre à distance d'avec le monde, pour ne pas redoubler la souffrance des miséreux par le sacrifice des innocents. Le dandysme serait alors comme une résignation courtoise face à la cruauté de l'éternel retour du même qui brise toutes les révolutions. Baudelaire note d'ailleurs que le dandysme se rapproche du « stoïcisme »435 . Et si le poète manifeste souvent un profond mépris envers la populace, cela ne signifie pas qu'il n'éprouve pas pour elle une pitié sincère. Mépris et pitié ne sont pas nécessairement incompatibles. Il est même possible que, tour à tour, l'un soit le point culminant de l'autre. Il est d'ailleurs plausible que, – faisant sans le savoir de la sociologie avant l'heure –, il plaigne ces masses laborieuses qu'un héritage symbolique contraint à rester dans la fange, autant qu'il se trouve dégoûté par la servitude volontaire dans laquelle elles se vautrent, constatant par là l'esclavage éternel auquel elles se condamnent en s'empêchant de passer du « lumpenproletariat » à la conscience de classe. Ainsi, quand Baudelaire écrit sur l'« Immense goût de tout le peuple français pour la pionnerie et pour la dictature »436, on y voit souvent le mépris d'un écrivain réactionnaire. Mais peut-être faut-il également y voir le cri de désespoir du révolté qui constate, en dépit de tous les efforts des socialistes, l'éternel retour de la tyrannie promue par le peuple lui-même. Ce qui motiverait ici Baudelaire, ce ne serait donc pas la satisfaction de voir le peuple écrasé, ce serait l'amertume de la rébellion se heurtant au désenchantement du monde. Il faut par ailleurs constater que la figure du dandy, chez Baudelaire, ne prend jamais celle de la dictature. Dans Le catholique dandy, la pièce qu'il projetait d'écrire, il semble se référer à un « parfait catholique aimable, arrangeant les affaires de tout le monde »437, ce qui pourrait nous pousser à imaginer que le dandy baudelairien, pour désespéré qu'il soit, n'en reste pas moins charitable. Il ne tombe pas totalement dans l'excès par lequel il en appellerait froidement à la mise à mort du peuple. Il se détourne de la révolution et laisse la rancœur lui ronger silencieusement l'âme.



Cette mise à distance du politique n'empêche pas le dandy de s'attaquer à la classe bourgeoise. Il renonce certes à l'action collective censée faire advenir l'âge d'or, mais ce n'est que pour mieux réaliser l'insurrection individuelle par laquelle il va « épater le bourgeois », le décontenancer, bousculer ses valeurs, suggérer l'alternative et par provocation, le mettre devant ses contradictions. Ainsi, Baudelaire rapproche Valmont du dandy, puisque ce personnage incarne « la recherche du pouvoir par le Dandysme. »438 Et il est évident que la morale bourgeoise ne cautionnerait en aucune façon les frasques du libertinage, dont Valmont est la personnification.

Puis c'est encore au culte de l'argent, si cher à la bourgeoisie, que le dandysme s'attaque. Certes, Baudelaire ne s'attaque pas au goût du luxe, – qu'il va même jusqu'à encourager –, mais il s'attaque à ce besoin de l'accumulation qui fait la spécificité de la bourgeoisie. La noblesse était dépensière, mais finalement, ce n'est pas tant son train de vie dispendieux qui nous irrite que le fait qu'il n'y en avait pas pour tout le monde et qu'elle ne voulait guère partager. La bourgeoisie, par contre, intronise la société d'Harpagon, ce qui est bien pire. Le dandy, derrière son cynisme tout d'élégance, n'est pas assez obscène pour prétendre que « l'argent ne fait pas le bonheur », et pour contenir l'humanité dans la misère en faisant de pauvreté vertu : « Si j’ai parlé d’argent, c’est parce que l’argent est indispensable aux gens qui se font un culte de leurs passions ; mais le dandy n’aspire pas à l’argent comme à une chose essentielle ; un crédit indéfini pourrait lui suffire ; il abandonne cette grossière passion aux mortels vulgaires. »439 Ce n'est donc pas tant aux riches que Baudelaire s'en prend, c'est aux avares et à tous ceux qui conçoivent le profit comme une fin en soi. Cette morale absurde de la grandeur des chiffres, cette joie niaise de confondre le bonheur avec le nombre de zéros qu'on peut amasser sur son compte en banque, ce désir de richesse qui ne sait se dépenser, cette capacité à cueillir la vie qui renonce à elle-même : telle est la morale perverse que le poète juge odieuse.

Le dandy s'en prend également à la « valeur-travail », ce travaillisme absurde qui naît avec la bourgeoisie, et qui réduit la skholè à néant en faisant de la « profession », de l' « emploi » le but ultime de la vie. Avec la bourgeoisie, on ne travaille plus à cultiver son âme, on travaille pour gagner de l'argent et pour se faire une place dans la société. Avant la modernité, quasiment tous les grands penseurs s'accordaient sur le fait que les activités qui n'avaient pour but que la subsistance étaient avilissantes, et que seules celles qui visaient le développement de la personne étaient nobles. Aristote considérait celles-ci comme serviles, et le catholicisme lui-même fit du travail une marque de la déchéance de l'homme, une damnation. Avec la modernité, ce n'est pas tant la liberté qui se démocratise, que l'esclavage. Car de moins en moins de personnes peuvent se revendiquer oisifs, même si le paupérisme se développe. Il fut un temps où le monde était divisé entre les oisifs et les esclaves. A partir du XIXe siècle, il sera divisé entre les travailleurs riches et les travailleurs pauvres. Et l'on en voit la caricature aujourd'hui : désormais, même ceux qui nous gouvernent ne peuvent admettre qu'ils prennent le temps de cultiver leur âme. Le peuple attend d'eux qu'ils soient des « bosseurs ». Ainsi, qu'on puisse être élu président avec un slogan tel que « Travailler plus pour gagner plus ! » montre à quel point la servitude est entrée dans le cœur de chacun. Imagine-t-on un roi retrousser ses manches et encourager ses sujets à « travailler plus pour gagner plus » ? Imagine-t-on Socrate interrompant un dialogue pour aller pointer ? Platon en aurait été bien embêté :

« Glaucon, s'adressa alors à Socrate en ces termes : 

Et ainsi se séparèrent-ils et remirent-ils leur discussion à plus tard, ce qui fut encore le cas le lendemain, ainsi que le surlendemain, ainsi que tous les autres jours de leurs vies, si bien que personne ne sut jamais ce que Socrate allait dire de la justice. »

Ainsi, en réaction à cette tyrannie travailliste, et pour que sur cette planète, il existe encore quelque part un peu d'oisiveté, pour se poser en gardien du temple de la skholè, le « dandy ne fait rien »440. Ou plus exactement, comme l'explique Benjamin, il « flâne » : « Avec le flâneur revient, pourrait-on dire, l'oisif tel que Socrate l'a choisi comme interlocuteur sur le marché d'Athènes. Mais il n'y a plus de Socrate et personne n'adresse plus la parole au flâneur. Même le travail servile, qui lui garantit son oisiveté, a cessé. »441

Et cette flânerie, véritable agression contre le travail, constitue également une tentative de réappropriation du temps, de lutte contre la cadence : « Vers 1840, il fut quelque temps de bon ton de promener des tortues dans les passages. Le flâneur se plaisait à suivre le rythme de leur marche. S'il avait été suivi, le progrès aurait dû apprendre ce pas. En fait, ce n'est pas lui qui eut le dernier mot, mais Taylor, qui a imposé le slogan : « Guerre à la flânerie ! » »442 écrit Benjamin. On constatera aisément que la bourgeoisie et le dandy sont entrés en guerre : la première inféodée à la cadence, le deuxième au service de la skholè. Ainsi, face à ce diktat du timing, à ce tempo de « rave party » d'où le rêve est depuis longtemps parti, l'action juste repose peut-être justement dans le fait de « tuer le temps » pour permettre à la vie, – enfin –, de nous rattraper. C'est pourquoi cela semble être en toute légitimité que, dans le poème « Portraits de maîtresses », les quatre hommes bavardant font « apporter de nouvelles bouteilles, pour tuer le Temps qui a la vie si dure, et accélérer la vie qui coule si lentement. »443





2. Une révolte contre les Lumières

Le dandysme ne s'oppose pas seulement à la bourgeoisie, et s'en prend tout autant à la bien-pensance des Lumières.

Tout d'abord, c'est évidemment une révolte individualiste, qui ne se fonde pas sur l'égalité, mais sur la distinction : « Vous figurez-vous un dandy parlant au peuple, excepté pour le bafouer ? »444 écrit Baudelaire. Le dandy est un aristocrate. Mais s'il est toujours « aristocratique », il convient cependant d'analyser ce que Baudelaire entend par « aristocratie », car jamais il n'appelle explicitement de ses vœux le retour au pouvoir d'un quelconque « sang bleu ». L'aristocrate, pour ce poète, c'est plutôt l'individu qui sait préserver son âme des bassesses grégaires de la populace, et l'on pourrait ainsi suggérer que c'est peut-être simplement celui qui refuse d'être un esclave. Le dandy est quelqu'un qui se révolte en prenant les chats pour exemple : Champfleury disait d'ailleurs de Baudelaire qu'il était « le poète ami des chats », et ce n'est sans doute pas un hasard si l'explorateur du spleen aima tant ces félins. Ils incarnent l'indépendance aristocratique et l'individualisme rebelle : « Amis de la science et de la volupté, / Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ; / L’Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres, / S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté... »445 Les anarchistes ont d'ailleurs pris le chat pour emblème, montrant ainsi qu'ils avaient su tirer parti des enseignements de Stirner et de sa glorification de l'Unique, et désirant marquer par là leur différence avec le socialisme classique qui nie l'individu au profit du collectif. Ainsi les âmes pauvres croient-elles que le chat est inférieur au chien parce qu'il est plus difficile de lui faire faire des tours : c'est là une morale d'esclave. Ces amants de la servitude s'imaginent que l'obéissance est un signe d'intelligence. Il leur faut la cohésion sociale, le sacrifice de l'individu pour la foule et les services rendus à la révolution (ou la patrie, car qui a quelque idée de la novlangue sait que l'on passe aisément de l'un à l'autre). Mais le chat, qui ne se laisse jamais prendre aux jeux des beaux discours, refuse d'obéir. Il refuse tout simplement parce qu'il n'en a pas envie, et qu'il sait que s'il s'abaissait ainsi à nous donner de sa personne, il s'abêtirait grandement. Tout chat est un peu dandy et pense comme Baudelaire : « Être un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux. »446 Ainsi le dandy refuse-t-il le nivellement par le bas imposé par la morale démocratique, et pour ce faire, il s'isole dans les hauteurs : « Que ces hommes se fassent nommer raffinés, incroyables, beaux, lions ou dandys, tous sont issus d’une même origine ; tous participent du même caractère d’opposition et de révolte ; tous sont des représentants de ce qu’il y a de meilleur dans l’orgueil humain, de ce besoin, trop rare chez ceux d’aujourd’hui, de combattre et de détruire la trivialité. »447 Contrairement à ce que certains textes lus un peu vite pourraient laisser penser, le dandy baudelairien ne souhaite pas forcément qu'on étrangle l'humanité. Il exige peut-être seulement qu'on laisse vivre l'individu et qu'on laisse la beauté s'exprimer : « Pourquoi les démocrates n'aiment pas les chats, il est facile de le deviner. Le chat est beau ; il révèle des idées de luxe, de propreté, de volupté, etc... »448 C'est une protestation révoltée contre la morale du troupeau. Maistre n'y a peut-être sa place que dans la mesure où il acidifie la provocation du dandy. En rhéteur emphatique, Baudelaire lance des « phrases chocs » qu'il nourrit de formules maistriennes. Mais s'il prend ce philosophe pour maître à penser, ce n'est pas nécessairement parce qu'il approuve la totalité de son discours. Il est probable que ce ne soit pas tant le retour du roi qui inspire Baudelaire, que la critique de la démocratie moutonnière. Il pourrait ainsi être intéressant de lire l' « aristocratisme » de Baudelaire comme on peut lire celui de Nietzsche. Le dandy de l'auteur du Spleen de Paris, ce héros de la vie moderne, pourrait en effet se rapprocher par certains aspects du surhomme du philosophe de Par-delà bien et mal. Si Nietzsche trouve dans le « pathos de la distance » la manière d'être au monde du surhomme, Baudelaire écrit aussi que le dandy est « épris avant tout de distinction »449. Ainsi, une phrase de Nietzsche comme « c’est la manière et le style qui doivent nous distinguer »450 aurait sans doute été approuvée par Baudelaire. Mais il faut bien sûr se garder de laisser penser que le surhomme nietzschéen est le strict équivalent du dandy baudelairien, car Nietzsche attend du surhomme qu'il approuve l'existence par-delà bien et mal, alors que le dandy baudelairien ne peut approuver ce monde et ne parvient qu'à s'en défendre par une attitude flegmatique et ironique.

Assez curieusement, le dandy a encore cette spécificité de pouvoir s'insurger sans qu'il devienne nécessairement incompatible avec un certain catholicisme. Nombre de dandys furent catholiques : Baudelaire, mais également Balzac, Barbey d'Aurevilly, Chateaubriand, Huysman ou encore Wilde, pour ne citer qu'eux, revendiquèrent leur attachement à l'église romaine. Il va de soi, comme nous l'avions déjà exprimé lors de notre abord de Maistre, que le catholicisme des dandys ne peut exister que par un jeu de compromissions avec l'orthodoxie de l'Église. On ne peut assurément pas faire de Valmont un héros et en même temps se faire une place de choix parmi les bigotes. Néanmoins, avec l'aide d'un peu de gymnastique intellectuelle, on peut courber suffisamment les doctrines pour qu'elles ne heurtent pas de plein fouet la révolte des dandys. Tolstoï avait bien tenté de concilier l'anarchisme et le christianisme, pourquoi les dandys n'essayeraient-ils pas de faire s'asseoir côte à côte la critique de la bourgeoisie et le catholicisme ? Si l'on reprend l'hypothèse d'un Baudelaire aux tendances gnostiques, on peut imaginer effectivement un Satan en dandy, jouant de ses charmes captieux pour contrecarrer les plans de Dieu et jouissant de manière masochiste du mal qu'il cause pour conjurer toute la création.

Le dandysme constitue également une révolte contre l'idée de progrès. N'ayant aucun projet de construction sur le long terme, le dandy se fige dans le présent dont il espère tirer toute la sève. Point n'est question d'instaurer une « dictature du dandynariat » ou autre « ordre nouveau » : l'immédiateté est le seul temps de la révolte, parce qu'il est le moment de l'existence. La beauté ne siège pas dans un arrière-monde du temps, elle n'est pas à venir, elle est à saisir. Le dandy doit se révolter contre le présent pour parvenir à en extraire la quintessence. Il est le héros de la vie moderne parce qu'il accepte à la fois d'affronter la modernité et ce nouveau rapport au temps qu'elle implique, qui est celui de la cadence et de la mode. Ainsi Foucault écrit-il au sujet de Baudelaire que « pour lui, être moderne, ce n'est pas reconnaître et accepter ce mouvement perpétuel ; c'est au contraire prendre une certaine attitude à l'égard de ce mouvement ; et cette attitude volontaire, difficile, consiste à ressaisir quelque chose d'éternel qui n'est pas au‑delà de l'instant présent, ni derrière lui, mais en lui. La modernité se distingue de la mode qui ne fait que suivre le cours du temps ; c'est l'attitude qui permet de saisir ce qu'il y a d'« héroïque » dans le moment présent. La modernité n'est pas un fait de sensibilité au présent fugitif ; c'est une volonté d'« héroïser » le présent. »451 L'héroïsme du dandy est donc à mettre en rapport avec sa négation de l'idée de progrès : puisqu'il n'y a rien à attendre de l'avenir, il faut puiser dans le présent.





3. Une révolte sans espoir, une révolte esthétique

Le corollaire de cet « héroïsme de la vie moderne » est donc le désespoir, puisque pour le dandy, pour ce « dernier éclat d'héroïsme dans les décadences »452, ni le monde, ni la société n'évolueront vers quelque chose de mieux. Tout ce que le dandy semble penser c'est que, dans le meilleur des cas, on apercevra fugitivement le nouveau surgir de l'éternel.

Pour comprendre le sens de cette révolte, il faut donc se dégager des stratégies politiques, et percevoir que cette révolte n'est pas un moyen en vue d'une fin, mais qu'elle constitue une fin en soi. Sur le plan existentiel, en refusant ainsi de jouer le jeu du monde sans pour autant pouvoir le déjouer, la révolte du dandy s'apparente à un suicide. Benjamin écrit d'ailleurs : « La modernité doit se tenir sous le signe du suicide. Celui-ci appose son sceau au bas d'une volonté héroïque qui ne cède rien à l'état d'esprit antagoniste. Ce suicide n'est pas un renoncement mais une passion héroïque. C'est la conquête de la modernité dans le domaine des passions. »453 Le dandy sait qu'il est vaincu d'avance, mais il veut mourir la tête haute, et plutôt que de se résigner, il lutte avec toute la jouissance de la vie contre le poids de la mort. En cet âge de la modernité, la raison n'a rien d'autre à offrir que l'analyse cynique du déploiement des forces productives : « Le suicide pouvait très bien apparaître à un homme tel que Baudelaire comme la seule action héroïque qui fut encore possible aux « multitudes maladives » des villes, en ces temps de réaction. »454 Par conséquent, le dandy se révolte avec passion et lutte avec panache. Face à la laideur du monde, il s'efforce d'être sublime. Par rapport au prolétariat, il a le privilège de pouvoir faire durer son suicide dans l'élégance du style. Il se consume donc lentement sur un bûcher de beautés.

N'ayant d'autre fin qu'elle-même, cette révolte s'apparente ainsi plus à une esthétique qu'à une éthique. Le dandy accomplit ses actes parce qu'il les trouve beaux. Il ne se soucie pas de savoir s'ils sont justes, s'ils sont utiles, ou s'ils permettront de modifier le réel. N'en nourrissant pas l'espoir, il n'en accepte pas le désir. Il cherche donc dans l'élégance, dans le style, dans la beauté, l'accomplissement de sa vie. Le dandy est celui « qui n'a pas d'autre profession que l'élégance »455 et ainsi ces dandys « n'ont pas d'autre état que de cultiver l'idée du beau dans leur personne, de satisfaire leurs passions, de sentir et de penser »456. C'est pourquoi le dandy sait rester sagement au niveau des apparences : « Il n’y a que les gens bornés qui ne jugent pas sur l’apparence. Le vrai mystère du monde est le visible, non l’invisible... »457 écrit ainsi Wilde, engageant le dandy sur une voie qui est également celle de Nietzsche lorsqu'il fait l'apologie des anciens Grecs : « Ces grecs étaient superficiels – par profondeur »458.

Mettant ainsi l'esthétique au-dessus de toute chose, ne pouvant trouver réellement de but à leur existence dans les affaires mondaines, les dandys trouvent leur plein accomplissement dans l'art : « Cette héroïsation ironique du présent, ce jeu de la liberté avec le réel pour sa transfiguration, cette élaboration ascétique de soi, Baudelaire ne conçoit pas qu'ils puissent avoir leur lieu dans la société elle‑même ou dans le corps politique. Ils ne peuvent se produire que dans un lieu autre que Baudelaire appelle l'art »459, écrit Foucault. De cette manière, en fondant son existence sur l'art, le dandy se présente ici encore comme une figure possédant bien des caractéristiques nietzschéennes, puisque dans L'Origine de la tragédie, le philosophe de Bâle écrivait : « l’art est la tâche la plus haute et l’activité essentiellement métaphysique de cette vie »460.

L'erreur, dès lors, consisterait à penser que le dandy devrait se retrancher de la sphère des mondanités pour s'adonner entièrement à un art. En effet, l'on pourrait penser que, s'il devait vivre pleinement en tant qu'artiste, il suffirait au dandy de se trouver un art et de s'y enfermer pour s'épanouir pleinement. Il n'aurait alors point à venir encombrer nos vies de ses provocations d'adolescent : il ferait ses gammes, raturerait des pages avec ses rimes, épuiserait ses palettes, et nous laisserait en paix. Et il en serait effectivement ainsi si « art » devait être entendu en un sens restreint. Mais l'art visé par le dandy n'est pas cette froide virtuosité de spécialiste, c'est avant tout un art de vivre, c'est l'art que veut maîtriser « l'homme du monde ». Baudelaire écrit ainsi au sujet de Constantin Guys : « Lorsque enfin je le trouvai, je vis tout d’abord que je n’avais pas affaire précisément à un artiste, mais plutôt à un homme du monde. Entendez ici, je vous prie, le mot artiste dans un sens très-restreint, et le mot homme du monde dans un sens très-étendu. Homme du monde, c’est-à-dire homme du monde entier, homme qui comprend le monde et les raisons mystérieuses et légitimes de tous ses usages ; artiste, c’est-à-dire spécialiste, homme attaché à sa palette comme le serf à la glèbe. M. G. n’aime pas être appelé artiste. N’a-t-il pas un peu raison ? Il s’intéresse au monde entier ; il veut savoir, comprendre, apprécier tout ce qui se passe à la surface de notre sphéroïde. L’artiste vit très peu, ou même pas du tout, dans le monde moral et politique. Celui qui habite dans le quartier Breda ignore ce qui se passe dans le faubourg Saint-Germain. Sauf deux ou trois exceptions qu’il est inutile de nommer, la plupart des artistes sont, il faut bien le dire, des brutes très adroites, de purs manœuvres, des intelligences de village, des cervelles de hameau. Leur conversation, forcément bornée à un cercle très étroit, devient très vite insupportable à l’homme du monde, au citoyen spirituel de l’univers. »461

Par extension, on peut comprendre également que le dandy n'est pas quelqu'un d'amoral. Il ne pratique pas son art sans se soucier totalement des problématiques éthiques, car son art étant un art du monde compris dans son intégralité, la morale est nécessairement contenue dans cet art. La morale ne lui apparaît certes pas comme une fin en soi, mais comme une composante de l'harmonie fixant les règles de son art, comme la note sensible de ses mélodies existentielles. On trouve ainsi cette assertion dans les textes de Baudelaire : « ce qui exaspère surtout l’homme de goût dans le spectacle du vice, c’est sa difformité, sa disproportion. Le vice porte atteinte au juste et au vrai, révolte l’intellect et la conscience ; mais comme outrage à l’harmonie, comme dissonance, il blessera plus particulièrement de certains esprits poétiques ; et je ne crois pas qu’il soit scandalisant de considérer toute infraction à la morale, au beau moral, comme une espèce de faute contre le rythme et la prosodie universels. »462

C'est donc bien légitimement que Foucault trouve en Baudelaire un fondement à sa notion d' « esthétique de l'existence ». Cette notion foucaldienne peut se comprendre comme une façon moderne d'appréhender la morale, comme une tentative d'élaborer un rapport à soi qui ne soit pas le fait d'un code, mais qui soit le fruit d'un travail s'apparentant à celui de l'artiste. Foucault préconise ainsi de faire de sa vie une œuvre d'art en s'imposant des « techniques de soi ». Il oppose deux attitudes morales : celle de la « pastorale chrétienne » qui impose aux individus des préceptes qu'ils doivent suivre, et celle de l'éthique grecque qui suppose que l'individu doit parvenir à se dominer par un travail constant sur lui-même. L'éthique grecque peut, d'après Foucault, se poser comme source d'inspiration pour construire une éthique de la modernité, parce qu'elle pose l'invention de soi comme moteur. Or, la modernité impose de se repenser soi-même dans son actualité, puisque depuis Kant et son « sapere aude », la tradition ne peut plus nous dicter notre conduite. L'homme livré à la raison doit parvenir à trouver en cette dernière les fondements de ses actions. Mais en même temps, il doit garder à l'esprit qu'il est le résultat de processus de subjectivations exercés par le pouvoir, par ce pouvoir qui est toujours déterminé par les rouages du présent. L'individu doit donc trouver, entre les mécanismes du pouvoir, et par sa volonté de transgression, des techniques de soi capables de lui donner un certain ascendant sur lui-même. Il ne peut y parvenir qu'en développant à un certain souci de soi qui le rend conscient des forces pesant sur lui, ainsi que de son désir de s'en libérer. Le dandysme constitue une de ces techniques : « pour Baudelaire, la modernité n'est pas simplement forme de rapport au présent ; c'est aussi un mode de rapport qu'il faut établir à soi‑même. L'attitude volontaire de modernité est liée à un ascétisme indispensable. Être moderne, ce n'est pas s'accepter soi‑même tel qu'on est dans le flux de moments qui passent ; c'est se prendre soi‑même comme objet d'une élaboration complexe et dure : ce que Baudelaire appelle, selon le vocabulaire de l'époque, le « dandysme ». (...) L'homme moderne, pour Baudelaire, n'est pas celui qui part à la découverte de lui‑même, de ses secrets et de sa vérité cachée ; il est celui qui cherche à s'inventer lui‑même. Cette modernité ne libère pas l'homme en son être propre ; elle l'astreint à la tâche de s'élaborer lui‑même. »463

Ce faisant, en soulignant la pertinence de la démarche des dandys quant à l'élaboration de soi, Foucault en éclaire la portée politique, car se dominer soi-même, c'est également se libérer des pouvoirs qui s'exercent sur le sujet. Avec Foucault, cette révolte esthétique ne se cantonne plus à un jeu de miroir entre le sujet et son image. Elle devient une transgression éthique qui, en modifiant le rapport que l'individu entretient avec le pouvoir, déplace les frontières du pouvoir, et ouvre sur la possibilité d'une révolte politique réelle.







D. Le dandysme de Baudelaire : une licence poétique pour une cohérence en déséquilibre



Baudelaire pourrait donc retrouver une certaine logique en usant de la figure du dandy pour allier les contraires. Cela étant, il est assez évident que cette harmonie est faite d'une certaine part de chaos. Car il faut bien reconnaître que si l'on veut vraiment être conséquent, on ne peut à la fois montrer de la compassion envers le prolétariat et se faire le thuriféraire de Maistre, on ne peut admirer Valmont et prétendre trouver son inspiration en Swedenborg.

Si Baudelaire s'accommode ainsi de ces paradoxes, c'est sans doute parce qu'il en trouve l'issue grâce au dandy, mais c'est également certainement parce qu'il ne cherche pas autant la cohérence que le philosophe le voudrait. Il serait regrettable d'enfermer Baudelaire dans un système et de vouloir en faire un individu rationnel ayant manié la poésie comme le géomètre manie l'équerre. Le personnage de Baudelaire est aussi un personnage d'excès, un homme passionné qui, pour une raison qu'on ignore, va être pris un matin d'une toquade, puis un matin d'une autre. Un jour il se saisit d'un fusil et part faire la révolution, puis un autre, il parcourt un ouvrage de Maistre et pense y trouver la voix de la vérité. En réalité, ce ne sont peut-être là que des passages tumultueux, des pics du haut desquels une certaine perspective s'impose à lui, et qu'il exploite avec une rogne pathologique ou une douceur excessive. On pourrait faire l'hypothèse que Baudelaire, comme beaucoup de poètes, aurait subi un certain perspectivisme nietzschéen sans s'en rendre compte. C'est quelqu'un qui « a des vues » qui lui apparaissent clairement et qu'il expose avec tout son art, même si ces « vues », au final, n'offrent pas un panorama cohérent.

Ainsi, il ne serait pas honnête de prétendre que le dandysme de Baudelaire résout toutes ses contradictions. Il faudrait plutôt le considérer comme un point de raccord entre ceux-ci, comme le lieu de l'union des contraires qui, en existant avec suffisamment d'éclat, les maintient ensemble dans un équilibre précaire mais tenace. La figure du dandy ne donne pas véritablement de solutions aux conflits du poète, elle leur permet juste de coexister à travers l'illusion d'une bonne entente, elle est ce qu'en psychanalyse on appellerait un « compromis ». Elle est aux antagonismes de Baudelaire ce que l'amour est aux deux sexes : une ruse élégante par laquelle ils parviennent à vivre ensemble, car, comme l'écrivait Baudelaire, « dans l'amour, comme dans presque toutes les affaires humaines, l'entente cordiale est le résultat d'un malentendu. Ce malentendu, c'est le plaisir. L'homme crie : O mon ange ! La femme roucoule : Maman ! maman ! Et ces deux imbéciles sont persuadés qu'ils pensent de concert. – Le gouffre infranchissable, qui fait l'incommunicabilité, reste infranchi. »464


Conclusion


L'enquête philosophique que nous avons ici menée nous invite à répondre à cette question : quel statut, finalement, accorder à la révolte baudelairienne ? Ses contradictions et ses paradoxes plus ou moins résolus doivent-ils nous pousser à considérer qu'elle n'est rien d'autre qu'une farce d'histrion, ou faut-il y voir une réaction pertinente à la faillite des temps modernes ?



A. Sartre contre Baudelaire : le dandysme comme une fausse révolte ?


Sartre prononce un jugement sans appel contre Baudelaire : « Ce pervers a adopté une fois pour toutes la morale la plus banale et la plus rigoureuse »465 écrit-il dans son livre consacré au poète.

Bien entendu, comme la-dite critique émane de quelqu'un qui soutint Staline, l'on pourrait être tenté de la laisser tomber dans l'oreille d'un sourd. Néanmoins, nous n'aurons pas cette mesquinerie : Baudelaire aima Maistre, Foucault se laissa conter fleurette par le maoïsme, Platon alla faire des courbettes à Denys de Syracuse, Voltaire crut en Catherine II de Russie... Laissons à Sartre le privilège d'avoir été stalinien. Après tout, dans les livres, les charniers n'ont pas d'odeur, et c'est sans doute le prix à payer pour qui veut devenir un « intellectuel engagé ».

L'analyse de Sartre part du postulat que Baudelaire aurait fait un « choix originel »466 : celui de l'isolement. Pour ce philosophe, le « poète maudit » est une mise en scène appelée de ses vœux par Baudelaire. Le second mariage de la mère du poète aurait constitué pour lui un événement insurmontable et l'aurait conduit à ce choix. Ainsi d'après Sartre, Baudelaire « pense cet isolement comme une destinée. Cela signifie qu'il ne se borne pas à le supporter passivement en formant le souhait qu'il soit temporaire : il s'y précipite avec rage au contraire, il s'y enferme et, puisqu'on l'y a condamné, il veut du moins que la condamnation soit définitive. Nous touchons ici au choix originel que Baudelaire a fait de lui-même, à cet engagement absolu par quoi chacun de nous décide dans une situation particulière de ce qu'il sera et de ce qu'il est. Délaissé, rejeté, Baudelaire a voulu reprendre à son compte cet isolement. Il a revendiqué sa solitude pour qu'elle lui vienne au moins de lui-même, pour n'avoir pas à la subir. »467

Ce choix de l'isolement est corrélatif d'un constat que Baudelaire aurait fait, et que Sartre juge vain : celui de l'irréductibilité de l'individualité. Baudelaire serait ce personnage prostré sur le constat de sa différence et qui ne parviendrait pas à surmonter ce constat. Il rentrerait ainsi dans un cercle vicieux infécond : « Il a fait l'épreuve purement négative de la séparation et son expérience a porté sur la forme universelle de la subjectivité, forme stérile que Hegel définit par l'égalité Moi = Moi. Que faire d'une découverte qui fait peur et ne paie pas ? »468 Baudelaire en fera, nous dit Sartre, une épuisante quête narcissique n'aboutissant nulle part. Le poète se perdrait en lui-même de ne pouvoir jamais s'oublier : « L'attitude originelle de Baudelaire est celle d'un homme penché. Penché sur soi, comme Narcisse. »469

En conséquence, le poète s'isolerait dans sa contemplation et s'adorerait dans sa perfection morale. Cette description que Sartre fait de Baudelaire, emprunte à l'idée de « belle âme » hégélienne : cette « belle âme » est celle de celui qui, découvrant la moralité en lui-même, s'y réfugie pour conserver sa cohérence. La « belle âme » cultive son isolement par une volonté de conserver sa pureté morale, seule garantie de sa qualité supérieure et essentielle. En refusant de « toucher au monde » elle s'assure de son intégrité. Elle annule donc a priori toute effectivité pour conserver son unicité éthique. Elle vit en auto-satisfaction morale, mais ne peut qu'être « conscience malheureuse » puisqu'il lui est impossible de se réaliser dans le monde.

De plus, Sartre pointe du doigt le « drame baudelairien »470 : le poète ne parviendrait pas à se contempler lui-même, il serait comme un œil qui voudrait se voir. Il lui faudrait donc un deuxième être qui le regarderait. Ce deuxième personnage, Baudelaire le créerait artificiellement en se faisant le bourreau de lui-même « car la torture fait naître un couple étroitement uni dans lequel le bourreau s'approprie la victime. »471 C'est ainsi que naîtrait la figure du « poète maudit » : une « belle âme » se contemplant elle-même dans ses supplices. Les attaques de Baudelaire contre la bourgeoisie ne seraient donc pas réellement des attaques, elles seraient l'occasion de tendre à l'extériorité le bâton pour se faire battre, et ainsi conforter le poète dans son narcissisme pervers.

Pareillement, le choix de Maistre comme maître à penser lui permettrait d'intérioriser le juge le plus intransigeant : « comme s'il n'avait pas assez de tous ces tuteurs et curateurs, de tous ces gros Messieurs qui décidaient entre eux de son destin, il élit un tuteur secret, le plus sévère de tous, Joseph de Maistre, dernière incarnation de l'Autre. »472

Selon le schéma sartrien classique, Baudelaire serait donc l'homme qui renonce à sa liberté pour ne pas perdre l'expérience fantasmée de soi-même, et qui invoquerait des causes extérieures à lui pour justifier de son incapacité à sortir de lui-même. La révolte de Baudelaire serait donc purement esthétique parce qu'elle ne voudrait pas être effective. Sartre décrit ainsi le dandysme baudelairien : « par-delà l'artiste, qui cherche encore à créer, il a projeté un idéal social de stérilité absolue où le culte du moi s'identifie à la suppression de soi-même. (…) Le dandysme est un « club des suicidés » et la vie de chacun de ses membres n'est que l'exercice d'un suicide permanent. »473

Finalement, pour le philosophe de l'existentialisme, Baudelaire est un poète qui se prétend anti-bourgeois, mais qui fait tout sauf nuire à la bourgeoisie. Sa vie tourne en vase clos, elle ne déborde jamais sur la bourgeoisie : elle n'a donc aucune portée révolutionnaire et sert plutôt bien la caste qu'elle critique, puisqu'elle en incarne la bonne conscience, qu'elle en exprime la culpabilité, sans jamais la perturber.

La critique que Sartre fait de Baudelaire rejoint celle que Vallès en fit : « Né bourgeois, il a joué les Cabrions blafards toute sa vie ; il y laissa sa raison, c'était justice. (...) Ah ! ne valait-il pas mieux vivre simplement d'un travail connu, simple mortel, plutôt que de courir après les rimes étranges et les titres funèbres ! (...) Était-il, par quelque côté au moins, un révolté ? Allons donc ! Rien qu'un égoïste qui travaillait péniblement sa gloire et qui ne souffrait pas mais jouissait des douleurs des autres, parce qu'elles pouvaient l'inspirer et aider sa muse menacée de stérilité à accoucher de quelque fœtus qu'il appelait l'embryon d'un monde. On le répéterait dans les cénacles, dans les cafés, et il n'en demandait pas davantage. Incapable d'émouvoir ceux qu'il n'avait pas préparés, il posait en aristocrate de la pensée qui s'exile avec ses fidèles dans le pays des idées hautes. »474





B. Repenser la révolte baudelairienne avec Stirner et le situationnisme



Comme nous l'avons déjà abordé dans la troisième partie, la relecture de Baudelaire avec Dolf Oehler répond en partie à la critique que Sartre fait du poète, puisque comme on l'a constaté, Baudelaire ne se désintéresse pas de la misère mais en exprime au contraire le refoulement pour mieux faire surgir le retour du refoulé. La lecture que Sartre fait du poète, en passant à côté de l'épisode de 1848, serait justement symptomatique de ce « refoulement » : « le plus grand paradoxe, dans cette histoire d'une réception plutôt manquée, c'est justement Sartre qui le fournit, lui qui s'est efforcé, avec une énergie et une rigueur méthodique sans pareille, d'établir le lien entre la genèse de la modernité littéraire et l'histoire de l'échec de la révolution de 1848, en particulier celle des conséquences des massacres de Juin. »475

Cette réponse ayant déjà été en partie exposée, nous aimerions répondre à Sartre avec d'autres auteurs que Oehler. Nous nous inspirerons donc des tenants d'un individualisme de la révolte : Stirner et les situationnistes.

Avant cela, il faut tout d'abord constater un fait malheureux : que la critique émane de Sartre ou de Vallès, elle contient quelque chose de profondément hypocrite. En effet, nous avons là des bourgeois qui attaquent un autre bourgeois parce que ce dernier serait resté un bourgeois. Comme si L'existentialisme est un humanisme et Le Bachelier constituaient les lectures quotidiennes du prolétariat. Comme si le prolétariat était une classe si distinctement définie qu'on eût pu se revendiquer en être ou n'en pas être. Comme s'il suffisait d'applaudir Staline et de vendre La cause du peuple aux bobos pour accomplir la révolution prolétarienne et mettre en place une société sans classe. Baudelaire avait le tact d'être une conscience malheureuse là où d'autres se contentaient de se donner bonne conscience : de quel côté se situe réellement l'imposture ? Dans l'action révolutionnaire stérile charriant ses monceaux de cadavres et rachetant ainsi une virginité à ces prédicateurs tranquillement installés dans leurs chaires, ou dans le retrait ironique et désabusé face à l'éternel retour du même ? Car il en faut de l'aveuglement, pour ne pas se rendre compte que le prolétariat est plus sensible aux sophismes des discours populistes, – qu'ils soient de gauche ou de droite, c'est selon la saison –, qu'aux écrits des intellectuels. C'est pourtant bien naturel : pour lire il faut du temps, et le temps du prolétariat est partagé entre celui passé à travailler, et celui passé à chercher du travail. Il ne pourra exister d'action politique réellement démocratique tant que le temps nécessaire à la pensée ne se sera pas démocratisé.

D'autre part, l'ironie du sort trouvant toujours son chemin, ce même Vallès qui tançait Baudelaire d'être si « bourgeois » est celui qui quelques années auparavant s'entendait dire : « Si révolté que vous vous croyiez, vous sentez encore trop le collège pour vous plaire avec les ignorants de l’atelier ; vous ne leur plairiez pas non plus ! vous n’avez pas été gamin de Paris, et vous auriez des airs de monsieur. »476 Ce type de discours, il est probable que Baudelaire se l'entendit dire alors qu'il fréquentait encore le socialisme. C'est que pour entrer dans toute caste, il faut faire ses preuves : la caste prolétarienne – si floue dans sa définition, et pourtant si fière de son identité – ne déroge pas à la règle. Vallès et Sartre crurent avoir fait leurs preuves. Baudelaire, sans doute trop révolté pour se prêter aux jeux plébéiens des rites de passage refusa de dissoudre son individualité : il resta un bourgeois, puisque c'était le seul moyen de subsister véritablement en tant que révolté.

La question de l'individualisme constitue en réalité le nerf de la guerre. Parce qu'il soutint son individualité, Baudelaire adopta une démarche artistique jetant les prémisses d'une esthétique de l'existence et se vit finalement attribuer les étiquettes de « bourgeois ». Parce que Sartre croyait à un devoir humaniste dépassant le cadre de l'ego, il s'abandonna à la cause politique, – parfois au mépris de ses impératifs éthiques –, et s’autoproclama « révolutionnaire ». En règle générale, pour la doxa socialiste, c'est la valeur que l'on attribue à l'individualité qui nous range soit dans le camp de la bourgeoisie, soit dans celui des révolutionnaires. C'est la raison pour laquelle Stirner est souvent classifié un peu maladroitement dans un étrange « anarchisme de droite ». Parce qu'en revendiquant son égoïsme, il ne peut montrer patte blanche dans les cénacles socialistes et il ne peut parfaitement être dit « de gauche ».

L'incompréhension tient en grande partie au fait que l'égoïsme est toujours compris maladroitement, comme une volonté de faire son bien propre au dépens d'autrui. Pour le demi-habile, l'égoïste est en quelque sorte un capitaliste primaire. Mais c'est là une compréhension bien naïve de l'ego, car c'est postuler que l'égoïste est incapable de comprendre qu'il est lié aux autres d'un point de vue utilitaire et d'un point de vue affectif. Or comment pourrait-on éprouver l'empathie, sinon en soi-même ? Celui qui épouse une idée abstraite d'altruisme est bien plus détaché des autres que l'égoïste qui se contente d'éprouver son affection, parce que l'idée abstraite peut facilement devenir inhumaine en prenant le dessus sur l'ego empathique : Robespierre ne pourrait être un dandy, il ne peut être qu'un révolutionnaire.

Au surplus, l'égoïsme constitue une réalité indépassable, dans la mesure où, même dans le sacrifice, c'est toujours l'ego qui s'exprime. Effectivement, on ne se sacrifie jamais que pour soi, parce qu'on est tellement possédé par son idéal qu'on ne peut concevoir de vivre sans lui : « Rien n'est sacré que pour l'Égoïste qui ne se rend pas compte de son égoïsme, pour l'Égoïste involontaire. J'appelle ainsi celui qui, incapable de dépasser jamais les bornes de son moi, ne le tient cependant pas pour l'être suprême ; qui ne sert que lui en croyant servir un être supérieur, et qui, ne connaissant rien de supérieur à lui-même, rêve pourtant quelque chose de supérieur ; bref, c'est l'Égoïste qui voudrait n'être pas Égoïste, qui s'humilie et qui combat son égoïsme, mais qui ne s'humilie que « pour être élevé », c'est-à-dire pour satisfaire son égoïsme. »477

Ainsi, pour combattre son égoïsme, le révolutionnaire se dit prêt à « mourir pour la révolution » et il la sacralise dans un égoïsme inconscient. Mais c'est là exposer le principe de contradiction qui rend la révolution fatalement inopérante : en néantisant l'individu, elle expose la vacuité de sa démarche, puisqu'on ne peut faire sincèrement la révolution que dans le but du bonheur égoïste. En postulant un idéal supérieur à l'individu, en posant la sacralité de la révolution, la raison d'être de celle-ci disparaît et il ne reste plus d'elle qu'un diktat abstrait. La tâche révolutionnaire s'impose alors comme une mission répondant à cet impératif : « On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs ! » L'histoire nous prouve ensuite que les révolutionnaires cassent beaucoup d’œufs, mais ne font guère d'omelettes. Hors l'individu, il n'y a plus que le despotisme. Toute volonté révolutionnaire est donc despotique par essence. Par conséquent, toute révolution est contre-révolutionnaire et seule l'insurrection qui assume l'égoïsme procède réellement de la révolte. Il y a ainsi peut-être plus de révolte dans Les Fleurs du mal que dans Le manifeste du parti communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »478 constitue un slogan dont on peut sans peine prévoir qu'il aboutira à une nouvelle horde plutôt qu'à des individus émancipés. Il n'est pas besoin d'avoir beaucoup d'esprit pour comprendre que « prolétaire » va assez vite devenir l'étalon de mesure de l'humanité. Alors, gare à toi si tu n'es pas un bon « prolétaire » : « BIG BROTHER VOUS REGARDE »479.

C'est pourquoi Stirner souhaite l'insurrection, et non la révolution. La différence tient dans le fait qu'une telle révolte part d'un individu et cherche à accomplir quelque chose pour cet individu (ce qui, une fois encore, n'implique pas de se détacher des autres). Elle ne vise pas autre chose qu'un changement immédiat. Elle n'est donc pas révolutionnaire puisqu'elle ne vise pas un idéal hypothétique, mais qu'elle pose des exigences qui doivent être remplies sur le champ. Elle ne procède que de sentiments personnels qui assument leur égoïsme. Ce faisant, parce qu'elle est individualiste, – justement –, elle est peut-être plus sincère et plus efficace que l'appel à la révolution : « La révolution avait en vue un régime nouveau, l'insurrection nous mène à ne plus nous laisser régir mais à nous régir nous-mêmes et elle ne fonde pas de brillantes espérances sur les « institutions à venir ». Elle est une lutte contre ce qui est établi, en ce sens que, lorsqu'elle réussit, ce qui est établi s'écroule tout seul. Elle est mon effort pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent est mort et tombe en décomposition. »480

Baudelaire, parce qu'il n'était pas révolutionnaire, a vu sa révolte récusée par la gauche. On lui reprochera de n'avoir jamais été rien d'autre qu'un révolté et de n'être jamais devenu un révolutionnaire. Comme l'écrit Benjamin, Baudelaire aurait pu « faire sienne la phrase de Flaubert : « Je ne comprends qu'une chose à la politique : la révolte. » »481 Ainsi, Baudelaire n'aurait rien été d'autre qu'une « belle âme ». Mais c'était passer à côté du fait que sa révolte, même s'il ne le savait pas lui-même, consistait en une insurrection de type stirnerienne, plus qu'en une tentative de révolution. Le dandy est entièrement tourné vers lui-même : c'est là la condition sine qua non pour pouvoir attester de la sincérité de son propos. S'il s'était revendiqué d'un autre domaine, il aurait menti. Le dandysme constitue une insurrection esthétique contre les travers de la modernité. Il ne cherche pas à instaurer un nouveau régime : il modifie directement le présent et tente de réparer l'injustice. Car écrire un poème et tirer la beauté du mal, c'est tenter de compenser la misère par le style : « C’est une grande destinée que celle de la poésie ! Joyeuse ou lamentable, elle porte toujours en soi le divin caractère utopique. Elle contredit sans cesse le fait, à peine de ne plus être. Dans le cachot elle se fait révolte ; à la fenêtre de l’hôpital, elle est ardente espérance de guérison ; dans la mansarde déchirée et malpropre, elle se pare comme une fée du luxe et de l’élégance ; non seulement elle constate mais elle répare. Partout elle se fait négation de l’iniquité. »482 C'est certes peu de choses, mais pour qui est sans espoir, c'est l'horizon indépassable. Et c'est aussi donner bien plus aux miséreux que des thèses absconses sur la nécessité de l'éclosion d'une conscience de classe et sur l'espoir d'une hypothétique dictature du prolétariat qui, si tout se passe bien, – ce qui n'arrive jamais –, aboutirait à une société sans classe émancipée des contraintes de la nature.

La révolte baudelairienne peut encore être interprétée à la lumière des théories situationnistes. Ce que Baudelaire a pu inconsciemment déceler dans la modernité, c'est l'apparition de la société du spectacle. Il a anticipé plus ou moins maladroitement la théorie de Debord selon laquelle « toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation. »483 Et Baudelaire en a déduit que le seul moyen pour la révolte de subsister, c'était de se donner en spectacle.

L'esthétique est donc une arme insurrectionnelle plus puissante que les stratégies ouvrières traditionnelles, qui sont depuis longtemps facilement contournées par le pouvoir et qui affaiblissent la crédibilité de la révolte plus qu'elles la renforcent. En effet, les grèves et autres manifestations bien encadrées n'ont guère d'autre résultat que de renforcer dans le regard de la population l'idée selon laquelle ceux qui y participent ne sont que des « feignants ». Et ils peuvent en partie avoir raison, mais quoi qu'il en soit, le jugement négatif porté sur toute revendication du « droit à la paresse » signe la victoire du pouvoir en place et de l'idéologie travailliste propre à entériner la servitude générale. Ce qui est symptomatique du succès du pouvoir, ce n'est pas la répression subie par ceux qui aspirent à plus de liberté, c'est l'antipathie que ces mouvements peuvent s'attirer auprès des autres membres de la société, qui pourtant souffrent de la même tyrannie. La société du spectacle est parvenue à instiller dans les individus une certaine manière de voir qui se trouve être celle qui arrange à merveille le pouvoir. En effet, la société du spectacle, établit « un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »484 : elle instaure les valeurs des forces productives comme valeurs essentielles devant être reçues par tous les membres de la société.

Elle réussit facilement ce tour de main, – on pourrait même affirmer qu'elle l'opère sans même le vouloir, comme une nécessité structurelle –, parce que tant dans le camp du pouvoir en place que dans celui de ses critiques domine la haine de l'individualisme, et par conséquent le règne de la pensée unique : le pouvoir se pense en pasteur menant un troupeau et le révolutionnaire en « avant-garde éclairée » menant des prolétaires. Tous deux les mèneront à l'abattoir puisqu'aucun ne se sera donné la peine de planter le germe de la pensée originale. À ce jeu là, c'est quasiment toujours le pouvoir qui gagne, car c'est lui seul qui dispose de tous les moyens de propagande et qui peut donc le plus facilement emporter dans son sillage ceux qui depuis toujours ont été élevés pour être des suiveurs. Et dans les rares cas où le pouvoir en place perd les rênes, c'est un autre pouvoir tout autant despotique qui émerge. Il semble pourtant assez évident qu'on ne peut exiger d'individus accoutumés à penser en troupeau qu'ils suivent un autre chef que celui qui a le plus gros bâton de berger.

Ainsi, à l'aide du moteur de la pensée unique, le pouvoir réduit à néant toute tentative insurrectionnelle qui n'a pas préalablement pris le temps de modifier cette médiatisation et de donner à voir les choses selon un autre point de vue. Ce travail nécessaire d'un changement de perspective, il ne peut être l’œuvre que d'un mouvement esthétique. Et comme ce qui est vu ne peut plus l'être que par la lorgnette de la société du spectacle – en dehors de laquelle, rien n'étant montré, rien n'est vu, et donc rien n'existe – la tactique mise en place ne peut plus être que celle d'un changement provenant de l'intérieur : la seule solution semble ainsi être celle du détournement des stratégies spectaculaires. Par conséquent, le dandy est en quelque sorte un guérillero de l'esthétique. Partout où il passe, il allume des feux qui signifient « arrête de bêler avec les autres ! »

La « révolution de la vie quotidienne » chère aux situationnistes connaît ainsi ses premières armes avec le dandysme, qui constitue une insurrection permanente contre la survie subie des individus. Cette « révolution de la vie quotidienne », d'une certaine façon, met en place la stratégie de « l'action directe » à l'encontre de la société du spectacle. Le dandysme en est la préfiguration désespérée. Il est l'action directe d'une esthétique de l'existence qui, par la tentative quotidienne de « faire de sa vie une œuvre d'art » incite tout un chacun à redorer le blason de son individualité et à se libérer des discours convenus. « Aie le courage de devenir toi-même ! » pourrait ainsi être la maxime du dandysme.

Certes, le parallèle ne doit pas aller trop loin, car le dandysme de Baudelaire est par nature « désespéré », alors que la « révolution de la vie quotidienne » était pleine d'espoir : celle d'un dépassement de la société du spectacle. C'est que la « révolution de la vie quotidienne » est, comme son nom l'indique, une technique « révolutionnaire ». Elle tombe par conséquent dans le piège de l'espoir d'un idéal abstrait, dans l'espoir maintes fois réaffirmé d'un paradis sur terre dont l'Histoire n'a de cesse de toujours donner les démentis les plus formels. Baudelaire, pour sa part, est installé ironiquement dans l'idée que le monde ne changera pas : c'est ce qui le sauve du fanatisme et le contient dans la sagesse. Pour le dandy, le monde n'est qu'une oscillation entre le pire et le moins pire, et le but du dandy est de toujours peser dans la direction du moins pire, sans espérer pouvoir un jour sortir de cet équilibre délétère. Le fait qu'il n'y ait pas d'espoir ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas lutter. Mais il faut le faire avec lucidité, sans attendre le jugement dernier ou les lendemains qui chantent. À celui qui se dirait « révolutionnaire », le dandy pourrait répondre : « Vous mettez bien trop d'espoirs en ce monde » ; et à celui qui approuverait l'état de fait avec un cynisme primaire, il pourrait rétorquer : « Vous exigez bien peu de ce monde. »



C. Une révolte inaboutie : le dandysme de Baudelaire reste prostré sur le passé



Il est cependant une chose qui paralyse véritablement la révolte de Baudelaire, et qui donne un peu raison à Sartre : c'est que pour s'ériger face à la modernité et à la bourgeoisie, son dandysme puise en grande partie dans les idéaux du passé. Baudelaire ne parvient pas à forger de nouvelles valeurs. Il cerne les contours de la modernité, il en décrit les affres et les beautés, il en distille l'essence et en rejette l'ivraie, mais lorsqu'il s'agit de critiquer la vaste démocratisation de la bêtise et les ravages de l'industrie, il ne parvient qu'à se réfugier dans les dogmes les plus passéistes : l'invocation du péché originel et les diatribes contre l'égalité semblent seules le prémunir face à la marée montante du nivellement par le bas.

Il ne peut dépasser cette posture à la fois indignée et compatissante parce qu'il est incapable de se détacher d'une compréhension profondément essentialiste du réel. Pour lui, l'être humain n'est pas une construction, c'est un donné qu'il faut recevoir tel quel. Là il écrit que « la France n'est pas poète »485, là il déclare à propos du Belge : « Il est voleur, il est rusé »486, et là il affirme : « La femme ne sait pas séparer l'âme du corps »487. Dans tous les cas, il ne fait pas ces constats comme étant le résultat de faits culturels, mais comme constituant des réalités intangibles, quasiment éternelles. Ce principe qui consiste à conceptualiser le monde et à donner une pleine réalité à ces concepts parcourt toute son œuvre. Partant, il ne peut prononcer autre chose qu'un jugement définitif et catégorique sur les choses qui l'entourent. Se battant avec des concepts figés, Baudelaire ne peut avoir pour lui que des idées fixes. Il ne perçoit pas son époque comme résultant d'un déplacement des rapports de force ou d'une redistribution des variables au sein des lois du monde. Ce qu'il constate, c'est une désagrégation de ses principes, une décadence, une chute qui l'éloigne d'une essence parfaite.

C'est qu'en dépit de tous ses efforts, Baudelaire est incapable de surmonter le christianisme dont on l'a nourri, ce qui permet d'ailleurs à Camus d'écrire un peu durement : « Baudelaire, malgré son arsenal satanique, son goût pour Sade, ses blasphèmes, restait trop théologien pour être un vrai révolté. »488 Le péché originel, qui revient si souvent chez le poète, est caractéristique d'une pensée qui ne peut concevoir le monde qu'en le rapportant à un idéal, et à un idéal que cette pensée ne peut imaginer autrement que pourvu d'une certaine forme d'existence. Il lui est impossible de penser que l'aspiration à l'idéal puisse n'être qu'une illusion de l'esprit rationnel qui cherche dans la forme fixe le point d'ancrage de la volonté. Il part du postulat naïf selon lequel, s'il peut ressentir l'idée pure, c'est que cette dernière existe. Il écrit ainsi un assez candide « calcul en faveur de Dieu » où l'on trouve cette assertion : « Rien n'existe sans but. Donc mon existence a un but. »489 Il ne parvient pas à s'élever à l'idée selon laquelle le fait que l'esprit humain fonctionne en se motivant par des buts ne confère aucune réalité en soi aux « buts ». Parce qu'il a des buts, il postule que le monde en a également. C'est là pure invention de l'esprit. Il tombe dans le piège du finalisme que Spinoza avait déjoué il y a déjà bien longtemps : « les hommes supposent communément que tous les êtres de la nature agissent comme eux pour une fin ; bien plus, ils tiennent pour certain que Dieu même conduit toutes choses vers une certaine fin déterminée. Dieu, disent-ils, a tout fait pour l'homme, et il a fait l'homme pour en être adoré. (...) Mais tous ces efforts pour montrer que la nature ne fait rien en vain, c'est-à-dire rien d'inutile aux hommes, n'ont abouti qu'à un résultat, c'est de montrer que la nature et les dieux et les hommes sont privés de raison. Et voyez, je vous prie, où les choses en sont venues ! »490

Baudelaire croit que le monde est organisé, il s'imagine qu'il existe une « analogie universelle », une harmonie secrète du monde qu'il appartient au poète de révéler. Ce « nouveau » qu'il appelle de ses vœux avec tant de force ressemble plus à de l'éternel qui ne s'est pas encore montré qu'à un surgissement fugace. Il conçoit une certaine objectivité du monde cachée derrière le voile des sens, mais si c'est à la subjectivité de le découvrir, il n'en reste pas moins que ce que l'imagination dégage, c'est une forme d'éternité. Baudelaire ne peut se départir d'une sorte d'idéalisme cosmologique. Son esthétisme ne le pousse pas à considérer comme un Protagoras que « l'homme est la mesure de toute chose », il reste au contraire enchaîné à l'hypothèse d'une organisation objective de l'univers.

C'est que ce poète croit aux concepts. Il est persuadé que si quelque chose est pensé, c'est que ce quelque chose possède une certaine forme d'existence. Kant avait pourtant déjà bien démontré l'inanité d'un tel raisonnement : « Être n'est manifestement pas un prédicat réel, c'est-à-dire un concept de quelque chose qui puisse s'ajouter au concept d'une chose. (…) Il y a plus avec cent thalers effectifs qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire leur possibilité). (…) Quand donc je pense une chose, quels que soient et si nombreux que soient les prédicats au moyen desquels je la pense (même dans la détermination complète), par cela seul que je pose en outre que cette chose existe, je n'ajoute absolument rien à la chose. (…) Quelles que soient la nature et l'étendue du contenu de notre concept d'un objet, nous devons cependant sortir de ce concept pour attribuer l'existence à cet objet. »491 Baudelaire, pour sa part, n'imagine pas que l'homme puisse penser à des choses qui n'existent pas. Lorsqu'il parle de « la femme » il pense réellement que « la femme » existe. Ainsi, à la manière de Platon, les femmes qu'il rencontre sont toujours décevantes, puisqu'elles ne correspondent jamais à la « femme en soi ». Pareillement, le monde dans lequel il a vécu, – et qui ressemble sensiblement au nôtre –, n'est franchement pas une réussite. Il le compare donc à l'idée du monde tel qu'il l'aimerait, et pense donc que si le monde n'est pas ainsi, c'est parce que nous en avons été déchus. Le péché originel solutionne ainsi son problème vis à vis du monde.

Cette façon de penser est également celle qu'il adopte à l'égard des valeurs morales qu'il chérit : il ne fait qu'hériter de celles que le christianisme lui a transmises, mais il ne les remet pas en cause. Il les ressent, donc elles sont valables. Certes, il se rend bien compte que quelque chose ne fonctionne pas, alors il redistribue les cartes et d'une certaine manière, Satan devient « le gentil » et Dieu « le méchant ». Mais elles subsistent strictement fidèles à elles-mêmes, sans être interrogées dans leurs valeurs ou dans leurs fondements.

Baudelaire n'est pas seulement confronté à l'éternel retour du même, il est en conflit avec la lente déliquescence d'un monde qu'il conçoit pourtant comme possédant une certaine fixité. D'où ses invectives de névropathe, d'où son retour perpétuel vers le passé, d'où son refuge en Dieu. Baudelaire ne saurait inventer quelque chose qui dépasserait ce mouvement morbide de la modernité. Et ce n'est pas seulement parce qu'il ne nourrit pas l'espoir d'un monde meilleur, puisqu'après tout, à défaut d'un monde meilleur, le « nouveau » pourrait lui suffire. C'est qu'il apparaît absolument incapable d'atteindre cette remise en cause radicale. Il semble qu'il y ait chez lui un profond refoulement qui l'empêche de dépasser le stade de la provocation artistique. Il balance entre le défi lancé par Les Fleurs du mal et les éloges adressés à Swedenborg. C'est comme s'il percevait qu'un mur devait être franchi, mais que ses racines profondément chrétiennes l'empêchaient de poursuivre la remise en cause jusqu'au bout : il existe une sorte de « plafond de verre » des valeurs baudelairiennes qu'il ne peut transpercer, du fait de sa propre peur du monde qui s'ouvre à lui.

En réalité, les paradoxes de sa pensée ne sont jamais totalement résolus. Baudelaire exprime plus ou moins malgré lui le choc que subit l'individu prenant conscience de l'ascension de la modernité. L'idée de « vertige » est omniprésente dans son œuvre parce qu'elle correspond à ce qu'il a pu réellement éprouver : un sentiment de vertige dû au fait qu'il ne parvenait pas à assimiler pleinement l'expérience de la modernité qu'il était en train de vivre, et qu'il était peut-être un des premiers à vivre avec une telle acuité. Peut-être l’auteur des Fleurs du mal est-il celui qui a découvert la modernité comme on ouvrirait la boîte de Pandore, et qui – effrayé par sa découverte – a alors cherché dans le passé les moyens de la refermer ? Il a approché la modernité comme les premiers hommes ont pu le faire du feu. Il est fasciné, mais en saisissant une braise, il se brûle, prend peur et demande aux dieux d'éteindre ce feu. Puis il y revient, pour se brûler à nouveau et réitérer sa demande aux divinités. Il n'a pas encore assez de recul pour pouvoir et pour vouloir domestiquer ce feu. Ce n'est pas qu'il préfère la viande crue. C'est qu'il a peur du feu. Et il est ainsi pris d'élans réactionnaires par incapacité à faire face à la situation. Il réagit un peu comme le ferait un paysan du haut-Doubs croisant Shéhérazade dans son champ : il est partagé entre la fascination pour cette beauté inconnue, et parcouru des spasmes de la xénophobie.

Le trait principal qui empêche l'insurrection baudelairienne d'aboutir complètement est donc ce constant retrait dans le passé par lequel il réagit gauchement à sa peur de l'inconnu ainsi qu'à son désir de nouveau. Cette propension à chercher refuge dans des principes hérités de ses pères (ou peut-être, devrions-nous dire, de sa mère...) constitue la limite de sa rébellion.

Par conséquent, bien qu'il innove poétiquement, et qu'on puisse même affirmer qu'il apporte de nouvelles valeurs (nous pensons notamment à la figure du chiffonnier et à l'invention du surnaturalisme), il ne parvient pas à décoller fondamentalement du passé et se maintient dans cette attitude de défiance hésitante et maladroite. Ainsi, si Nietzsche parvient à faire éclater les valeurs morales en proposant un surhomme par-delà bien et mal qui serait comme « un Dieu épicurien ramené sur la terre »492, Baudelaire, pour sa part, ne parvient pas à parachever sa révolte : elle brille d'un feu puissant et transfigure son époque sans servir de « lanternes-vessies » aux « avant-gardes éclairées », mais elle n'explose jamais, parce que Maistre et Swedenborg se chargent de la maintenir définitivement éloignée de la dynamite, en prenant soin de maintenir fermement vers le passé le regard de cet albatros.



Bibliographie



Œuvres de Baudelaire :



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Ouvrages sur Baudelaire :



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Ouvrages divers :



Anonyme, Évangile selon Saint Jean, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Évangile_selon_Saint_Jean_-_Crampon



Collectif, Pourquoi nous cessons de respecter les contrôles judiciaires, texte numérique consultable à cette adresse internet : http://www.soutien11novembre.org/spip.php?article546 .



Hugo (Victor), Les Misérables, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables .



Klee (Paul), Théorie de l'art moderne, France, Éditions Denoël / Médiations, 1985, 176p .


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Rimbaud (Arthur), Correspondance, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Rimbaud .



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Vallès (Jules), Charles Baudelaire, article paru dans La Rue, le 7 septembre 1867 . édition numérique consultable à cette adresse internet :

http://www.bmlisieux.com/litterature/valles/bodeler.htm .



Vallès (Jules), Le Bachelier, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Bachelier .



Verlaine (Paul), Jadis et Naguère, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Jadis_et_naguère_(1884) .



Wilde (Oscar), Le portrait de Dorian gray, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Portrait_de_Dorian_Gray .



Enregistrement audio :



Desproges (Pierre), En scène au théâtre Grévin, « L'Artiste dégagé », 1986 .



Sommaire



Introduction

3



A. Poésie et philosophie : un divorce inévitable ?

3



B. Le problème que pose la poésie n'est pas tant celui du culte de l'apparence que celui du manque de méthode

9



C. La poésie : plus honnête et moins prétentieuse que la philosophie ?

14



  1. La philosophie au travers de Baudelaire

    23



A. Baudelaire et la philosophie

23



1. Sur une éventuelle « inculture » philosophique de Baudelaire

23



2. Ce que la biographie nous apprend

25



3. Le point de vue général de Baudelaire sur la philosophie

27



a. La valeur de la philosophie

27



b. Une noblesse de la philosophie

27



c. L'imagination dépasse la philosophie

29



d. La philosophie condamnée comme péché d'orgueil

31



B. Références aux philosophes dans l’œuvre de Baudelaire

32



1. Thalès

32



2. Pythagore

33



3. Socrate

33



4. Démocrite

34



5. Antisthène

34



6. Platon

34



7. Diogène

35



8. Aristote

35



9. Épicure

36



10. Cicéron

36



11. Les stoïciens

36



12. Plotin

37



13. Saint-Augustin

37



14. Abélard

38



15. Machiavel

38



16. Bacon

39



17. Pascal

39



18. Locke

40



19. Spinoza

40



20. Swedenborg

41



21. Montesquieu

42



22. Voltaire

42



23. Rousseau

45



24. Diderot

47



25. Kant et la métaphysique allemande (Fichte et Schelling)

48



26. Laplace

48



27. De Maistre

48



28. Godwin

50



29. Saint-Simon

50



30. Hegel

50



31. Fourier

51



32. Cousin

51



33. Comte

51



34. Emerson

52



35. Les jeunes hégéliens (Feuerbach et Stirner)

52



36. Considerant

53



37. Proudhon

53



38. Ferrari

54



39. Renan

55



40. Taine

55



41. Lafargue

55



II. Baudelaire, Swedenborg et De Maistre

56



A. Swedenborg

56



1. Vision générale de la philosophie de Swedenborg

56



a. Une pensée mécaniste fondée sur la géométrie

57



b. Le dualisme

57



c. Les « correspondances »

58



d. Les degrés

58



e. L'influx divin

59



f. L'exégèse des saintes Écritures

59



g. La vie après la mort

60



h. Une approche platonicienne

60



2. Ce qui va intéresser Baudelaire chez Swedenborg

60



a. Le christianisme

60



b. Les « correspondances »

62



B. De Maistre

66



1. Vision générale de la philosophie de Maistre

66



a. La Révolution française : un châtiment divin en réponse au désordre de la pensée

66



b. La Providence divine et la rédemption par le sang

68



c. La Théocratie comme modèle politique

69



d. Une théorie spiritualiste de la connaissance

70



e. Un paradoxe : éloge de la Providence, et condamnation d’une révolution mise en place par cette même Providence

71



2. Ce que Baudelaire va tirer de Maistre

72



a. Des figures déjà vues chez Swedenborg

72



b. La critique des Lumières

74



c. Une pensée en opposition avec la nature

75



III. Comment Baudelaire parvient-il à concilier christianisme idéaliste, conservatisme réactionnaire, et révolte anti-bourgeoise ?

78



A. La révolte baudelairienne

79



1. Révolte politique

79



2. Révolte morale

81



3. Révolte artistique

83



4. Révolte métaphysique

87



5. Révolte existentielle

89



B. Le poète de la modernité

90



1. L'industrialisation

91



2. La foule

91



3. Le temps fuyant

93



4. La société de consommation

95



5. Une nouvelle poétique

96



6. Baudelaire et la modernité : une relation d'amour et de haine

98



C. Le dandysme : une réponse aux paradoxes de sa pensée

99



1. Une révolte contre l'ordre bourgeois

99



2. Une révolte contre les Lumières

103



3. Une révolte sans espoir, une révolte esthétique

105



D. Le dandysme de Baudelaire : une licence poétique pour une cohérence en déséquilibre

109



Conclusion

110



A. Sartre contre Baudelaire : le dandysme comme une fausse révolte ?

110



B. Repenser la révolte baudelairienne avec Stirner et le situationnisme

112



C. Une révolte inaboutie : le dandysme de Baudelaire reste prostré sur le passé

118



Bibliographie

122



Œuvres de Baudelaire

122



Ouvrages sur Baudelaire

122



Ouvrages philosophiques

122



Ouvrages divers

126



Enregistrement audio

127



Sommaire

128






1Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes . France, Gallimard / Bibliothèque de la Pléiade . 1975 . 3302p . Tome I, Le spleen de Paris, I, L'Étranger, p277 .

2Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, II, L'Albatros, p9 .

3Idem. P10 .

4Id.

5Id.

6Id.

7Id.

8Id.

9Platon, Théétète, 174A – 174b, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/theetetefr.htm .

10Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Pièces diverses, XVII, La voix, p170 .

11Rimbaud (Arthur), Une saison en enfer, Vierge folle, L'époux infernal, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Une_saison_en_enfer .

12Platon, République, livre X, 596b, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/rep10.htm .

13Ibid.

14Platon, République, op. cit., 601a-601b

15Platon, République, livre III, 398a, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/rep3.htm .

16Platon, Le Banquet, ou de l'amour, 211c-211d, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/banquet.htm .

17Le Banquet, ou de l'amour, op. cit., 204b

18Klee (Paul), Théorie de l'art moderne, France, Éditions Denoël / Médiations, 1985, 176p . 3, Credo du créateur, p34 .

19Platon, Ion, 534b534c, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/ion.htm .

20Rimbaud (Arthur), Correspondance, Lettre du Voyant, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_de_Rimbaud_à_Paul_Demeny_-_15_mai_1871

21Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, p116 .

22Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Projets d'un épilogue pour l'édition de 1861, p192 .

23Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Une charogne, p32 .

24Id. p31

25Id.

26Id. p32

27Id.

28Schopenhauer (Arthur), Le Monde comme volonté et comme représentation, Livre troisième, §36, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Monde_comme_volonté_et_comme_représentation .

29Platon, République, livre VII, 533c, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/rep7.htm .

30Platon, République, livre V, 473c – 473e, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/rep5.htm .

31Idem. 473e - 474b

32Id.

33Id.

34Nietzsche (Friedrich), Par-delà bien et mal, Paris, GF Flammarion, 2000, 400p, bibliographie, biographie, index nominum, index rerum, §17, p64 .

35Par-delà bien et mal, op. Cit., §6, p52 .

36Nietzsche (Friedrich) . Vérité et mensonge au sens extra-moral . Arles, Actes Sud / Les philosophiques, 1997 . 77p . I .

37Nietzsche (Friedrich) . Ainsi parlait Zarathoustra un livre pour tous et pour personne . Paris, Le livre de poche classique de la philosophie, 2001 . 414p . I, Des contempteurs du corps .

38Nietzsche (Friedrich), L'Antéchrist, XII, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/L'Antéchrist_(Nietzsche) .

39Nietzsche (Friedrich), La Généalogie de la morale, Troisième dissertation, §13, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/La_Généalogie_de_la_morale .

40Nietzsche (Friedrich) . La volonté de puissance, Tome 1, Paris, Gallimard, 1995, 452p . Livre 2, §122 .

41La Généalogie de la morale, op. cit., Troisième dissertation, §7 .

42Spinoza (Baruch), L'Éthique, Deuxième partie, Proposition XLIV, Corollaire II, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/L’Éthique

43Nietzsche (Friedrich), Le Crépuscule des idoles, La « raison » dans la philosophie, §1, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Crépuscule_des_idoles .

44Id.

45Id.

46Le Crépuscule des idoles, op. cit., Le Problème de Socrate, §12 .

47Le Crépuscule des idoles, op. cit., Maximes et pointes, §26 .

48Ainsi parlait Zarathoustra, op. cit. III, Des trois maux, 1 .

49Nietzsche (Friedrich), Le Gai Savoir, Avant-propos, 4, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Gai_Savoir .

50Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, Victor Hugo, IV, p139 .

51Cioran (Emil), Précis de décomposition, France, Gallimard, 1949, 266p . Exégèse de la déchéance, p30 .

52« Que soit la philosophie, que soit le philosophe, que je sois, le monde dût-il périr ! » in La Généalogie de la morale, op. cit. Troisième dissertation, §7 .

53La volonté de puissance, op. cit., tome 1, livre 2, chapitre VI, §453

54Le crépuscule des idoles, op. cit. Flâneries inactuelles . §51 .

55Pascal (Blaise) . Pensées . Paris, Garnier-Flammarion, 1976 . 382p, index . Article VI, Les philosophes, pensée 347-200, p149 .

56Verlaine (Paul), Jadis et Naguère, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Jadis_et_naguère_(1884) . Art Poétique .

57Le crépuscule des idoles, op. cit. Maximes et pointes . §33 .

58Deleuze (Gilles) . Nietzsche et la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France / Quadrige, quatrième édition, 2003, 250p, Chapitre III, §15, p120 .

59Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, III, p114 .

60Nietzsche et la philosophie, op. cit., chapitre III, §15, p121 .

61Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2002, 314p, Le Paris du second Empire chez Baudelaire, III, La modernité, p106 .

62Ibid., Zentralpark Fragments sur Baudelaire, §18, p226 .

63Ibid., III, La modernité, p106

64Ibid.

65Ibid. p107

66Stirner (Max), L'unique et sa propriété, édition numérique « Les classiques des sciences sociales », 284p, édition établie d'après la traduction de R.L. Reclaire de 1899, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/stirner_max/stirner_max.html . Première Partie, L'homme, II, Les anciens et les modernes, C, Les affranchis, §1, Le libéralisme politique, p109 .

67Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Chronologie, pXXVII .

68Id.

69Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXVII, Les Hiboux, p67 .

70Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'Art philosophique, p598 .

71Id. p599 .

72Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'École païenne, p44 .

73Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Présentation de Révélation magnétique p248 .

74Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Prométhée délivré par L. De Senneville, p9 .

75Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, IV, p318 .

76Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XIII, Les Veuves, p 292 .

77Id.

78Id.

79Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, IV, p532 .

80Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, III, p678 .

81Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Un mangeur d'opium, III, Voluptés de l'opium, p 469 .

82Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, L, « Les Bons chiens », p 362 .

83Id. p360 .

84Id. p361 .

85Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Philibert Rouvière, p61 .

86Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, II, Le Public moderne et la photographie, p616 .

87Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, II, Ingres, p585 .

88Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, III, p329 .

89Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, III, La Reine des facultés, p620-621 .

90Idem, p621 .

91Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, VII, Le Paysage, p668 .

92Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, III, La Reine des facultés, p620 .

93Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, I, Méthode de critique. De l'idée moderne du progrès appliquée aux beaux-arts. Déplacement de la vitalité, p577 .

94Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Les Épaves, Pièces diverses, XIX, La Rançon, p173 .

95Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, I, Méthode de critique. De l'idée moderne du progrès appliquée aux beaux-arts. Déplacement de la vitalité, p577 .

96Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Pièces diverses, XVII, La voix, p170 .

97Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, La Mort, CXXVI, Le Voyage, p129 .

98Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, VIII, Sculpture, p669 .

99Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Hygiène, III, Notes précieuses, p670 .

100 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Idéolus, Acte premier, scène première, p607 .

101 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Idéolus, Acte III, scène III, p604 .

102 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Les Misérables par Victor Hugo, III, p221 .

103 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XLIX, Assommons les pauvres !, p358 .

104 Idem.

105 Idem.

106 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, Reliquat du Spleen de Paris, Listes de projets, II, p369 .

107 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Hygiène, VIII, Hygiène, conduite, méthode, p674 .

108 Idem, p675 .

109 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, XV, Don Juan aux enfers, p19 .

110 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, L, « Les Bons chiens », p360 .

111 Idem, p362 .

112 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, IV, p122 .

113 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, IV, p533 .

114 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, I, L'artiste moderne, p611 .

115 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Pièces condamnées, II, Lesbos, p150 .

116 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, La Fanfarlo, p559 .

117 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Idéolus, Acte III, scène III, p604 .

118 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Idéolus, Acte premier, scène II, p611 .

119 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, III, p113 .

120 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, V, Religion, Histoire, Fantaisie, p631 .

121 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XLV, Le Tir et le cimetière, p351 .

122 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Jeune Enchanteur, histoire tirée d’un palimpseste d’Herculanum, p524 .

123 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Prométhée délivré par L. de Senneville, p10 .

124 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Lettre à Jules Janin, II, p240 .

125 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Journaux Intimes, Aphorismes, p710 .

126 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Journaux Intimes, Fusées, IX, p656 .

127 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XLIX, Assommons les pauvres !, p 359 .

128 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, IV, p533 .

129 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IX, Le Dandy, p710 .

130 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, IV, p755 .

131 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, VIII, p769 .

132 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Pierre Dupont, p28 .

133 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1845, II, Tableaux d'histoire, Delacroix, 2° Dernières paroles de Marc-Aurèle, p354-356 .

134 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, La Fanfarlo, p554 .

135 «  Je brûlais d'envie d'aimer. »

136 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, III, L'artiste, Homme du monde, Homme des foules et enfant, p691 .

137 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'École païenne, , p49 .

138 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'esprit et le style de M. Villemain, Les cent-jours, Destitution de Chateaubriand, p210 .

139 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1846, XIII, De M. Ary Scheffer et des singes du sentiment, p475 .

140 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Les Mystères galants, L'abbé Constant et un peu l'abbé Olivier, évèque d'Évreux, p1009 .

141 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, I, p299 .

142 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, VI, p763 .

143 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Puisque réalisme il y a, p57 .

144 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages, II, p270 .

145 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XXIII, La Solitude, p 314 .

146 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, I, p130 .

147 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Poèmes apportés par la troisième édition, 1868, Le Gouffre, p142 .

148 Nous utilisons ici l'orthographe retenue par l'édition de la Pléiade.

149 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Le Poème du Hachisch, III, Le Théâtre de Séraphin, p409 .

150 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, V, Religion, Histoire, Fantaisie, p633 .

151 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, compte rendu de l'Histoire de Neuilly de l'abbé Bellanger, p55 .

152 « Fais de l'argent mon fils, honnêtement, si tu le peux, mais FAIS DE L'ARGENT »

153 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages, I, p251 .

154 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Un mangeur d'opium, IV, Tortures de l'opium, p 478 et p479 .

155 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, II, p133 .

156 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Présentation de Révélation magnétique p248 .

157 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, II, p322 .

158 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, La Fanfarlo, p555 .

159 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, L, « Les Bons chiens », p 362 .

160Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Le Poème du hachisch, IV, L'homme-Dieu, p430 .

161 Idem, p434 .

162 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Peintures murales d'Eugène Delacroix à Saint-Suplice, p730 .

163 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Journaux Intimes, Fusées, IV, p652 .

164 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Listes de titres et canevas de romans et nouvelles, VIII, p590 .

165 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Canevas des Lettres d'un atrabilaire, p782 .

166 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, IV, p755 .

167 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages, II, p267 .

168 Ibid, III, p283 .

169 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'École païenne, p45 .

170 Idem, p45-46 .

171 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XVIII, p687 .

172 Idem, p688 .

173 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, II, Victor Hugo, I, p134 .

174 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, V, Pétrus Borel, p153 .

175 Idem, p154 .

176 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'esprit et le style de M. Villemain, La digression sur les rajeunissements littéraires, p213 .

177 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Lettre à Jules Janin, II, p233 .

178 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Quelques caricaturistes étrangers, IV, p573 .

179 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, VI, p537 .

180 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, II, Ingres, p589 .

181 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Quelques caricaturistes français, p547 .

182 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Quelques caricaturistes étrangers, II, p568 .

183 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, V, p756-757 .

184 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, V, p757 .

185 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, II, p788 .

186 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, Préliminaires, p819 .

187 Idem, p822.

188 Id.

189 Id, VI, Mœurs, Causerie, p852 .

190 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Un mangeur d'opium, V, Un faux dénouement, p 494 .

191 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Choix de maximes consolantes sur l'amour, p552 .

192 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Les Mystères galants, Ponsard, p1003 .

193 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Salut public, Bon sens du peuple, p1031 .

194 Id, p1032 .

195 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, II, p325 .

196 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Journaux Intimes, Fusées, VI, p654 .

197 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Hygiène, VI, Hygiène. Conduite. Méthode, p672 .

198 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Le Poème du hachisch, IV, L'homme-Dieu, p436 .

199 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Pensées d'album, p709 .

200 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, III, L'artiste, Homme du monde, Homme des foules et enfant, p693 .

201 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, VI, p762 .

202 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le comédien Rouvière, p242 .

203 Id.

204 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1846, XVIII, De l'héroïsme de la vie moderne, p494 .

205 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, III, L'artiste, Homme du monde, Homme des foules et enfant, p688 .

206 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'esprit et le style de M. Villemain, La digression sur les rajeunissements littéraires, p213 .

207 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, De quelques préjugés contemporains, p54 .

208 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Listes de titres et canevas de romans et nouvelles, XII, Plans, projets, p592 et p593 .

209 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XXIX, « Le joueur généreux », p326 .

210 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Présentation de Révélation magnétique p247 .

211 Idem.

212 Id.

213 Id.

214 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, II, p267 .

215 Id.

216 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, IV, p316 .

217 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, La Fanfarlo, p568 .

218 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Peintres et aquafortistes, p740 .

219 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, II, p788 .

220 Ibid. p793 .

221 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Poésies de jeunesse, poésies diverses, Cauchemar, p207 .

222 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Prométhée délivré par L. de Senneville, p11 .

223 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1846, XIII, De M. Ary Scheffer et des singes du sentiment, p475 .

224 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Des drames et des romans honnêtes, p43 .

225 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Idées et listes de pièces projetées, I, Théâtre, p645 .

226 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Un mangeur d'opium, IV, Tortures de l'opium, p 472 .

227 Id. p473 .

228 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, IV, p137-138 .

229 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Hygiène, II, Hygiène. Conduite. Morale, p669 .

230 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages, II, p267 .

231 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, II, p323 .

232 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Les Misérables par Victor Hugo, III, p223 .

233 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L'esprit et le style de M. Villemain, Analyse rapide de l’œuvre de Villemain, p195 .

234 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, X, La Femme, p713 .

235 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, II, p526 .

236 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXXI, p696 .

237 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Notes pour la rédaction et la composition du journal Le Hibou philosophe, p50 .

238 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Notes sur Les Liaisons dangereuses, II, Notes, p68 .

239 Idem, p70 .

240 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Pensées d'album, p709 .

241 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Idées et listes de pièces projetées, II, Drames, p645 .

242 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, I, Méthode de critique de l'idée moderne du progrès appliquée aux beaux-arts. Déplacement de la vitalité, p582 .

243 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., p132 .

244 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, III, Marceline Desbordes-Valmore, p146 .

245 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XIX, p688 .

246 Idem.

247 Idem.

248 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, II, p132 .

249 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, II, p324 .

250 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XVIII, Impiété et prêtrophobie, p899 .

251 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Pierre Dupont, p30 .

252 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Anniversaire de Shakespeare, p229 .

253Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XIX, Politique, p911 .

254 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, IV, p755 .

255 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Journaux Intimes, Fusées, IV, p652 .

256 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Journaux Intimes, Fusées, IV, p652 .

257 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, VII, Mœurs de Bruxelles, Esprit de petite ville, p855 .

258 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XI, Mœurs de Bruxelles, Moralité belge, p866 .

259 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Hygiène, VIII, Hygiène, conduite, méthode, p673-674 et IX, p675 .

260 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, VI, p761 .

261 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XVIII, p687 .

262 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Notes pour la rédaction et la composition du journal Le Hibou philosophe, p50 .

263 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages, III, p274 .

264 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Paradis artificiels, Le Poème du Hachisch, IV, L'Homme-Dieu, p437 .

265 Id.

266 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XXIII, Le roi Léopold Ier, p926 .

267 Idem, p927 .

268 Idem, p930 .

269 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Les Drames et les romans honnêtes, p40-41 .

270 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, La Tribune nationale, organe des intérêts de tous les citoyens, 6 juin 1848, Des moyens proposés pour l'amélioration du sort des travailleurs, p1055-1056 .

271 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Le Représentant de l'Indre, 20 octobre 1848, Actuellement, p1062 .

272 Idem.

273 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Pierre Dupont, p34 .

274 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XIV, Enseignement, p873 .

275 Ibid, XV, La langue française en Belgique, p876 .

276 Id.

277 Ibid. XVI, Journalistes et littérateurs, p881-882 .

278 Ibid. XVIII, Impiété et prêtrophobie, p899 .

279 Ibid. XXXIII, Épilogue, p961 .

280 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Amœnitates Belgicæ, La Mort de Léopold Ier, p975 .

281 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Fragments Divers, p979 .

282 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, V, p758 .

283 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Leconte de Lisle, IX, p177 .

284 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XLV, p706 .

285 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXVIII, p694 .

286 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Anniversaire de Shakespeare, p229 .

287 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XIX, Politique, p911 .

288 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, II, p133 .

289 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, II, p323 .

290 Kant (Emmanuel), Rêves d’un homme qui voit des esprits, expliqués par les rêves de la métaphysique, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Rêves_d’un_homme_qui_voit_des_esprits,_expliqués_par_les_rêves_de_la_métaphysique

291 Prieur (Jean), Un prophète pour notre temps, France, Cercle Swedenborg, 1970, 92p. V, Désormais vous verrez le ciel ouvert, p28 .

292 Swedenborg (Emmanuel), Du Commerce de l'Âme et du Corps, XV, Les fins sont dans le premier degré, les causes dans le second, et les effets dans le troisième, édition numérique consultable à cette adresse internet :

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Swedenborg/delame.html

293 Idem.

294 Du Commerce de l'Âme et du Corps, op. cit., IX, Le spirituel se revêt du naturel comme l'homme d'un habit .

295 Par-delà bien et mal, op. cit., Préface, p45 .

296 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Hygiène, VII, Hygiène.Conduite.Méthode, p673 .

297 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, Le Diable et George Sand, XVII, p686-687 .

298 Idem, Fragment non numéroté.

299 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XVIII, p687-688 .

300 Idem, p688 .

301 Id.

302 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, XI, Éloge du maquillage, p715 .

303 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Révolte, CXX, Les Litanies de Satan, p123 .

304 Ibidem, Le procès des Fleurs du mal, Notes pour mon avocat, p193 .

305 Idem, p195 .

306 Ibid, Spleen et Idéal, I, Bénédiction, p9 .

307 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, II, p133 .

308 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, IV, Correspondances, p11 .

309 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, IV, P334 .

310 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit. Tome II, Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, I, Victor Hugo, II, p133 .

311 Éthique, op.cit., Quatrième partie, De l'esclavage de l'homme ou de la force des passions, préface .

312 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, I, p676 .

313 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1846, VII, De l'Idéal et du modèle, p455 .

314 Cioran (Émil), Exercices d'admiration, Essais et portraits, Gallimard / Arcades, 1977, 224p, Joseph De Maistre, Essai sur la pensée réactionnaire, p56 .

315 Ibidem, p71 .

316 Idem.

317 Maistre (Joseph de), Considérations sur la France, Chapitre IV, La république française peut-elle durer ?, p65, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61078204 .

318 Ibidem, Chapitre III, De la destruction violente de l'espèce humaine, p51 .

319 Maistre (Joseph de), Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, Deuxième entretien, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://world.std.com/~dcons/Literature/JMSP/index.html .

320 Kant (Emmanuel), Qu'est-ce que les Lumières ?, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Qu’est-ce_que_les_Lumières_%3F

321 Exercices d'admiration, Essais et portraits, op.cit., p19 .

322 Considérations sur la France, op.cit., Chapitre premier, Des révolutions, p5 .

323 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, op.cit., Éclaircissement sur les sacrifices .

324 Considérations sur la France, op.cit., Chapitre IV, La république française peut-elle durer ?, p64,

325 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, op.cit., Huitième entretien .

326 Considérations sur la France, op.cit., Chapitre premier, Des révolutions, p1 .

327 Bakounine (Michel), Dieu et l'État, Paris, Mille et une nuits, 1996, 144p . p29 .

328 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence,op.cit., Huitième entretien .

329 Maistre (Joseph de), Lettres à un gentilhomme russe sur l'inquisition espagnole, lettre II, p62, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64784z .

330 Maistre (Joseph de), Examen de la philosophie de Bacon : où l'on traite différentes questions de philosophie rationnelle, Chapitre IV, Des essences et de leurs définitions, p138, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k210006w

331 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence,op.cit., Dixième entretien .

332 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, op.cit., Deuxième entretien .

333 Examen de la philosophie de Bacon : où l'on traite différentes questions de philosophie rationnelle, op.cit., Chapitre IV, Des essences et de leurs définitions, p132 .

334 Idem, p128 .

335 Anonyme, Évangile selon Saint Jean, Chapitre 1, 1, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Évangile_selon_Saint_Jean_-_Crampon

336 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, op.cit., Deuxième entretien .

337 Exercices d'admiration, Essais et portraits, op.cit., p21 .

338 Idem, p20 .

339 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, L’œuvre et la vie d'Eugène Delacroix, III, p750 .

340 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXXII, p697 .

341 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, I, Méthode de critique. De l'idée moderne du progrès appliquée aux beaux-arts. Déplacement de la vitalité, p575 .

342 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XLVII, p707 .

343 Idem, IV, p678 .

344 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XXXIII, Épilogue, p961 .

345 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition Universelle de 1855 – Beaux-Arts, I, Méthode de critique. De l'idée moderne du progrès appliquée aux beaux-arts. Déplacement de la vitalité, p580 .

346 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Anniversaire de la naissance de Shakespeare, p229 .

347 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XIII, p684 .

348 Ibidem, XXV, p692 .

349 Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, op.cit., Huitième entretien .

350 Idem.

351 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, II, p322-323 .

352 Considérations sur la France, op.cit., Chapitre III, De la destruction violente de l'espèce humaine, p51 .

353 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, XI, Éloge du maquillage, p715 .

354 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, III, p677 .

355 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, X, La Femme, p713 .

356 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Lettre à Jules Janin, II, p237 .

357 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Tableaux parisiens, XCIII, À une passante, p92 .

358 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, La Mort, CXXVI, Le Voyage, VIII, p134 .

359 Le général Jacques Aupick était le beau-père de Baudelaire.

360 Fourier (Charles), Théorie de l’unité universelle, tome I, édition numérique « Les classiques des sciences sociales » 2001, 560p, p309, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/fourier_charles/theorie_unite_universelle_t1/theorie_unite_universelle_t1.html .

361 Idem .

362 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XXVI, « Les yeux des pauvres », p 319 .

363 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, chapitre premier, la Bohème, p39 .

364 Oehler (Dolf), Le spleen contre l’oubli, Juin 1848, Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1996, 475p . Introduction, p15 .

365 Ibidem, p22 .

366 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1859, VI, Le Portrait, p654 .

367 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1846, XI, De M. Horace Vernet, p469 .

368 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pauvre Belgique !, XXXIII, Épilogue, p961 .

369 La Généalogie de la morale, op. cit., troisième dissertation, §13 .

370 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Salon de 1846, XVIII, De l'héroïsme de la vie moderne, p494 .

371 Tocqueville (Alexis De), De la démocratie en Amérique, tome II, Quatrième partie : De l’influence qu’exercent les idées et les sentiments démocratiques sur la société politique, Chapitre VI, Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/De_la_d%C3%A9mocratie_en_Am%C3%A9rique/tome_II/quatri%C3%A8me_partie

372 Idem.

373 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Zentralpark, Fragments sur Baudelaire, 22, p230 .

374 Oehler (Dolf), Le spleen contre l’oubli, Juin 1848, Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Op. cit., Deuxième partie, Chapitre VI, Jeux ironiques avec le mal, p310 .

375 Proudhon (Pierre-Joseph), Qu'est-ce que la propriété ? Ou recherche sur le principe du droit et du gouvernement, édition numérique « Les classiques des sciences sociales » 2002, 177p, Préface, p10, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/Proudhon/la_propriete/la_propriete.html .

376 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, La Mort, CXXIV, La fin de la journée, p128 .

377 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Études sur Poe, Notes nouvelles sur Edgar Poe, IV, p333 .

378 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Reliquat et dossier des Fleurs du mal, Projets de Préfaces, I, p181 .

379 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Reliquat et dossier des Fleurs du mal, Le procès des Fleurs du mal, Notes pour mon avocat, p193 .

380 Idem.

381 Idem.

382 Id, p194 .

383 Hugo (Victor), Les Misérables, Tome I, Livre quatrième, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables_TI_L4

384 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Tableaux parisiens, XC, Les sept vieillards, p88 .

385 Idem.

386 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Tableaux parisiens, XCV, Le Crépuscule du soir, p94 .

387 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Tableaux parisiens, CIII, Le Crépuscule du matin, p103 .

388 Id, p103-104 .

389 Id, p104 .

390 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Tableaux parisiens, XC, Les petites vieilles, p89 .

391 Id.

392 Id.

393 Camus (Albert) . L'homme révolté . France . Gallimard . Folio / essais . 1951 . 386p . II, La révolte métaphysique, p41 .

394 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Révolte, CXVIII, Le reniement de Saint Pierre, p121 .

395 Idem .

396 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Zentralpark, Fragments sur Baudelaire, 5, p215 .

397 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Reliquat et dossier des Fleurs du mal, Projets de Préfaces, II, p183 .

398 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXXVIII, p701 .

399 Ibidem, XXXII, p697

400 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, XI, Éloge du maquillage, p716-717 .

401 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, XXVI, Sed non satiata, p28 .

402 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LIII, L'Invitation au voyage, p28 .

403 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XI, « La femme sauvage et la petite-maîtresse », p289-290 .

404 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, VI, p128 .

405 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, II, Le flâneur, p84-85 .

406 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXVI, p693 .

407 Idem.

408 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XII, « Les foules », p291 .

409 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, I, p676 .

410 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, II, Le flâneur, p100 .

411 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XLVII, « Mademoiselle Bistouri », p355 .

412 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XII, « Les foules », p291 .

413 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, II, Le flâneur, p90 .

414 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, III, L'artiste, l'homme du monde, homme des foules et enfant, p692 .

415 Collectif, Pourquoi nous cessons de respecter les contrôles judiciaires, texte numérique consultable à cette adresse internet : http://www.soutien11novembre.org/spip.php?article546 .

416 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Conseils aux jeunes littérateurs, Des salaires, p14-15 .

417 Ibidem, Des méthodes de composition, p17 .

418 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, XI, Le guignon, p17 .

419 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXXXV, L'horloge, p81 .

420 Idem.

421 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XXXIII, Enivrez-vous, p337 .

422 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Les Mystères galants des théâtres de Paris (actrices galantes), Coulisses, p985 .

423 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Poésies de jeunesse, « Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre », p203 .

424 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Zentralpark, Fragments sur Baudelaire, 39, p246-247 .

425 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Fusées, XIII, p662 .

426 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IV, La modernité, p695 .

427 Idem.

428 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Exposition universelle de 1855 Beaux-Arts, I, Méthode de critique – De l'idée moderne du progrès appliquée aux Beaux-Arts – Déplacement de la vitalité, p578-579 .

429 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, IV, p806 .

430 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, III, La modernité, p118 .

431 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Quelques caricaturistes français, p549 .

432 Desproges (Pierre), En scène au théâtre Grévin, « L'Artiste dégagé », 1986 .

433 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IX, Le dandy, p710 .

434 Idem.

435 Id.

436 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XV, p685 .

437 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Idées et listes de pièces projetées, I, Théâtre, p645 .

438 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Notes sur Les Liaisons dangereuses, III, Intrigue et caractères, Caractères, p71 .

439 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IX, Le dandy, p710 .

440 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XIII, p684 .

441 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Zentralpark, Fragments sur Baudelaire, 37, p245 .

442 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Sur quelques thèmes baudelairiens, VII, p175, note de bas de page .

443 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Le Spleen de Paris, XLII, « Portraits de maîtresses », p 349 .

444 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XIII, p684 .

445 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXVI, Les Chats, p66 .

446 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, VI, p679 .

447 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IX, Le dandy, p711 .

448 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Fusées, XIII, p662 .

449 Idem, p710 .

450 Nietzsche (Friedrich), La volonté de puissance, Tome 2, Paris, Gallimard, 1995, 506p . livre 4, §344, p375 .

451 Foucault (Michel), Qu'est-ce que les Lumières ?, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://foucault.info/documents/whatIsEnlightenment/foucault.questcequeLesLumieres.fr.html .

452 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IX, Le dandy, p711 .

453 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, III, La modernité, p112 .

454 Idem, p113 .

455 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, IX, Le dandy, p709 .

456 Id, p709-710 .

457 Wilde (Oscar), Le portrait de Dorian gray, Chapitre II, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Portrait_de_Dorian_Gray .

458 Nietzsche (Friedrich), Nietzsche contre Wagner, épilogue, 2, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Nietzsche_contre_Wagner_%28traduction_H._Albert%29 .

459 Foucault (Michel), Qu'est-ce que les Lumières ?, op. cit.

460 Nietzsche (Friedrich), L'Origine de la Tragédie, Préface à Richard Wagner, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/La_Naissance_de_la_trag%C3%A9die .

461 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Le Peintre de la vie moderne, III, L'artiste, homme du monde, homme des foules et enfant, p689 .

462 Baudelaire (Charles) . Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, III, p113 .

463 Foucault (Michel), Qu'est-ce que les Lumières ?, op. cit.

464 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXX, p695-696 .

465 Sartre (Jean-Paul), Baudelaire, France, Gallimard, collection / Folio / Essais, 1975, 192p, p17 .

466 Idem, p19 .

467 Id, p19-20 .

468 Id, p21 .

469 Id, p23 .

470 Id, p25 .

471 Id, p26 .

472 Id, p63 .

473 Id, p135-136 .

474 Vallès (Jules), Charles Baudelaire, article paru dans La Rue, le 7 septembre 1867 . édition numérique consultable à cette adresse internet : http://www.bmlisieux.com/litterature/valles/bodeler.htm .

475 Oehler (Dolf), Le spleen contre l’oubli, Juin 1848, Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Op. cit., Introduction, p15 .

476 Vallès (Jules), Le Bachelier, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Bachelier, 4, L'avenir .

477 Stirner (Max), L'unique et sa propriété, op. cit., Première partie : l'homme, II, Les Anciens et les Modernes, B, Les modernes, §2, Les Possédés, p42 .

478 Marx (Karl) & Engels (Friedrich), Manifeste du Parti communiste, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://fr.wikisource.org/wiki/Manifeste_du_Parti_communiste, IV, Position des communistes envers les différents partis d'opposition .

479 Orwell (George), 1984, France, Gallimard / Folio, 1950, 448p, Première partie, I, p12 .

480 L'unique et sa propriété, op. cit., Deuxième partie : moi, II, Le propriétaire, B, Mes relations, p250 .

481 Benjamin (Walter), Charles Baudelaire, op. cit., Le Paris du second Empire chez Baudelaire, chapitre premier, la Bohème, p28 .

482 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Pierre Dupont, p35 .

483 Debord (Guy-Ernest), La société du spectacle, édition numérique consultable à cette adresse internet : http://library.nothingness.org/articles/SI/fr/pub_contents/7, Chapitre 1, La séparation achevée, 1 .

484 Idem, 2 .

485 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Théophile Gautier, V, p124 .

486 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome II, Amœnitates Belgicæ, La civilisation belge, p974 .

487 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, XXVII, p694 .

488 Camus (Albert), L'homme révolté, Op. cit., La révolte métaphysique, La révolte des dandys, p77 .

489 Baudelaire (Charles), Œuvres complètes, Op. cit., Tome I, Mon cœur mis à nu, III, p678 .

490 Spinoza (Baruch), L'Éthique, Op. cit., Partie I, De Dieu, Appendice .

491 Kant (Emmanuel), Critique de la raison pure, France, Gallimard / Folio / Essais, 1980, 1022p, Deuxième division, dialectique transcendantale, Livre second, Des raisonnements dialectiques de la raison pure, Chapitre III, L'idéal de la raison pure, Quatrième section, De l'impossibilité d'une preuve ontologique de l'existence de Dieu, p520-522 .

492 Roos (Richard), « Nietzsche et Épicure : l'idylle héroïque », in Lectures de Nietzsche, sous la direction de Balaudé (Jean-François) et Wotling (Patrick), France, Le livre de poche / Références / Philosophie, 2000, 480p, III, Le dépassement, 2, Survivance d'Épicure et nostalgie de l'idylle, p348 .